I. UNE MÉTHODE FONDÉE SUR LE MATÉRIALISME HISTORIQUE.

Le marxisme tranche sur les techniques d'interprétation plus répandues.

1) La conception classique, une histoire linéaire d'idées pures, et sa conformité à l'idéologie dominante.

L'approche traditionnelle de l'histoire des idées2 s'attache à découvrir la continuité ou les différences dans la pensée des "grands auteurs"3. Elle encourt, à notre avis, plusieurs réserves.

Une vision linéaire de l'évolution de la production intellectuelle, est aussi contestable que la façon d'envisager l'histoire de la biologie rejetée par le Professeur JACOB4. Il faut plutôt : "rechercher comment les objets sont devenus accessibles à l'analyse, permettant ainsi à de nouveaux domaines de se constituer en science"5, s'attacher par conséquent à découvrir des "étapes"6.

La conception classique de l'étude de la pensée est élitiste et individualiste. Elle écarte les "chefs de file" du commun. En fait, des théoriciens ont pu systématiser des idées assez courantes à leur époque. La formulation la plus magistrale, n'est pas toujours gage d'originalité. En plus, l'examen des idées néglige souvent leur contexte social d'apparition, le rôle politique de leur auteur et leur impact. L'histoire des idées comme enseignement est dans cette optique, la caution "humaniste" d'une formation plus spécialisée. On peut lui appliquer le reproche adressé par Paul NIZAN aux philosophes. "La pensée leur paraît être une activité vraiment pure, exercée par des êtres qui n'ont ni lieu ni temps et qui ne sont pas unis à un corps, par des êtres qui n'ont point de coordonnées. Les penseurs disent en somme que la philosophie dans tout le cours de son histoire a consisté à avancer et à retirer des pièces mobiles sur un échiquier des idées7. Plus précisément, un politologue comme M. SABOURIN s'élève à juste titre contre la "prétendue dégradation" qui résulterait de la réalisation de l'idée8.: Il constate aussi que "les idées politiques.." sont devenues des champs de bataille puisque la théorie est constamment à rapprocher de sa mise en œuvre9.

Cette conception classique de l'histoire des idées, qui valorise l'individu au détriment de la société, qui sépare le monde de l'action de celui de la pensée10 et la réalité sociale en domaines bien cloisonnés, correspond parfaitement à l'idéologie dominante. En effet, tous les intellectuels choisissent une orientation, ils sont au sens où l'entend LÉNINE, des "hommes de parti"11. Un système de pensée est soit foncièrement conforme à l'idéologie dominante, même s'il le camoufle12, soit porteur de tendances nouvelles. L'observateur d'une réalité sociale, en construisant l'objet de sa recherche13 n'échappe pas à cette règle, il est nécessairement engagé. La science politique occidentale baigne dans l'idéologie bourgeoise quand elle utilise les explications à la mode du fonctionnarisme14, à la psychanalyse15. Son hostilité à l'égard du marxisme qu'elle méconnaît et déforme16 ne doit pas conduire par réaction, à l'apologie systématique de cette doctrine17.

Notes
2.

L' "idée politique" dont l'objet est spécialisé par rapport à l'idée philosophique, se distinguerait de la "doctrine" qui vise à l'action et de la "theorie" dotée d'un "élément de systématisation". cf. F. DEMICHEL. Histoire des idées politiques à partir du XlXème siècle Lyon, Faculté de Droit 1970-1971, 419 p Annexes 87 p.

3.

cf. Bibliographie

4.

F. JACOB. La logique du vivant. Une histoire de l'hérédité. Paris Gallimard 1970 NRF 354 p

5.

ib. p. 19

6.

ib. p. 20

7.

P. NIZAN. Les chiens de garde (1932) Paris, Maspero 1974 - 154 p-p. 19

8.

P. SABOURIN. "Réflexions pédagogiques sur l'enseignement de l'histoire des idées politiques" in Politique 1968 T. XI n° 41 - 44 pp, 205-229 p. 219

9.

ib. p. 209

10.

cf. J. BENDA. La trahison des clercs (1927) Paris Pauvert 1965 "Libertés" 218p.

11.

p. 336 in V.I. LÉNINE, Matérialisme et Emprocriticisme. Notes critiques sur une phIIosophie réactionnaire (1908). Paris, Moseau, Editions Sociales, Editions du Progrès 1973. 383p.

12.

cf. P. NIZAN op. cit.

13.

P. BOURDIEU op. cit., cf. aussi pp. 16-17 in R. ROBIN La Société Française en 1789. Semur-en-Auxois Paris. Pion 1971. 522 p.

14.

M. DION op. cit.

15.

F. DEMICHEL. La psychanalyse en politique. Paris. PUF 1974. Documents Actualités 128 p.

16.

A.I. MALYCH "Karl Marx et ses critiques bourgeois d'aujourd'hui" in La Pensée n° 111, oct 1963, p. 29 à 42

17.

G.A.D. SOARES "Marxismas a général Sociological orientation" in The British Journal of Sociology Vol. XIX n° 4 dec. 1968 pp. 365-374