B - Les causes institutionnelles, politiques et idéologiques

1) Le libéralisme du régime politique britannique

Avant d'en présenter les limites, on peut voir son pouvoir d'intégration d'une éventuelle contestation révolutionnaire.

L'évolution politique de la Grande-Bretagne, est faite de concessions successives de la classe dirigeante, en faveur de la partie des classes dominées la plus dangereuse et la plus consciente politiquement. Le libéralisme est plus le fruit d'une nécessité et d'une possibilité, que d'une volonté. Au départ, les souverains ont accordé des droits au Parlement par besoin d'argent. La révolution bourgeoise, n'accélère pas la démocratisation politique. Jusqu'en 1832, les capitalistes industriels et leurs alliés des classes moyennes, sont exclus du pouvoir politique, détenu principalement, par la bourgeoisie commerçante et l'aristocratie terrienne. Ensuite, la classe ouvrière est progressivement intégrée au système politique, avec l'extension du droit de suffrage qui n'est pas encore universel après la troisième loi de réforme en 1884. Le décalage est donc net, entre l'instance politique, et le niveau des rapports sociaux.

La principale conséquence du libéralisme, est de justifier le système social dont il est l'expression. On a pu écrire à bon droit, que "le fait de participer à la vie politique, oblige à en accepter les règles145. De même le rôle des partis d'opposition dans le processus législatif favorise la tâche du Gouvernement146. Les pratiques des dirigeants ouvriers s'en ressentent. Plus largement, c'est l'ensemble de la classe ouvrière, qui souffre de légalisme, de son intégration au Parlement, et à de multiples organismes de conciliation.

Mieux vaut d'ailleurs souligner les limites des libertés et des droits. Malgré l'existence de garanties importantes, ils ont un caractère formel. Le Parlement a déterminé les libertés publiques au profit des classes dominantes147. En principe, la Grande Charte de 1215, assure l'égalité devant la loi, l'Habeas Corpus de 1679, empêche les détentions arbitraires, l'indépendance des juges est assurée depuis le début du XVIIIe siècle. La liberté d'expression est totale sauf pour les cas où la loi punit la diffamation, le blasphème, l'obscénité et la sédition148. La censure sur la presse combattue par MILTON149, a disparu en 1695. Les citoyens ont le droit de réunion, dans la mesure où ils ne gênent pas la circulation, ne portent pas atteinte à l'ordre public, et ne sont pas en uniforme, s'il s'agit d'une assemblée politique150. La Grande-Bretagne a longtemps été une terre d'asile, pour les communards par exemple151. Enfin, comme le souligne à juste titre OSTROGORSKI, le respect de la privauté de l'individu est une tradition. "La tempête et la pluie peuvent pénétrer dans la chaumière de l'ouvrier anglais, mais le roi n'y entre pas"152 .

Mais il rappelle aussi, la primauté de l'intérêt collectif. Le Settlement Act de 1662 interdit par exemple à un habitant, de quitter sa paroisse153. La limitation des droits prend un caractère temporaire dans le capitalisme libéral. L'habéas corpus est suspendu dans les périodes d'agitation révolutionnaire, 1794154 et 1817155. Avec la montée du mouvement ouvrier organisé, les restrictions sont plus nombreuses. Pendant la première guerre mondiale, la répression est généralisée contre les adversaires de la conscription, en 1915, des journaux sont supprimés, 9000 hommes passent en conseil de guerre, 5000 sont envoyés en prison ou en camp de travail156. Plus tard, des fonctionnaires communistes sont écartés de leur poste157, le parti communiste est constamment en butte à l'hostilité du pouvoir158. A l'époque actuelle de crise du capitalisme monopoliste d'état, les atteintes aux droits se multiplient. Les manifestations sont contrôlées à Londres, des militants ouvriers sont arrêtés en juillet 1972, l'état d'urgence est proclamé. La situation d'inégalité faite aux immigrants de couleur du Commonwealth159 les détentions arbitraires en Irlande du Nord, sont une violation flagrante des droits les plus fondamentaux. Les libertés qui subsistent sont de plus en plus formelles. Les moyens d'information à l'exception du Morning Star sont soumis aux puissances d'argent. Il existe d'ailleurs de véritables monopoles160, comme celui du Sunday Post en Ecosse.

On peut faire le même type d'analyse à propos du fonctionnement des institutions. Il est contestable de voir, comme le font certains auteurs,161 dans les droits donnés à "l'opposition de Sa Majesté", le fondement de la démocratie, même si le gouvernement envisage d'aider financièrement ses adversaires162, Elle traduit plutôt, l'accord des deux partis principaux sur les bases mêmes du système. Il permet à la bourgeoisie d'assurer la pérennité du régime politique qui le sert, en faisant pratiquer la collaboration de classe au parti sensé représenter le monde du travail. On peut s'étonner aussi, qu'on ait vu dans le mode de scrutin majoritaire à un tour, utilisé en Grande-Bretagne, la source d'une "démocratie directe"163, alors qu'il est largement remis en cause après les élections d'octobre 1974164.

En définitive, il semble que le libéralisme, du fait de ses limites et de sa capacité d'intégration, a été un frein au développement du mouvement révolutionnaire, Il en est de même pour les organisations de masses de la classe ouvrière.

Notes
145.

P. LALUMIERE, A. DEMICHAL. op. cit. p. 66 cf. aussi R. MILLBAND. The state in capitalist society London quartet Books 1973. 262p. p.50

146.

R. MILIBAND op. cit. ib.

147.

H. GOURDON. Libertés publiques Alger Faculté de Droit 1972-1973. 60 p. p.32 & s.

148.

J. CHAR LOT. Les Anglais devant la loi Paris. Colin 1968 "U2 256p. p.62

149.

J. MILTON. Pour la liberté de la presse sans autorisation ni censure. Aeropagitica (1644) Traduction de D. LUTAUD.Paris. Aubier Flammarion 1969, 251 p.

150.

M. CHARIOT. La vie politique, op. cit. p.11

151.

S. HUTCHINS. "The Communard. Exilés in Britain" in M T April 1971. pp.117-120

152.

M, OSTROGORSKI. op. cit. p.12

153.

ib.

154.

ib. p.115

155.

E.P. THOMPSON, op. cit. p.700

156.

A.L. MORTON, G. TATE. op. cit. p.348 - 349

157.

P.M. GAUDEMET. Le Civil service britannique. Essai sur le régime de la fonction publique en Grande-Bretagne. Paris. Colin 1952 CFNSP 173 p. p.146

158.

cf. infra le CH. II

159.

C. JOURNES. Le problème racial en Grande-Bretagne : les immigrants de couleur du Commonwealth Lyon Faculté de Droit 1972. Mémoire de DES sous la direction de Madame DEMICH EL 118p.

160.

Université d'Etat Lomonossov, "Les grands moyens d'information dans les pays capitalistes" in NRI sept. 73 n° 9. pp. 3-11

161.

A. MAURJOU. op. cit. pp. 361 -362
M, CHARLOT. La vie politique op.cit. p.10

162.

Le Monde 21-XII-74

163.

p. 124 in M. DUVERGER.Institutions Politiques et Droit Constitutionnel, 1/ Les grands systèmes politiques 13e édition 1973. 540 p.

164.

Le Monde 15-X-74.