IL est injustifié d'avoir une vision purement négative de cette étape du mouvement ouvrier, comme le font les politologues occidentaux.
On trouve chez divers auteurs bien représentés par Hannah ARENDT, l'idée que le bolchevisme et le nazisme seraient deux variantes du système totalitaire294. Le terme de totalitarisme appliqué depuis les années trente au seul fascisme, est utilisé contre les pays socialistes, au temps de la guerre froide295. Depuis cette période, les aspects négatifs de l'époque stalinienne, en particulier les grands procès, sont montés en épingle296.
Au sein du mouvement ouvrier international, les analyses les plus intéressantes du stalinisme, sont d'abord le fait de TROTSKY. Staline est pour lui, le produit de la bureaucratie297. Créé par le parti au moment où il se coupe des masses son pouvoir ne s'explique pas par ses qualités personnelles298."Le stalinisme n'est pas (....) une dictature abstraite, c'est une vaste réaction bureaucratique contre la dictature prolétarienne, dans un pays arriéré et isolé"299. Cette interprétation inspire celles d'Isaac DEUTSCHER300 ou de Jean-Jacques MARIE301, plus axées sur le personnage de Joseph STALINE302.
Le mouvement communiste international condamne la déviation stalinienne au XXe Congrès du PWS en 1956303, mais son approche reste descriptive. Le terme de "culte de la personnalité" ne constitue pas une explication, comme l'a bien montré ALTHUSSER304. Il sert pourtant de fondement au principal reproche adressé à STALINE, celui de "violation de la légalité socialiste". Les partis communistes occidentaux reprennent les vues soviétiques, mais le P C F reste un temps attaché aux mérites de STALINE305, et pour lui, la déstalinisation est assez lente306. Une analyse marxiste ne peut se contenter de décrire quelques faits relevant de la superstructure. Il faut les mettre en rapport avec le reste de cette superstructure, le Parti et l'Etat essentiellement, ainsi qu'avec les rapports de classe existant en U.R.S.S307.
Au sein du PCF, Michel VERRET308 puis ELLEINSTEIN ont étudié le stalinisme comme un "phénomène spatio-temporel" 309, propre à la construction du socialisme en U R S S. Les difficultés tenant à l'isolement du pays, à la poursuite de la lutte intérieure, et à l'existence d'un parti unique, semblent avoir été des éléments décisifs. La psychologie de Staline et surtout l'inculture des masses, ont favorisé le "culte de la personnalité" 310.
Signalons dans une optique assez différente, les éléments relevés par Roy MEDVEDEV311, l'incapacité de l'opposition à fournir une solution de rechange312, le conservatisme et le dogmatisme chez une partie des cadres révolutionnaires313, enfin, l'insuffisante éducation des travailleurs314. Ce dernier trait permet de comprendre l'immense popularité de Staline, et l'impossibilité de le critiquer, sans plonger dans le désarroi la classe ouvrière et affaiblit ainsi le système socialiste.
Les analyses communistes du stalinisme souffraient au départ de trop de volontarisme. Celles de SARTRE au contraire315 étaient d'un déterminisme absolu. Il refusait de voir dans le stalinisme une déviation du socialisme. Il s'agissait pour lui, d'un "détour (…) imposé par les circonstances"316.
H. ARENDT. Le système totalitaire Paris Seuil 1972 "Politique" 313p. Traduction française de The Origins of Totalitarianism (1951)
A. GISSELBRECHT. "La theorie du totalitarisme" in L'Humanité 22.XI.74
A. KRIEGEL. Les grands procès dans les systèmes communistes. La pédagogie infernale. Paris Gallimard 1972 "Idées" 189 p.
L. TROTSKY. Défense du Marxisme URSS, marxisme et bureaucratie (1942) Etudes et Documentation Internationales Paris 355 p.. Préface de P. NAVILLE Introduction de JJ. MARIE.
L. TROTSKY. Staline (1940). Paris 1948 Grasset 620 p. p. XILL & XIV
Extrait de L. TROTSKY. Leur morale et la nôtre (1938) cité p. 328 in J. BAECHLER. Politique de Trotsky. Choix et présentation de textes. Paris Colin 1968 339 p.
I. DEUTSCHER. Staline Paris Le Club du meilleur livre 1961. 601 p.
J.J. MARIE. Staline Paris Seuil 1967 307 p.
cf. aussi D'ASTIER. Les Grands Paris, Gallimard 1961 213p. pp. 11-14 "Staline" Interprétation étrangère au marxisme.
J. ELLEINSTEIN. Histoire de l'U.R.S.S. T IV L'U.R.S.S. contemporaine Paris Editions Sociales 1975 324p. p. 99 & s. cf. aussi "résolution du C.C. du P.C.U.S. du 30 Juin 1956 sur le "culte de la personnalité" Extraits pp. 285-298 in Histoire de l'U.R.S.S. T Il Le Socialisme dans un seul pays (1922-1939) Paris Editions Sociales 1973 318p.
L. ALTHUSSER. Réponse pp. cit. p. 65 & s.
J. FAUVET. Histoire du parti communiste français T Il Vingt-cin° ans de drame (1939-1965) Paris Fayard 1965 405p. p. 283 & s.
C. YSMAL. "Le parti communiste français face au Stalinisme" in Le Monde 14/2/74
L. ALTHUSSER. Réponse, op. cit. pp. 65-66
M. VERRET. Theorie et politique. Paris Editions Sociales 1967. 188p. "Remarques sur le culte de la personnalité", pp. 9 - 58. cf. aussi La Nouvelle Critique dec. 1963 n° 151 "Réflexions sur le culte de la personnalité".
J. ELLEINSTEIN op. cit. T Il p. 233
M. VERRET op. cit. p. 22 & s.
(Roy) MEDVEDEV. Le Stalinisme, Origines, histoire, conséquences. Paris Seuil 1972 638p.
ib. p, 116- 117
ib. p. 467
ib. p. 477
J.P. SARTRE. Situations VI problêmes du marxisme 1 Paris Gallimard 1964 N R F 385 p. p. 80 & s. "Les communistes et la paix".
p. 642 in SARTRE. "Le fantôme de Staline" in T.M. nov. dec. 56 janv. 57 n° 129, 130, 131. pp. 577-596 Texte repris in Situations VIL problèmes du marxisme 2 Paris. Gallimard 1965 N R F 345 p. pp. 114-307