Trois événement donnent naissance à la plupart des partis communistes. La guerre d'abord, marque l'échec de la deuxième Internationale et l'aggravation de l'exploitation en Europe359, La révolution d'octobre ensuite, mobilise le prolétariat britannique360. Sa défense va devenir pour l'avant-garde de la classe ouvrière européenne, "le ferment de la révolution mondiale"361; d'autant plus qu'elle représente une forme nouvelle et victorieuse de construction du socialisme362. Le dernier élément est constitué par des luttes sociales d'après la guerre qui suivent le pacifisme révolutionnaire. Il est nécessaire de les coordonner sur le plan interne et international.
Parmi les organisations qui fondent le parti communiste, la plus importante et la plus ancienne, est le British Socialist Party. C'est l'héritier de la Social Démocratie Fédération (1881) rebaptisée Parti Social Démocrate (S.D.F.) en 1908, et élargie à des membres de la gauche de l'Indépendant Labour Party (I.L.P.) et des clubs socialistes locaux363. Le B.S.P. réintègre en 1916364 le Labour Party que la S D F avait quitté quand il n'était encore qu'un Labour Représentation Committee. Mais la direction du parti est gagnée par les effets idéologiques de l'impérialisme. HYNDMAN a par exemple une attitude ambiguë à l'égard de la guerre contre les Boers365 ; il est favorable à la première guerre mondiale, soutenu en cela par la majorité de l'exécutif. Mais les internationalistes et leur organe The Call (L’Appel) finissent par l'emporter366 en 1916367. Le "vote pour l'internationalisme et la paix" est pour eux "un vote de la base"368. En octobre 1917, le B.S.P. est le seul parti social démocrate de l'Ouest à soutenir les bolcheviks contre les opportunistes369, Il joue ensuite un rôle déterminant contre l'intervention en Russie et adhère à une majorité massive à la IIIe Internationale, quelques mois après sa fondation en 1919. Les liens entre les mouvements révolutionnaires, anglais et russe, sont favorisés par l'existence en Grande-Bretagne, d'une colonie d'émigrés russes réfugiés après les pogromes. Elle est active dans le B.S.P et sert l'Etat soviétique après la révolution, De la même façon, la présence en Russie de membres du B.S.P. surtout de Théodore ROTHSTEIN, facilite l'affiliation au Komintern370.
En dépit de son implantation relativement faible, moins de 6000 membres en 1920, et surtout de son sectarisme, le B.S.P. a maintenu vivant l'héritage marxiste devant la montée du réformisme, et a donné des dirigeants de valeur au mouvement ouvrier. Parmi ses responsables, citons son secrétaire depuis 1911, Albert INKPIN, secrétaire général du P.C.G.B. de 1920 à 1929, parmi ses membres Harry POLLITT qui lui succède jusqu'en 1956, et William GALLACHER élu député en 1935 et 1945.
Le Socialist Labour Party371, est formé en 1903 par des membres écossais de la S.D.F. exclus pour avoir critiqué son soutien à l'entrée du socialiste français de droite MILLERAND, dans un ministère bourgeois en 1900, et son réformisme habituel. Ce mouvement, inspiré du De Léonisme, mélange d'idées empruntées à LASSALLE et d'anarchisme, critique les opportunistes, mais se montre dogmatique, en proposant la création de nouveaux syndicats de préférence à un travail dans les anciens, et en exprimant sa réserve à l'égard du Labour Party. C'est le meilleur moyen de se couper de la masse des ouvriers pour lesquels l'adhésion à un syndicat est souvent la première manifestation d'une conscience sociale. Le marxisme du S.L.P. parait figé, mais sa conception d'un parti d'élite, est proche de celle des bolcheviks372. Son souci d'une "participation militante"373 au Parlement l'incite à présenter des candidats aux élections locales et nationales conformément à ce que seront les directives de l'Internationale.
Le S.L.P. diffuse les idées socialistes à travers The Socialist qui tire en janvier 1920 à 8000 exemplaires, et la publication des classiques du marxisme, de Lénine en particulier. Les effectifs globaux sont réduits, 1250 membres en 1920, mais il a une base de masse en Ecosse, essentiellement dans te Clyde, et dans le Yorkshire. Il lutte contre la guerre et défend l'U.R.S.S Les principaux dirigeants à la fin de la guerre, Arthur Me MANUS, Tom BELL, Jack MURPHY, William PAUL, joueront un rôle de premier plan au parti communiste 374
La Workers' Socialist Federation dominée par Sylvia PANKHURST responsable de gauche des suffragettes, et implantée dans l'East End de Londres, n'a que quelques centaines de membres375. Elle s'oppose à la guerre et soutient la révolution de 17 et ses suites dans le Workers' Dreadnought. Mais son opposition à tout contact avec le Labour Party, à la participation au Parlement, aux luttes économiques et au travail syndical, la feront bientôt qualifier de gauchiste par Lénine376.
La South Wales Socialist Society377, fédération de clubs socialistes locaux, participe plus faiblement à la formation d'un parti communiste, mais elle assure le lien avec les militants miniers et métallurgistes les plus avancés. Il y a en effet au Pays de Galles, une tradition d'opposition à la direction droitière des syndicats, et les idées marxistes y sont assez répandues.
Les comités de délégués d'atelier et d'ouvriers Shop stewards' and workers' committees, sont passés d'une action contre les incidences économiques de la guerre, à une action globale dont l'exemple type est la révolte de la Clyde sous la direction de GALLACHER et de John Mac LEAN378. En 1916, est créé, le National Shop Ste wards' and workers' Committee Movement (Mouvement National des Délégués Syndicaux et des Comités de Travailleurs)379. Il soutient la révolution d'octobre et surtout les soviets, dont la forme d'organisation lui paraît correspondre à la sienne. En janvier 1920, une Conférence Nationale décide l'affiliation à la 3e Internationale. Ce courant très opposé au parlementarisme, en raison de l'attitude des travaillistes de droite, est trop divers pour former en tant que tel une part du P.C.G.E.B., mais constitue une pépinière de révolutionnaires380, parfois favorables à un mouvement écossais autonome381.
Parmi les groupes moins importants, on peut citer une partie du personnel du Daily Herald,.l'aile gauche de tendance marxiste des Guild Socialists382, des inorganisés, membres des comités "bas les mains en Russie", et des sociétés locales révolutionnaires ou socialistes comme The Socialist Prohibition Fellowship. En 1921, la minorité marxiste de l'I. L, P. rejoindra le parti communiste.
En dépit d'une diversité qui ralentit la formation du parti communiste, ces groupes ont en commun d'être hostiles au capitalisme et au réformisme383. Malgré leur approche souvent dogmatique, ils ont parfois joué un rôle important dans la diffusion du marxisme. La publication commune de l'Etat et la Révolution par le B.S.P. et le S.L.P. favorise le processus unitaire à partir de l'automne 1918384. Il faut attendre 1925 en France, pour que cet ouvrage connu de quelques militants depuis 1919, soit véritablement disponible.385
La première tentative d'unification est marquée par des discussions entre le B.S.P. le S.L.P. et l'I.L.P. en mars 1919 ; elles aboutissent à un accord pour pousser le Labour Party à s'opposer à l'intervention en Russie. Mais la rupture se fait sur l'appréciation de l'évolution du régime soviétique, l'I.L.P. réformiste souhaite une transformation graduelle du capitalisme. Finalement l'organisation socialiste la plus importante, plus de 37.000 membres en 1920, reste à l'écart du parti communiste386. L'unité ne peut venir que des groupes marxistes.
C'est la phase suivante des négociations. La troisième Internationale est fondée en mars 1919. Le 13 mai, des représentants du B.S.P., du S.L.P. de la W.S.F. et du S.W.S.S. se réunissent à Londres, en vue de former un parti communiste britannique. L'accord se fait sur les principes : révolution socialiste, dictature du prolétariat, pouvoir des soviets ou des conseils ouvriers, mais pas sur la stratégie. Le S L P et le B S P sont seuls à défendre la participation au Parlement. On lit par exemple dans The Call "L'élection de représentants socialistes au Parlement est une arme que nous refusons d'abandonner, non parce que c'est la seule que nous avions, mais simplement parce que dans la lutte de titans qui se présente à nous, nous ne pouvons négliger aucune arme"387. L'affiliation communiste au Labour Party, est prônée seulement par le B.S.P. qui en est membre. Il avance qu'une activité politique autonome,et une critique des dirigeants réformistes y sont possibles.
Malgré les difficultés dues à la création à Amsterdam d'un comité Ouest européen de l'Internationale Communiste, opposé à l'adhésion au Labour Party388 et les manœuvres de division de la W.S.F. qui forme le 10 juin 1920 un "parti communiste", s'ouvre à Londres du 31 Juillet au 1er août 1920, une convention pour l'unité communiste. Elle rassemble une majorité de membres du B S P et des Communist Unity Groups389 créés par les militants du S L P favorables à l'unité.
Les questions évoquées lors de cette Convention, le sont aussi au deuxième congrès de l'Internationale communiste du 19 juillet au 7 août 1920390. LÉNINE inquiet de la montée du gauchisme en Europe, s'oppose aux délégués britanniques, surtout à GALLACHER et à Sylvia PANKHURST391. Ses idées finissent par l'emporter392.
On peut dire que l'influence de l'Internationale a été le facteur décisif dans l'unification communiste en Grande-Bretagne, mais par la suite l'action de ses représentants dans ce pays tel BORODINE, est plus difficile à évaluer393. La dictature du prolétariat défendue par LÉNINE contre KAUTSKY394, et qui figure dans le programme du parti communiste allemand rédigé par Rosa LUXEMBOURG395, est unanimement acceptée par les révolutionnaires anglais. Elle constitue le point de rupture entre réformistes et révolutionnaires dans le mouvement ouvrier, et détermine les traits spécifiques du parti de type nouveau396. La forme de cette dictature doit être le pouvoir des soviets397.
Sur la réalisation de cette stratégie, les avis sont très partagés. Lénine justifie la critique de la pratique parlementaire des réformistes, coupée de toute action de masse, mais il est favorable à une participation communiste au Parlement, utilisé comme tribune. Ce nouveau style de représentation est possible, pour un parti vraiment lié aux masses. La seconde question débattue, est l'adhésion au Labour Part y. C'est un parti bourgeois si l'on considère la politique de ses dirigeants. Mais il regroupe au travers des syndicats, la majorité des ouvriers. Il est très important de ne pas rompre avec eux, et l'affiliation au parti travailliste est d'autant plus souhaitable, que les organisations qui le composent conservent leur autonomie.
La convention de Londres se prononce à une large majorité398, pour un refus de la voie parlementaire de passage au socialisme, tout en admettant une participation au Parlement. L'adhésion au Labour Party est décidée plus difficilement. Enfin, rien n'est prévu quant à l'organisation, sinon l'obligation de discipline pour les membres. La fusion est réelle mais pas définitive399.
Les négociations se poursuivent après le Congrès de l'Internationale. A la conférence de Leeds du 29 au 30 janvier 1921, tous les groupes marxistes restés hors du P.C. se fondent en son sein sauf la gauche de l'I.L.P. Il s'agit des communistes écossais, du "parti communiste" de Sylvia PANKHURST et du National Shop Ste wards' and Workers' Committee Movement.
Le gain est essentiel pour la classe ouvrière britannique. Les groupes marxistes, divisés dès leur origine, sont à présent unis. H. PELLING condescend à accorder au P.C.G.B. une part dans la filiation révolutionnaire400, en insistant surtout sur la forte présence dans le parti de "personnes qui ne sont pas d'origine anglaise"401. Mais la structure de l'organisation est lâche, de type ouvrier, il ne compte que 3000 membres. La précarité de son unité, est aussi grande que celle de ses analyses402.
"Les pays avancés se transforment (.....) en bagnes millitaires pour les ouvriers" p. 331 in LÉNINE L'Etat et la Révolution in Oeuvres op. cit. T II
p. 21 A. HUTT. The post war history of the british working class. London. Gollancz, 1937, 320 p. p. 68 D. THOMSON. England in the twentieth century (1914-1963) Penguin Books 1965 304 p.
A. KRIEGEL. Aux origines op. cit. p.40
ib. p. 186
cf. supra Introduction
A.L. MORTON, G. TATE. op. cit. p. 317 - 318
Our History 1974. The social democratie fédération and the boer war 19 p.
C'est le seul parti ouvrier d'Europe occidentale, où le cas se produise p. 351 & 359 A.L. MORTON, G. TATE, op. cit.
The Call An Organ of International Socialism (à partir du 24 février 1916)
"Long Live the B.S.P." in The Call 4/5/1916
J. KLUGMANN. op. cit. p. 17
pp. 82 - 83 W, KENDALL. The revolutionary movement in Britain 1900-1921 The origins of British communism London Weidenfeld & Nicholson 1969 453 p.
J. KLUGMANN. op. cit. pp. 17 - 20
W. KENDALLop. cit. p. 76
J. KLUGMANN. op. cit. p. 19
p. 28 Me FARLANE. The British Communist Party its origin and development until 1929 London Mac Gibbon and Kee Ltd 1966 338 p.
J. KLUGMANN op. cit. p.21
V.I. LÉNINE. La Maladie infantile op. cit. p. 466 & s
J. KLUGMANN. op. cit. p.22
P. KERRIGAN. "On the 50 th Anniversary of his death, John Mac Lean" in MT nov. 73 pp. 324-328
A.L. MORTON, G. TATE. op. cit. p.350
J. KLUGMANN. op. cit. p. 22 & s.
Me FARLANE. op. cit. p. 40 & s.
Le GuIId Socialism correspond à la volonté de certains intellectuels, d'adapter l'anarchosyndicalisme aux conditions de la vie parlementaire en Grande-Bretagne, p. 312 A.L. MORTON.G.TATE. op.cit.
J. KLUGMANN. op. cit. p.27
ib. p. 17
p. 21 & 294 • 295 in La fondation du Parti Communiste français et la pénétration des idées léninistes en France Cinquante ans d'action communiste (1920 - 1970) Compte-rendu analytique du colloque scientifique organisé par l'Institut : Maurice Thorez (Paris 31 octobre, 1er et 2 novembre 1970} Paris Editions Sociales 1971. 334 p
J. KLUGMANN. op. cit. p. 125
F. WILLIS. "The B.S.P. and Parliament" in the Call 13/11/1919
Ce comité est dissout par l'Internationale
Respectivement 96 et 22 sur un total de 160 délégués J. KLUGMANN. op. cit. p. 40 & s.
G. COGNIOT. op. cit. p. 55 & s
J. KLUGMANN, op. cit. T. I p. 50 & s.
V.I. LÉNINE. "Letter to Sylvia PANKHURST" 28 Aug 1919 pp. 243 - 248 in Lenin on Britain. op. cit. "Message to the First Congress of the Communist Party of Great Britain" ib. p. 261 "Speech on the role of the Party at the Second Congress of the Comintern" pp. 263 • 266 ib, "Speech on the Labour Party at the Second Congress of the Comintern" pp. 267 -271 ib. La maladie infantile, op. cit. J. LIOUBOV. "Un écossais combattif" pp. 34 - 65 in Révolutionnaires de l'époque de Lénine Moscou 1969 Editions du Progrès 431 p.
p. 233 W. KENDALL. op. cit.
V.I. LÉNINE. La révolution orolatérienne et le renégat Kautsky (1918) pp. 71 - 171 in Oeuvres T III
cf. p. 233 in "Que veut la ligue spontakiste ? " (Programme du parti communiste allemand) in Rosa LUXEMBURG Textes Présentation de C. BADIA Paris Editions Sociales 1969 324 p.
D. TARTAKOWSKY. "Autour des vingt et une conditions" in Cahiers de l'Institut Maurice Thorez n° 7 2e trimestre 1974 pp. 22 - 43
"Thèses de Lénine sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne' pp. 6 - 10 in Manifestes, op. cit.
Par 100 voix contre 85 J. KLUGMANN. op. cit. p. 48
J. KLUGMANN. op. cit. p. 49
H. PELLING. The British op. cit. p. 1
ib. p. 15 cf. contraMc FARLANE op. cit. p. 59
J. KLUGMANN. op. cit. p. 198