§ II - Les suites de la grève. La période de lutte "classe contre classe"

Durant cette période, le P C bénéficie d'abord de sa fermeté pendant la grève, puis souffre ensuite d'isolement quand il adopte une "nouvelle ligne" de 1928 à 1932.

L'idée de bolchevisation est au centre du cinquième Congrès de l'Internationale, qui commence le 17 juin 1924482. Elle repose sur deux principes483. Il s'agit d'une part de modifier l'assiette sur laquelle repose la pyramide des organisations, en donnant la priorité aux cellules d'entreprise. Il importe aussi d'assurer une stricte hiérarchie au lieu de laisser autonomes les organisations inférieures. La stratégie de l'Internationale divisée après la mort de Lénine, est plus contestable. ZINOVIEV conçoit le "front unique" surtout comme un moyen d'agitation et attaque violemment la social démocratie484. L'Internationale est heureusement plus lucide sur les problèmes coloniaux.

Le P.C. britannique adopte en conséquences les thèses sur un parti de masse et la bolchevisation485. En 1925-1926, il essaie dans cette optique de créer un réseau de cellules d'entreprise. Ses idées pénètrent à travers les journaux d'entreprise et surtout le Workers'Weekly. remplacé en mars 1925 par le Sunday Worker, qui tire à 85.000 exemplaires au début 1926486. Mais le parti reste sectaire, son objectif premier est la "révolution prolétarienne". Il progresse malgré. tout nettement après la grève générale, passant de 5000 membres seulement, à son 7e Congrès487, à 10.000 en octobre 1926488.

Il peut donc jouer un rôle actif dans les luttes sociales. Il soutient par exemple, avec le mouvement de la minorité, les mineurs qui poursuivent leur grève, et l'embargo sur les importations de charbon, alors que syndicats et Labour Party restent passifs489, le Conseil Général se montrant même hostile490.

Mais la classe dirigeante réussit à isoler les communistes, et par la même les mineurs au terme d'une vigoureuse campagne idéologique. Elle utilise aussi la répression et surtout les dirigeants droitiers du mouvement syndical et travailliste. Le Trade Dispute and Trades Unions Act de 1927491, appelé souvent "la charte des jaunes" est la législation la plus réactionnaire depuis les "combination laws" de 1799 - 1800. Elle interdit les grèves générales et les grèves de soutien : les non grévistes peuvent attaquer leur syndicat en cas d'expulsion. Les piquets de grève sont quasiment prohibés et la cotisation politique des syndicalistes est désormais le fruit d'une volonté expresse492. La recherche de l'appui d'une partie de la classe ouvrière, la collaboration de classes, est visible dans le rapport met sur le chômage, elle est l'essence du Mondisme, moyen de concertation des industriels et des syndicalistes,493 accepté par le T.U.C. de Swansea en 1928. Dans cette optique, la lutte des classes et les revendications traditionnelles sont abandonnées au profit d'une gestion des entreprises par les industriels et d'une participation des syndicats à l'organisation de l'industrie494.

Les progrès de l'aile droite du mouvement ouvrier sont patents. Même l'aile gauche du Labour Party s'oppose au R C en même temps que l'aile droite syndicale, en septembre 1926 au Congrès des Syndicats à Bournemouth495. Des syndicats évincent les communistes des responsabilités et de tout emploi syndical496. Au Labour Party, le renforcement de la tendance Mac Donald aboutit à la désaffiliation de treize partis locaux qui n'avaient pas exclus les communistes497. A Blackpool en 1927 dans le programme, les "corporations publiques" remplacent les nationalisations498. Quant à l'I.L.P. qui représente le groupe socialiste le plus nombreux, et qui a refusé en 1925 et en 1936, pour des raisons de doctrine, toute action commune avec le P.C.499, il se présente volontiers comme une autre possibilité que le communisme500. C'est le deuxième Gouvernement travailliste, formé après les élections de 1929, qui porte la marque la plus nette du réformisme, et suscite le plus d'oppositions, de la part du mouvement de la minorité501, et même du Conseil Général du T.U.C.502, en particulier au sujet de la commission royale d'assurance chômage, et de la politique de déflation.

Il n'est pas étonnant que le mouvement syndical soit discrédité503, et que le P C durcisse son attitude. La nouvelle "ligne politique" du P.C. est adoptée à l'instigation de DUTT et POLLITT504, en application des directives de l'Internationale, qui considère que la stabilisation du système capitaliste est terminée et qu'une action révolutionnaire est possible. La social-démocratie des pays capitalistes apparaît alors comme isolée des travailleurs et faisant bloc avec la bourgeoisie en face des communistes. En octobre 1927, le secrétariat politique du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, définit la tactique électorale à adopter en France et en Grande-Bretagne505.

Cette ligne "classe contre classe"506 conduit en 1929 à la veille des élections, le P.C. à accuser le Labour Party et les syndicats de favoriser la guerre impérialiste contre l'U. R.S.S. qui lui parait imminente. La victoire du socialisme international et l'établissement d'une république socialiste mondiale peuvent seuls sauver la paix. Mais en tout état de cause, en cas d'attaque contre l'U.R.S.S., les militants ouvriers devraient défendre "leur partie socialiste"507. La "lutte révolutionnaire" contre la guerre, parait donc nécessaire508. Le P.C. qui a présenté 25 candidats aux élections509 n'a que 50.000 voix au total510. En 1930, les effectifs du parti s'effondrent511. Il poursuit de façon constante, sa critique du parti travailliste qui est un des "partis du capitalisme"512, qui s'est contenté de gérer la capitalisme, alors que les travailleurs par deux fois lui avaient fait confiance513. Le P C est au contraire "le parti des ouvriers révolutionnaires", une section de l'Internationale Communiste , dont l'objectif est la révolution mondiale. La seule façon de surmonter la crise, c'est "le chemin de la dictature du prolétariat et de la révolution socialiste, du Gouvernement des Soviets des Ouvriers, des soldats et des marins britanniques"514

Le P C sort progressivement de son isolement. En même temps des changements se font jour dans la direction du parti. CAMPBELL qui est à sa tête depuis la mort de Mac M ANUS en 1927, ne fait plus partie du bureau politique515. En août 1929, POLLITT devient secrétaire général et le restera pendant 27 ans516. Le lancement du Daily Worker en janvier 1930, alors que le Daily Herald est bientôt racheté par un groupe financier517, la campagne pour la charte ouvrière par le biais d'un front uni ouvrier autour du mouvement de la minorité sur le double objectif de la défense des salariés et des chômeurs518, ont un impact certain. Aux élections de 1931, les voix du parti atteignent le total de 75.000, soit o, 3 % des suffrages exprimés519.

A partir de l'automne 1931, les luttes plus ou moins spontanées se durcissent520, les 3 millions de chômeurs y jouent un rôle important. Le P.C. organise des marches qui lui valent des représailles. La répression est plus dure qu'avant. Dans ce contexte, le parti change d'orientation, mais les effets de cette politique sectaire ont abouti dans plusieurs cas, à faire élire des conservateurs ou des libéraux au détriment des travaillistes521. La fondation de syndicats communistes dans certaines industries en compétition avec les organisations existantes, est tout aussi contestable522. Les conséquences sont les mêmes dans les autres pays523. A plus long terme, certains membres du P.C.B.G. témoignent encore d'un dogmatisme, lié aussi au fait que leur organisation est plus une société de propagande qu'un mouvement de masse.

Malgré le poids des problèmes internes, le P.C. ne perd pas de vue la lutte contre l'impérialisme britannique qu'il combat seul. Convaincu que les travailleurs britanniques et les peuples coloniaux ont le même ennemi, il a clarifié sa position à son 7e Congrès en mai 1925 et soutient dès lors leur indépendance, alors que cette idée n'effleure pas le Labour Party524. Il prend contact avec les communistes d'Egypte, les cercles marxistes en Inde, l'embryon de P C en Palestine, les communistes chinois et le Kuomintang. L'effet des discours du député communiste SAKLATVALA, lui-même immigrant indien, est important. La campagne "Bas les mains en Chine" animée par 70 comités, se caractérise par un soutien aux ouvriers du textile en grève à Shangafen 1925, puis à l'ensemble du mouvement, quitte à critiquer ensuite l'aile droite du Kuomintang. En 1927 les communistes créent la Ligue contre l'impérialisme525.

Notes
482.

G. COQNIOT op. cit, p, 86 & s

483.

A. KRIEGEL Le Pain et les Roses Jalons pour une histoire des socialismes. ParisPUF 1968 257 p. 205

484.

G, COGNIOT, op. cit. p 187 A. KRIEGEL Les Internationale ouvrières (1864-1943) Paris PUF 1966 "Que sais-je ?'" 2e éd. 128 p.

485.

J. KLUGMANN op. cit. Il p. 334 - 335

486.

Mc FARIANE op. cit. p. 123

487.

J. KLUGMANN op. cit. Il p. 334

488.

date du 8e Congrès 16-17 octobre 1926 ib. p. 346

489.

A. HUIT op. cit. p. 165-166

490.

ib. p. 170

491.

ib. p. 175-176

492.

Le Labour Party perd ainsi un tiers de ses ressources, mais les syndicats se sentent plus solidaires de lui. cf. H. PELLING Histoire op. cit. p. 209

493.

A. HUTT op. cit. p. 177 & s.

494.

ib. pp. 178-179

495.

J. KLUGMANN op. cit. II , p. 271 & s.

496.

A. HUTT op. cit. p. 183

497.

ib. p. 189 • 190 A la conférence de Margate en 1926

498.

ib. p. 190- 191

499.

J. KLUGMANN op. cit. Il p. 164

500.

A. HUTT op.cit. p. 191-192

501.

ib. .p. 207-208

502.

H. PELLING Histoire. op. cit, p. 213

503.

Entre 1926 et 1928 l'affillation au T U C baisse de 500.000 A. HUTT op. cit p. 187

504.

N. WOOD. Communism and British intellectuels London Gollancz 1959 256 p. p. 25

505.

G. COGNIOT op. cit. pp. 99-101

506.

PALME DUTT The Election and the coming war London Communist Party 1929 20 p

507.

ib. p, 12

508.

ib. p. 20

509.

A. HUTT op. cit p. 196

510.

1376 membres WOOD (N.) op. cit. p. 23

511.

R.P. DUTT. The workers' answer to the crisis Communist Party of great Britain 1931 16 p.

512.

ib. p. 4

513.

ib. p. 7

514.

ib. p. 13

515.

H. PELLING. The British op. cit. p. 52

516.

MATKOVSKY op. cit. p. 43

517.

A. HUTT. op. cit. p. 209

518.

R.P. DUTT. The worker's op. cit. p. 14

519.

M. CHAR LOT. La démocratie pp. cit. p. 141

520.

A. HUTT. op. ctt p. 214 & s.

521.

M. CHAR LOT. La démocratie op. cit. p. 140 - 141

522.

H. PELLING. Histoire op. cit. p. 22 & s.; The Britain op. cit. p. 58 & s.

523.

A. KRIEGEL. Les Internationales, op. cit. p. 93 & s.

524.

I. COX art. cit. ib.The Daily Worker may june 1930

525.

A. HUTT op. cit p. 173