§ III - Le temps des alliances et le combat contre le fascisme

Dès le mois de janvier 1932, son isolement inquiète le P.C.526. Le Congrès de fin d'année constate quelques progrès, mais le parti reste un parti de chômeurs. Il appelle à l'unité d'action contre le Gouvernement national, et insiste sur la nécessité d'organiser "le front uni de lutte embrassant les masses les plus larges des travailleurs dans les usines et les syndicats et comprenant les femmes qui travaillent et les ménagères"527. Concrètement, il renonce au Mouvement national de la minorité qui s'est affaibli au cours des années précédentes, et abandonne les syndicats communistes528.

L'aggravation de la répression529, amène une évolution à gauche du Labour Party, la désaffiliation de l'I.L.P. en juillet 1932 et le développement en son sein au début de l'année d'un Comité Politique Révolutionnaire favorable à une ligne politique inspirée du marxisme mais très critique à l'égard du P.C. quoique favorable à un front unique avec lui. Cette minorité révolutionnaire opposée au départ du Labour Party, fonde la Ligue Socialiste avec Sir Stafford CRIPPS530.

L'avènement d'HITLER au pouvoir, marque le début d'une époque sur le plan international. Sur le plan interne, la loi sur l'incitation à la désertion en 1933531, la loi sur le chômage en 1935532, la politique belliciste et le refus de toute aide à la République Espagnole, témoignent d'un des Gouvernements les plus réactionnaires que l'Angleterre ait jamais connus533.

L'unité ouvrière se manifeste dès 1933-34 dans les grèves non officielles, le T.U.C. de 1934 va même jusqu'à la revendiquer534, mais pendant toute cette période, la direction réformiste du mouvement ouvrier s'oppose à toute action avec les communistes malgré les succès de la politique de Front Populaire en France, et le désastre imposé par une politique opposée en Belgique535. Il en est ainsi pour la participation des communistes à une manifestation contre le chômage à Londres en février 1933, malgré leur action décisive dans ce domaine536. De même, le parti travailliste et le T.U.C. refusent de participer au front uni organisé par le P.C et l'I.L.P. Ils publient même un manifeste "La démocratie contre la dictature" (Democracy versus Dictatorship) qui affirme la valeur des principes constitutionnels et présente la dictature fasciste et la dictature du prolétariat comme des équivalents537. Seuls le PC et la gauche travailliste, combattent vigoureusement l'Union Britannique des Fascistes créée en 1932 par MOSLEY, que la direction du mouvement ouvrier préfère ignorer. En 1934 le Conseil Général du T.U.C. refuse de travailler avec le mouvement national des chômeurs538 et émet en 1935 une "circulaire noire"539 qui incite les syndicats à exclure les communistes des postes de responsabilité et oblige les conseils de métiers qui veulent être reconnus par le T.U.C, à exclure les délégués communistes. Enfin le parti travailliste où l'opposition à la guerre est manifeste en 1933, soutient finalement la politique de réarmement du Gouvernement national, sous l'impulsion des syndicats540.

Dans cette période de transformation, des changements se manifestent dans les forces de gauche, en leur sein et dans leurs rapports.

L'I.L.P, après une période de sympathie pour la 3e lutte nationale, tombe sous l'influence du trotskysme et se livre à des attaques contre l'U.R.S.S. et le P.C. A, l'automne 1935, son Comité Politique Révolutionnaire adhère en bloc au parti communiste541.

Le P.C. quoique toujours assez peu nombreux, s'est développé quantitativement et n'est plus pour l'essentiel un parti de chômeurs. Son action antifasciste lui a valu la sympathie de la communauté juive de l'East End542 qui possède une tradition radicale543. Au Congrès de février 1935 du P.C. sur 294 délégués, 205 sont pourvus d'un emploi et 234 sont des syndicalistes pour les deux tiers d'entre eux, titulaires de responsabilités. Le P.C. adopte alors pour la première fois, un programme pour la révolution socialiste en Grande-Bretagne, For Soviet adopte C'est la suite du 7e Congrès de l'Internationale Communiste dans l'été 1935, lors duquel DIMITROV a souligné la haine croissante de la classe ouvrière pour le Gouvernement National et la demande très répandue d'un nouveau Gouvernement travailliste en Grande-Bretagne. Les communistes quoique partisans d'un Gouvernement soviétique, ne peuvent ignorer ce courant. Ils envisagent donc de soutenir un Gouvernement travailliste, malgré les expériences précédentes. Même s'il ne prend pas de mesures socialistes, il faudra qu'il défende les intérêts essentiels des travailleurs définis dans un programme unitaire544.

Les tentatives d'unité du P.C.545 avec le Labour Party échouent. Il le soutient pourtant en 1935, sauf pour deux candidats propres POLLITT et GALLACHER, élus à cette occasion. Alors que le Gouvernement d'Union Nationale laisse faire les fascistes à la nuance près du Public Order Bill, qui peut d'ailleurs être utilisé contre la classe ouvrière, le Labour Party rejette à nouveau la demande d'affiliation du P C à la fin 1935, malgré un vaste courant: même de la société fabienne546. Dans l'été 1936, le Labour Party tire argument de l'insignifiance du P C. 7000 membres en 1935, et de sa prétendue sujétion financière et politique à l'U.R.S.S. en vue de détruire les mouvements ouvriers existants et le système social547.

De la même façon, le mouvement travailliste agit très modérément à propos de la guerre civile en Espagne548, alors que le P C demande au Gouvernement britannique de fournir aux républicains, l'essence puis les armes dont ils ont besoin549. Au début de 1937, la campagne du P. C. de l'I.L.P. et de la Ligue Socialiste pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme et le retour d'un gouvernement travailliste aboutit à l'expulsion de la Ligue,du parti travailliste550.

Outre la participation directe dans certains cas à la guerre d'Espagne, les succès dans les luttes sociales, les progrès du frontisme s'observent à travers le phénomène des compagnons de route551, important aussi en France552.

L'apparition d'une intelligentsia avancée dans les années trente, est liée à de profonds changements. La dépression et le chômage affectent même les classes moyennes553. Des publications comme Student Vanguard parlent de ce problème et du danger d'une récupération par le fascisme, cristallisée par l'échec du deuxième Gouvernement travailliste, et l'incompétence des Conservateurs. La détérioration de la situation internationale et le risque de guerre est l'autre raison de cette attirance pour le communisme, qui de l'avis de KEYNES, est alors pour la jeunesse une forme de non conformisme554. On en trouve la trace dans les poèmes d'AUDEN en 1930, dans le "First Hymn to Lenin" de Hugh Mc quoique en 1931, dans l'anthologie New Signatures en 1932...... Le marxisme devient à la mode de même que les voyages en U.R.S.S. dont le système a été popularisé par STRACHEY, les WEBB et Harold LASKI. Pareillement, une publication comme le New Statesman and Nation manifeste une critique amicale de l'U.R.S.S. Le monde étudiant est aussi concerné, des organisations communistes s'installent aux Universités de Londres et de Cambridge dès 1931. En 1932 naît à Oxford le club Octobre qui critique la guerre en disant qu'il ne combattra jamais pour "son Roi et son pays"555. En fait, le mouvement est concentré dans les villes précitées et certaines disciplines, surtout les lettres. Il ne comprend d'ailleurs pas plus d'un millier de communistes, dont beaucoup quittent rapidement le parti556. Les courants religieux et même le fascisme ont souvent plus d'attrait que le socialisme avancé. Le fascisme a séduit bien des intellectuels anglo-saxons, mais pour la majorité des Anglais, il reste une création étrangère, destinée aux étrangers557.

Finalement, cette période reste essentielle pour beaucoup d'intellectuels britanniques. Leur engagement politique a commencé avec la guerre d'Espagne, souvent dans les organisations d'inspiration plus ou moins communiste, de soutien à la cause républicaine558. Près de trois mille britanniques ont combattu en Espagne559. D'une façon générale, la gauche est en plein essor dans les années trente. Les revues créées à cette époque The Week, Lept Review, Viewpoint, Fact, en témoignent. C'est surtout le cas du Left Book Club établi en mai 1936. Fort de 50.000 membres en 1937560, il est le symbole d'une politique frontiste, et s'ouvre à tous les courants du mouvement ouvrier.

Il n'est pas sans intérêt de s'interroger sur la nature des compagnons de route. Il est frappant de constater que les premiers ont plus de sympathie pour l'Union Soviétique, que pour le P.C. de leur propre pays. C'est le cas des journalistes témoins de la révolution d'octobre, comme Arthur RANSOME et Philips PRICE, du couple WEBB et d'Harold LASKI.

L'attachement inconditionnel à l'U.R.S.S. apparaît surtout chez Hewlet JOHNSON, le Doyen rouge de Canterbury. Pendant la période du front populaire au contraire, c'est sur le plan interne que les compagnons de route jouent un rôle important en contribuant à l'unité du mouvement ouvrier, au travers de sociétés d'amitié et de groupes ou de manifestations pacifistes561.

La période qui va jusqu'à la guerre se caractérise par un progrès continu pour le parti qui passe de 6500 membres en 1935, 12500 en 1937, à 17750 en 1938562. On constate le même phénomène de croissance des effectifs pour le R C. F. après l'adoption d'une politique unitaire, à un rythme beaucoup plus rapide. Il y a 42000 communistes en France en 1934, 86000 en 1935, près de 300000 en 1936, et ce chiffre est dépassé à partir de 1937563.

A partir de 1936, le P.C,combat le réarmement et les progrès du fascisme564. Les accords de Munich sont stigmatisés au Parlement par GALLACHER565. Cette ligne politique de lutte de classes, n'empêche pas le P C de soutenir sans sourciller tous les aspects de la politique soviétique, les grands procès par exemple566.

Notes
526.

ib. p. 240-241

527.

cité ib. p. 241

528.

H. PELLING. Histoire p. 231

529.

De la formation du Gouvernement national à la fin 1932, plus de 1.300 ouvriers et ouvrières sont arrêtés pour des délits prétendus en liaison avec leur activité. 421 sont condamnés A. HUTT op. cit. p. 236 - 237

530.

A. HUTT' op. cit. p. 240 - 241

531.

ib. p. 244

532.

ib. p. 282

533.

ib. p. 288

534.

ib. p. 250

535.

ib.p. 286

536.

ib. p. 250 & s.

537.

H. PELLING. Histoire, op. cit. p. 221

538.

A. HUTT. op. cit. p. 143

539.

A. HUTT. op. cit. p. 270 & s, H. PELLING. Histoire. op. cit. p. 221

540.

H. PELLING. Histoire. op. cit. p. 222 & s.

541.

A. HUTT. op. cit. p. 269

542.

cf. A. WESKER. The Wesker Trilogy Chicken Soup With Barley Roots l'm Talking about Jérusalem Penguin Books 1964 219p

543.

A.J.P. TAYLOR. "Strangers" in New Statesman 31/1/1975 pp. 149-150 sur le livre de J. FISHMAN East End lewish Radicals 1875-1914 Duckworth

544.

A. HUIT. op. cit. p. 270

545.

cf. les appels à l'unité de POLLITT dans The Daily Worker

546.

A. HUTT. 6p. cit. p. 285 - 286

547.

ib. p. 286 - 287

548.

cf. pour la non intervention "Labour Statement on Spain"

in. The Daily Worker 29/8/1936 et n° suivants, et la demande d'une levée de l'embargo sur les armes in The Daily Worker 29/10/1936

549.

A. HUTT. op. cit. p. 288 & s.

550.

ib. p. 307

551.

D. CAUTE. The Fellow Travellers. A postscript to the Enlightment, London Weidenfeld & Nicolson Ltd 1973 433 p. G. ORWELL, The Collected Essays, Journalism and Letters of G.O. Vol. I An Age like this 1920 - 1940 Penguin Books 1971 624 p. cf. p. 559 & s. N. WOOD. op. cit.

552.

J. FAUVET op. cit. I p. 261 & s.

553.

N. WOOD. p. 38 op. cit. Au printemps 1934 sur 2 millions d'employés il y a 300 à 400.000 chômeurs.

554.

ib. p. 41

555.

N. WOOD op. cit. pp. 51-52

556.

ib. p. 53

557.

A. HAMILTON. The appeal of fascism . A study of intellectuels and fascism 1919-1945 London, Anthony BLOND 1971, 312 p. p. 257 & s.

558.

N. GREEN. "The Communist Party and the War in Spain" in MT oct. 1970 pp. 316 - 324

559.

N. WOOD. op. cit. p. 56. Sur un total de 50000 étrangers.

560.

H. PELLING. The British op. cit. p. 97

561.

D. CAUTE. op. cit. p. 155

562.

p. 14 in D. PRISCOTT. "The Communist Party and the Labour Party" in MT Jan 1974 pp. 5- 15

563.

p. 194 & s. A. KRIEGEL. "Le Parti Communiste Français sous la IIIe République (1920 • 1939). Mouvement des effectifs et structures d'organisation" pp. 175 - 223 in Le Pain, op. cit.

564.

The Daily Worker oct 1936 & 3/7/1937

565.

H. POLLITT. "The British People and Czeckoslovakia" in The Communist International 1938 n° 7 pp. 653 - 656 J. WODDIS. "The Communist Party's 50 years of internationalism" in Comment 17 x 1970 Vol. 8 n° 42 pp. 660 - 663

566.

The Daily Worker 17/8/1936 & 1/2/1937