Finalement la meilleure façon d'analyser le rôle du parti consiste à se référer aux objectifs qu'il s'assigne et à son action concrète, qui ne sont pas nécessairement le voile d'intentions machiavéliques663, Il n'y a pas d' "énigme communiste"664.
Le P.C.G.B. est un parti ouvrier d'avant-garde au sein d'un prolétariat réformiste. Le caractère de classe du parti est son trait le plus important, comme pour le P.C.F665. Sa composition et son action politique en témoignent
La socialisation politique des militants communistes est liée plus que pour les autres partis, à une origine ouvrière666. La majorité des membres du parti, sont des ouvriers667. Le parti est surtout fort dans les vieux secteurs militants (dockers, sidérurgistes) ou dans les couches de la population relativement marginales, juifs, catholiques, irlandais668. Il s'efforce d'élargir son audience parmi les immigrants de couleur669, et y a réussi partiellement parmi les chypriotes de Londres670. Il compte dans ses rangs un tiers de femmes671, c'est à dire un peu plus que le P C F en pourcentage672. Il attire aussi des intellectuels. Il semble qu'il y ait sur ce point une évolution, Neal WOOD relevait en 1959, que Palme nouvellement s'était vu adjoindre d'autres intellectuels au comité exécutif, Emile BURNS, l'historien James KLUGMANN, le généticien J B S HALDANE, le Professeur Georges THOMSON, l'histoire de la littérature Arnold KETTLE, le producteur de films système MONTAGU, le président du syndicat des enseignants G.C.T. GILES, le typographe et historien Allen en La rareté des intellectuels parmi les dirigeants du P.C.G.B. le distingueraient des partis occidentaux. Elle s'expliquerait par le faible prestige des intellectuels dans la société britannique, le caractère très prolétarien du parti, l'absence d'un grand mécontentement dans l'intelligentsia, l'exutoire des colonies, et le peu d'attrait d'un parti non représenté au Parlement pour les amateurs, d'une carrière politique, mieux assurée par le travaillisme673.
La nature de classe du parti explique qu'il occupe des positions clefs dans les syndicats dès la période de front uni qui précède la seconde guerre mondiale, puis de 1941 à 1947 avec le soutien au Gouvernement. A cette époque, le P.C.G.B. domine le syndicat des électriciens, des fondeurs et des pompiers. Des communistes dirigent les mineurs écossais et gallois674 et sur le plan national, ils sont représentés à l'Amalgamated Union of Engineering Workers et surtout au syndicat des transports. Avec la guerre froide le TUC réagit contre l'opposition communiste au plan Marshall. En 1948 son Conseil Fédéral dénonce "le sabotage du programme de redressement européen" et demande aux syndicats d'empêcher les communistes d'occuper des postes de responsables et d'être délégués syndicaux. La lutte est particulièrement dure au syndicat des transports675. Des dispositions similaires sont prises par les conseils de métiers. C'est la situation qui existait entre 1934 et 1943676. Le déclin communiste, à la suite de l'intervention soviétique en Hongrie en 1956, amène le parti à s'accrocher désespérément à certaines responsabilités. Un jugement de 1961 accusera les dirigeants communistes du syndicat des électriciens, d'avoir utilisé des moyens frauduleux illégaux pour se maintenir en place677.
On trouve à nouveau, dans les années 70, une forte implantation communiste dans les syndicats. Parmi les douze syndicats les plus importants, limitant les communistes à leur comité exécutif 10 sur 35 pour les transporteurs, 3 sur 13 pour les mécaniciens, 4 sur 16 pour les employés de commerce, 7 sur 23 pour le personnel d'encadrement, 3 sur 43 pour les enseignants, 6 sur 27. pour les mineurs, 3 sur 13 pour les maçons, 5 sur 21 pour les postiers678. Les électriciens sont, par contra, farouchement anticommunistes679. En avril 1974, la gauche reprend pour la première fois depuis 1949-1950, la direction du plus grand syndicat de fonctionnaires, the Civil and Public Services Association, qui compte 215000 membres. Il est possible qu'il y ait des communistes parmi les responsables680. A la même époque, le syndicat des étudiants, National Union of Students, compte dix dirigeants de gauche dont quatre communistes, sur seize membres de son comité exécutif681. Parmi les personnalités syndicales, on peut citer d'anciens communistes, Hugh SCANLON, président de l'A.U.E.W., forte de 1,4 millions de membres, a bénéficié du soutien communiste pour son élection. Il a été membre du parti pendant vingt ans, à partir de la guerre d'Espagne682. Ce fut le cas aussi pendant quatre ans de Clive JENKINS, dirigeant de l'Association of Scientific Technical and Managerial Staff683. Des syndicalistes connus sont en même temps des communistes importants. Aux élections législatives de février 1974, le parti place beaucoup d'espoir dans Jimmy REID684 responsable des chantiers navals de la Clyde685. On a surtout parlé de "Mick le Rouge", Michael Mc malgré, secrétaire général des mineurs d'Ecosse, et secrétaire général adjoint du syndicat national des mineurs686, en même temps que membre du bureau politique du P C687. L'évolution à gauche des syndicats, les progrès du parti communiste en leur sein sont manifestes688.
Le parti dispose d'une organisation originale, et de moyens d'information qui lui sont propres et qui lui permettent aussi bien de conduire les luttes quotidiennes, que de faire connaître son projet révolutionnaire, Le parti est composé689 d'organisations de base et d'arrondissements. Au nombre de 1050, les premières se répartissent entre le lieu d'habitation, 820, les entreprises 185, et les établissements d'enseignement supérieur, 45690. Les comités d'arrondissement décident de la création des organisations de base, des comités de ville et de district. L'instance supérieure du parti est le Congrès national convoqué tous les deux ans. C'est l'occasion d'un vaste débat démocratique qui dure plusieurs mois691. Le Congrès élit le comité exécutif et le comité d'appel. Le comité politique et les militants responsables du comité exécutif, sont élus à la première réunion du comité exécutif qui suit le Congrès National. Les positions du parti s'expriment à travers le bimensuel Comment (Commentaire)692, la revue mensuelle théorique et de discussion Marxism Today,693 et le quotidien Morning Star, dont l'audience dépasse l'influence électorale du parti,694 avec sans doute 50.000 lecteurs. On trouve aussi des revues trimestrielles éditées par les comités d'Ecosse et du Pays de Galles. Les Commissions auprès du Comité exécutif, ont aussi des publications spécialisées, de même que les femmes et les jeunes de la Young essaie League. On peut considérer enfin le Labour Monthly créé par Palme nouvellement, comme proche des positions du parti.
Numériquement, le P.C.G.B. est faible, il a dix fois moins d'adhérents que le P C F695. C'est très peu, surtout comparé au Labour Party fort de plus de six millions de membres dont 800.000 à titre individuel696. On peut se demander si le terme de "parti-passoire" appliqué au P C F à la suite de Pierre SEMARD697, ne conviendrait pas mieux au P.C.G.B. s'il est vrai qu'il a eu à certains moments de son existence, une rotation des effectifs de plus de 40 %698. La permanence des principaux responsables qui en résulte en partie, est en revanche, manifeste, POLLITT, nouvellement, GALLACHER, RUST, HANNINGTON, CAMPBELL, HORNER, comptent parmi les dirigeants en 1923, ils le sont encore en 1945, les trois premiers continuent de jouer un rôle important ensuite699. Cette "stabilité du noyau dirigeant"700 caractérise aussi le P C F. En outre le parti français s'est longtemps confondu avec la personne de Maurice THOREZ, alors que ce phénomène est absent dans son homologue britannique. Il est curieux surtout de constater le faible écart existant entre le nombre d'adhérents, et le nombre d'électeurs du parti, alors que pour le P C F, le rapport est de un à quinze701. On constate à l'inverse une même "stabilité géographique"702. Le parti progresse aux élections de février 1974 en Ecosse, où il est traditionnellement implanté703. De façon générale, il essaie de présenter des candidats dans les mêmes circonscriptions, régions industrielles, Londres et centre de l'Ecosse704.
En définitive, le rôle du parti communiste est double. Il organise en permanence les luttes sociales conformément à sa pratique de lutte des classes mais cette action est surtout "économique". Il apparaît néanmoins comme le meilleur instrument, pour faire passer la classe ouvrière, du militantisme quotidien, à l'action politique pour le socialisme705. Au niveau proprement politique, son action semble pourtant surtout indirecte. Il inspire comme un stimulant, les orientations du Labour, au travers des syndicats.
De la même façon, il choisit pour les élections générales des circonscriptions travaillistes. Il a opposé en 1950, 1966 et 1970 des candidats à des ministres sortants706.
Il faut conclure sur un paradoxe. Un parti qui fait corps avec la fraction la plus militante de la classe ouvrière réussit très faiblement à diffuser son projet révolutionnaire. On peut d'ailleurs se demander, si un écartement continuel du pouvoir, une connaissance médiatisée des responsabilités politiques par l'intermédiaire du mouvement communiste international, apport continu d'espoir et de doctrine, ne rendent pas difficile l'élaboration d'un programme concret de transition au socialisme. Le problème se pose aussi de savoir si le réformisme et surtout l'empirisme du mouvement ouvrier anglais n'imprègnent pas le P C G B d'une certaine carence théorique707. L'examen de ses thèses apportera une réponse708.
xxx "Sur le parti communiste français" in Etudes mars 1975 pp. 357-377
Esprit n° 2 février 1975 "L'énigme communiste"
P. GABORIT. Contribution à la theorie générale des partis politiques. L'exemple du parti communiste français pendant la Ve République Paris thèse 492 p. cité in Le Monde 13 14/4/1975 A. KRIEGEL 'parti issu du monde ouvrier" p. 54 in Les Communistes gp.cit.
D.T. DENVER, J.M. BOCHEL. "The political socialization of activists in the British Communist Party" in British Journal of Political Science Vol. IIL parti Jan 1973 pp. 53-71
N.R.I. mai 1973 p. 158
HINCKER & al op. cit. p.49
C. JOURNES. op. cit. p.57-58
K. NEWTON op. cit. p.78
N.R.I. mai 1973 p.158
30 % en 1974 contre 25,5 % en 1966 L'Humanité 9/4/1975
N. WOOD op. cit. p.28
Aux élections de 1945, GALLACHER est élu député par les mineurs du Fife. Le secrétaire général du syndicat des mineurs est Arthur HORNER, un des principaux dirigeants du parti, cf. J. LAGUERRE, op. cit. p. 108
H. PELLING. Histoire. op. cit, pp. 254 256 G. LEFRANC. Les expériences syndicales internationales des origines à nos jours. Paris Aubier 1952 382 p. p. 255 & s. p. 271 & s.
p. 210 P. LAROQUE. Le problème ouvrier dans le monde et plus spécialement en GrandeBretagne au XXe siècle . Paris Ecole Nationale d'Administration 312 p.
H. PELLING. Histoire, op. cit. p.282
The Observer 3/2/74. art, cit.
Le Monde 4/12/73
The Times 15/5/74
The Daily Telegraph 4/4/74
P. FERRIS. op. cit. p. 8, 9, 10, 55, 56
ib. p. 66 & s. Le Chancelier de l’Echiquier D. HEALEY aurait appartenu au P C avant la guerre The Sunday Times 10/3/74
L'Humanité 28/2/74
P. FERRIS op._cit. p.50
Le Monde 31.1.74 ; The Observer 3/2/74 "Mc GAHEY bom ints Communism"
L'Humanité 28/2/74
cf. supra CH. I I § II B) L'extension du mouvement revendicatif et l'existence d'une conscience de classe
N.R.I mai 1973 n° 5 pp. 157 159 art. cit.
L'organisation du P C F est beaucoup plus ramifiée. Sur les 19.520 cellules, on compte 8919 cellules locales, 5376 cellules d'entreprise, et 5225 cellules rurales. C. YSMAL. "Le seul véntabie parti" in Le Monde 23/2/73
Sur le congrès national cf. Me G, LENNAN 'Grande Bretagne débat, synthèse, action" in N R I nov.1973 pp, 189192
Tirage 6 à 8000 exemplaires NRI mai 73 p.158
4200 exemplaires, ib.
Tirage du quotidien communiste 1939 = 100.000 1951 = 115.000 - 1960=73.000 D. BUTLER, J. FREEMAN, British political Facts 1900 - 1968 London Macmillan & Co 3 rd ed 1969 314 p. p. 279 De 1931 à 1970 les quotidiens de tendance travailliste sont passé de 1 à plus de 6 millions d'exemplaires.
A. KRIEGEL. in les communistes op. cit. p.39 Les chiffres entre 275.000 et 300.000. D'après un rapport au XXe congrès du Parti en décembre 1972, le nombre de cartes commandées par les fédérations est de 454.640 cité in C. YSMAL "le seul" art. cit.
Le Monde 27/2/74
A. KRIEGEL. les communistes, op. cit. P.32
N. WOOD. op. cit. p.23
ib. p.25
A. KRIEGEL. les communistes, op. cit. p.174
ib. p.17
ib. p. 14
15.069 électeurs contre 11.408 en 1970. Le Monde 9/3/74
p.91 J.D. LEES, R. KIMBER. Political parties in modem Britain. An organizational and fouctional guide. London Reutledge-Kegan Paul 1972 288 p.
B. RAMELSON. "Politics and the trade unions" in Comment Vol. XIL n° 3 9/2/74 pp. 35-37
J.D. LEES, R. KIMBER. op. cit. p.91
N. WOOD. "The empirical proletarians. A note on British Communism" in Potitical Science Quatterly Vol. LXXIV n° 2 June 1959 pp. 256-272
cf. infra IIe PARTIE CH II