Pour MARX, le mécanisme explicatif des révolutions, est simple. Il le formule ainsi dans le Manifeste : "A un certain stade d'évolution de ces moyens de production et d'échange, les rapports dans le cadre desquels la société féodale produisait et échangeait, l'organisation sociale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot les rapports féodaux de propriété, cessèrent de correspondre au degré de développement déjà atteint par les forces productives. Ils entravaient la production au lieu de la stimuler. Ils se transformaient en autant de chaînes. Il fallait briser ces chaînes, On les brisa"921. Cette idée, d'une contradiction entre forces productives et rapports de production, existait dans L'idéologie allemande (1846)922, On la retrouva dans la Préface à la contribution à la critique de l'économie politique (1859)923. La révolution anglaise de 1640 est le résultat de cette contradiction ; c'est un exemple de révolution bourgeoise.
ENGELS affirme qu'elle "n'est rien d'autre que le prototype de la révolution française de 1789"924. Il reprend la même idée dans l'Anti Duhring. "Mais dès l'instant où la bourgeoisie, politiquement encore impuissante, commença , grâce à l'accroissement de sa puissance économique, à devenir dangereuse, la royauté s'allia de nouveau à la noblesse et par la provoqua, en Angleterre d'abord, en France ensuite, la révolution de la bourgeoisie"925. On trouve des allusions fort nombreuses dans les écrits d'ENGELS926. Cette interprétation est reprise par TROTSKY927.
L'historiographie britannique voit en général les choses, de façon bien différente. Un courant conservateur soutient que la politique de CHARLES 1er, aurait protégé le peuple des exactions d'une classe capitaliste en formation, qui masquait ses intérêts derrière le protestantisme en religion, et les Communes en politique928. L'interprétation dominante est libérale ou whig929. Selon leur propre affirmation, les forces parlementaires, auraient combattu pour les droits de l'individu, bafoués par une monarchie tyrannique930, symbole du "joug normand", sur les libertés anglo-saxonnes931. Le conflit est perçu surtout en termes politiques et religieux. GARDINER, maître de la question à la fin du XIXe et au début du XXe siècle932, parle de "révolution puritaine"933. Au regard d'une telle approche, aujourd'hui la plus répandue934, le point de vue royaliste paraît désuet935
Mais la richesse d'une analyse historique en termes de conflits de classes est beaucoup plus grande. Ce n'est pas le fait exclusif du marxisme, puisque GUIZOT a pu constater "Les partis politiques et religieux n'étaient pas seuls aux prises. Leur lutte couvrait une question sociale, la lutte des classes diverses pour l'influence et le pouvoir"936.
L'histoire de la révolution d'Angleterre est dominée aujourd'hui par Christopher HILL937. Il constate au départ, la montée du mode de production capitaliste dans la société féodale, au XVIe et XVIIe siècles. Dans le secteur agricole, les "enclosures" permettent le développement d'un élevage spéculatif. Les capitaux issus de la terre, s'ajoutent à ceux du commerce, surtout maritime, pour favoriser l'industrie charbonnière et textile938. Cette naissance économique enrichit la classe moyenne et pour la gentry, alors qu'on observe un déclin des titulaires de revenus fixes, aristocratie et Monarchie, et un appauvrissement des paysans939. Les forces nouvelles se heurtent aux cadres de l'Etat féodal, guildes, monopoles royaux, douanes et taxes élevées. Le conflit oppose donc, d'une part, marchands et artisans, et la gent y engagée dans le mode de production capitaliste, d'autre part, les monopolistes, la gentry conservatrice, et l'aristocratie, qui appuient le roi. Sur le plan institutionnel, les partisans des droits du Parlement, où la gentry est forte, remettent en question le pouvoir des Stuarts940.
Notre objet n'est pas un récit de la révolution de 1640941. Rappelons seulement qu'après une phase modérée jusqu'en 1647; elle se radicalise jusqu'en 1653, même si les Niveleurs sont écrasés dès 1649. Ensuite, la recherche d'un compromis se concrétise, entre les Presbytériens qui représentent les forces parlementaires modérées, et les royalistes constitutionnels. La restauration de 1660, confirmée en 1689 en constitue le terme.
ENGELS a noté la similitude du déroulement de la révolution, de 1789942, de même que la nécessité pour toute révolution bourgeoise, de dépasser son but premier943. On peut aussi voir des points communs entre les Niveleurs, partisans d'une utopie de petits producteurs, le communisme agraire des Bêcheurs (Diggers), à la même époque, où les Ranters, encore plus radicaux, et les aspirations des sans-culottes français. Dans les deux cas, le progressisme politique, va de pair avec un passéisme économique944. Le mouvement sans-culotte se démarque malgré tout, par l'originalité de sa pratique politique. En effet, des historiens945, contestent par exemple, l'existence d'un programme démocratique, comprenant le suffrage universel masculin, chez les Ranters946. En dépit du rétablissement de la Chambre des Lords et de la Monarchie, avec la restauration, la révolution anglaise assure définitivement, la suprématie de la gentry, dans les institutions représentatives. Les monopoles prennent fin, la liberté du commerce intérieur est instaurée, tandis qu'à la campagne les rapports féodaux sont supprimés, même si l'œuvre agraire, de la révolution anglaise, est moins décisive que plus tard, celle de la révolution française947.
Finalement, si l'on tente de comparer la révolution britannique, à la révolution de 1789, on relève le caractère moins radical sur le plan politique, de la première. On a pu souligner sa précarité948. Effectivement, la révolution anglaise, s'achève par un compromis conservateur. Elle est, pour reprendre une formule de JAURES "étroitement bourgeoise et conservatrice" à l'opposé de celle de France" largement bourgeoise et démocratique"949. Son acteur principal, la gentry, est une classe partagée politiquement en raison de la nature surtout rurale, du capitalisme britannique950. L'idéologie de la révolution anglaise, reste essentiellement religieuse. ENGELS a écrit que "la Réforme calviniste (…) fournit au deuxième acte de la Révolution bourgeoise qui se déroulait en Angleterre, son costume idéologique"951. Enfin, dans ses résultats, la révolution n'assure pas à la paysannerie, une emprise sur la terre ; cette catégorie sociale disparaît même au XVIIIe siècle952. La révolution établit définitivement la domination du mode de production capitaliste dans l'agriculture. Le capitalisme industriel se constituera sur cette base, au terme d'un processus de capitalisation de la rente foncière. La Révolution Française au contraire, renforce la petite propriété953. On voit la complexité des problèmes de la transition.
K. MARX, F. ENGELS. Manifeste du parti communiste (1848) et Préfaces du "Manifeste" Paris. Editions sociales 1973. 97 p.pp. 37-38
op. cit. p. 191
ib. p. 253 Critiques
p. 13 in "The position of England — the eighteenth century" in VorwArts (1844) pp. 9-31 in K. MARX, F. ENGELS. Articles op. cit.
p. 15 in Le rôle de la violence dans l'histoire (Extrait de l'Anti Duhrinq) Editions sociales, Pads 1971 121 p.
p. 187 in L'idéologie allemande op. cit. pp. 253 & 259 in Ludwjq Feuerbach op. cit. p. 295 in Socialisme utopique op. cit.
L. TROTSKY, Trotsky on Britain op. cit.
C. HILL. The English Révolution 1640 1940 London Lawrence & Wishart 1968 3e éd. 62 p.
Pour l'exposé de cette conception, cf. supra Introduction
C. HILL. op. cit. p. 7
G. HILL. Puritanism and Révolution (1958) pp. 58 - 125 'The Norman Yoke". London Paflther Book 1969 384 p.
Sur ses travaux cf, R. MARX op. cit. p. 89
cité p. 14 in C. HILL .'.'Récent interprétations of the civil war" in Puritanism op. cit.
A.J. BOURDE. Histoire de la Grande-Bretagne Paris. P.U.F, "Que sais-je ?" 1961 128 p. p.47 A. MAUROIS. A history of England London the bodley head 1968 528p. pp. 285 & s. (traduit cta français) G.M. TREVELYAN, Illustrated history of Engiand London Longmans 1962 758 p. (quelques éléments d'analyse sociale dans ce classique)
C.V. WEDGWOOD, The king’s peace 1637-1641 • The Gréât rébellion London, The reprint society 1956 510 p. (Conservateur, favorable à CHARLES 1er)
p. 17 in F. GUIZOT. Discours sur l'histoire de la révolution d'Angleterre. Paris. Victor Masson 1850. 183 p. cf. aussi F. GUIZOT. Etudes sur la révolution d'Angleterre Monk, chute de la République et rétablissement de la Monarchie en Angleterre en 1660 Paris. Didier 1862. 400 p. Portraits politiques des hommes des différents partis Paris. Didier 1869 373 p. F. GUIZOT. Histoire de Charles 1er depuis son avènement jusqu'à sa mort (1625-1649) Paris. Didier, 1876, lie édition I 489 p. Il 413 p. K. MARX ..A review of Guizot's book" why has the English révolution been successfu) ? " in Neue Rheinische Zeitung (1850) pp. 88-95 in K. MARX, F. ENGELS. Articles op. cit.
L. TROTSKY. Léon Trotsky on Britain op. cit. pp. 111-113
C. HILL. Outre les ouvrages p'écités "La Révolution anglaise du XVIie siècle (Essai d'interprétation)" in Revue historique 1959 pp.5-32 The intellectual engins of the English Révolution Oxford 1965 God's Englishman, Oliver Çromwell and the English Révolution. Penguin Books 1970 318 p. Antichrist in seventeenth century England . London. Oxford University Press 1971 201 p. Reformation to industrial Révolution The Pélican Economie History of Britain, Vol. Il 1530-1780 Pengusn Books 1974 306 p.
The English Révolution, op. cit. p. 14-27 "La Révolution" art, cit.
ib.
The English Révolution ,op. cit. p, 27 & s.
M. ASHLEY. England in the seventeenth century. The Pélican History of England VI Penguin Books, 1952, 256 p. "The Gréât Civil War"" p. 71 & s. L. CAHEN, M. BRAURE. L'évolution politique de l'Angleterre moderne (1485-1660) Paris. A. Michel 1960 "L'évolution de l'humanité" Bibliothèque de synthèse historique 684 p. Sir Charles FIRTH. Oliver Cromwell and the aile of the Puritans in England (1900) London, Oxforfd University Press, 1961 488 p. (typiquement "Whig") C. HILL. The English Révolution op. cit. p. 44 & s. art, cit. p. 19 & s. P. JEANNIN. L'Europe du Nord-Ouest et du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles Paris. P:U;F: 1969, Nouvelle Clio 420 p. p. 152 - 181. Sur la révolution anglaise pp. 287 - 303. Problêmes d'interprétation, E. PRECLIN. V.L. TAPIE. Le XVIIe siècle. Monarchies centralisées (1610-1715) Paris. P.U.F. "Clio" 1949 813 p, surtout p. 198 & s. G. WALTER. La révolution anglaise 1641 - 1660 Paris A Michel 568 p A.W. WARD. G.W. PROTHERTO, S. LEATHES The Cambridge Modem History Vol. IV The thirty years' war Cambridge University Press 1907 1003 p. pp. 256-363
p. 13 in "The positions of England...." art, cit.
p. 295 in Préface à la 2e édition anglaise de Socialisme utopigue. op. cit.
O. LUTAUD. Les Niveleurs. Cromweil et la République Paris. Julllard 1967 Collection "Archives" 285 p. cf. en France les cahiers de doléances des artisans en 1789. et surtout les travaux de A. SOBOUL
C.B. MACPHERSON. The political theory of possessive individualism. Hobbes to Locke Oxford, the Clarendon Press. 1964. 310 p.
A.L. MORTON. The world of the Ranters. op. cit.
C. HILL, 'The Agraian Législation of the Révolution" pp. 154 - 193 in Puritanism and Révolution op. cit.
N. POULANTZAS, op. cit. p. 179
cité p. 15 in A. SOBOUL. "La Révolution française dans l'histoire du monde contemporain (Etude comparative)" pp. 3 - 40 in Recherches Internationales à la lumière du Marxisme. n° 62 1er trimestre 1970. Voies de la révolution bourgeoise
C. HILL. art, cit. p. 31
F. ENGELS. Ludwig Feuerbach op. cit. p. 259
F. ENGELS. Socialisme utopique op. cit. p. 295 C. HILL. art, cit. p. 31
N. POULANTZAS. op. cit. I. p. 179 & s.