Chapitre 4. Les khmers : des paysans assujettis

Au XIXe siècle, les nuages qui accompagneront la surpopulation sont encore loin, ce qui rend d’autant plus idyllique la représentation du Cambodge esquissée jusqu’ici : les conditions écologiques sont bonnes, la terre abondante, la législation foncière bien adaptée, la famille et le village sont des institutions sociales harmonieuses. C’est bien l’image du paradis que l’on pourra tracer une centaine d’années plus tard, lorsque la mortalité infantile moins forte et le niveau d’instruction plus élevé ne terniront plus l’éclat du fameux « sourire ». L’image est trop belle pour être réelle ; reste à savoir d’où naît le fantasme.

Ici, il est le produit de la méthode, qui se veut pourtant « objective » et rigoureuse : à trop s’intéresser aux travailleurs, elle oublie les hommes et leur division. Les Khmers souhaitent pour la plupart être des paysans indépendants, « pauvres mais dignes », mais leur mode d’organisation sociale ne leur en donne pas toujours la possibilité : voici qu’interviennent l’Etat, les dignitaires et les usuriers divers. L’appareil d’Etat est une mécanique complexe, qui s’efforce d’assurer les tâches essentielles de commandement des hommes et de prélèvement fiscal (S. 1). La royauté, à cause des difficultés qu’elle a à contrôler l’administration, confie des fonctions d’organisation à des personnes, les dignitaires. Ceux-ci savent tirer parti de ces privilèges pour assujettir les hommes libres (S. 2), à tel point qu’un amateur de paradoxe pourrait soutenir que leur condition est inférieure à celle des « esclaves domestiques » (S. 3). Sur cette mécanique complexe du vieil Etat khmer, et alimentés par elle, se développent des réseaux nouveaux, de nature différente, qui enferment le paysan dans le doublet complémentaire usure/échange (S. 4).