1.1. Les « apanages » : répartir le prestige et l’argent

Le grand principe est qu’il n’existe pas d’autre autorité que celle du roi : aucune mission ne peut être menée à bien sans une autorisation royale (preah bontul = parole royale) ou un ordre royal (preah reach ongkar) La seule exception, fort notable, est le domaine de la religion bouddhique dont le roi n’est que le protecteur privilégié (cf. Ch. 8). Pour le reste, le roi légifère, dirige la politique intérieure et extérieure, nomme les principaux responsables civils et militaires ; enfin, il dispose du droit de juger en premier et dernier ressort. Dans les faits les coutumes et les pratiques tempèrent largement ce « despotisme », mais sans modifier sensiblement des apparences selon lesquelles le roi est la seule source légitime du pouvoir.

On pourrait être tenté de mettre sur le même plan que le souverain trois membres de la famille royale, qui disposent d’un appareil administratif propre avec lequel ils gèrent une dizaine de khêt sur les 56 que comprend le royaume. C’est le cas d’un éventuel roi ayant abdiqué (obbajoureach), de la reine-mère et de l’obbareach. Ce dernier, souvent appelé de façon très impropre « second roi », est un proche parent du roi, élevé à cette dignité par le souverain qui cherche souvent par là à montrer ses préférences en matière de succession  102 . La possibilité pour ces personnages de former des « fiefs » indépendants est très limitée : les provinces peu nombreuses qui les composent sont très dispersées et le roi en nomme les gouverneurs (Moura 1883, I, 227 ; Aymonier 1900, I, 61). On a donc affaire à des apanages, c’est-à-dire que les privilèges de leurs détenteurs se limitent normalement à exercer un pouvoir symbolique et à percevoir les taxes. Et c’est bien ce qu’exprime Moura (id, 253) :

‘Le royaume est divisé pour l’administration en 57 provinces [khêt M.C.] […] la direction des affaires publiques appartient totalement au roi, et il ne faut voir dans les hauts administrateurs dont nous venons de parler que des agents soumis à l’autorité supérieure, n’ayant pas beaucoup d’initiative et ne recherchant d’ailleurs de leur position que les avantages pécuniaires qui y sont attachés.’

Les autres membres de la famille royale, dont certains, nommés preah vongsa ne peuvent prétendre au trône, jouissent d’un grand prestige, mais dépendent pour leur subsistance du bon vouloir du roi qui les tient par là dans une sujétion étroite.

Notes
102.

La succession n’obéit pas a du règles automatiques (ch. 8). Pendant toute ta période étudiée ici, il n’y a pas de roi ayant abdiqué. Norodom règne de La fin de 1860 à 1904, date à laquelle lui succède son frère Sisowath, obbareach depuis 1867.