1.1. Les origines de la dépendance

Comme dans beaucoup d’autres contextes, l’esclavage est le produit de la guerre : le vainqueur impose sa domination par la force, à des degrés d’ailleurs fort divers.

Les premiers dépendants ont été les populations autochtones sur lesquelles les Khmers venus du nord ont conquis leur territoire. Ces peuplades vivaient de chasse et de cueillette, ainsi qu’en témoignent la tradition orale des Pear (M.A. Martin 1974, 440) et la description faite en 1296 par l’ambassadeur chinois Tcheou Ta-Kouan (Pelliot 1951, 20) à propos de ceux qu’il appelle « Tchong » :

‘[...] cette espèce [de sauvages] ne demeure pas dans des maisons : suivis de leur famille, ils errent dans la montagne, portant sur la tête une jarre d’argile. S’ils rencontrent un animal sauvage, ils l’abattent avec l’arc ou la lance, font jaillir le feu d’une pierre, cuisent la bête et la mangent en commun, puis ils repartent […].’

Ces « sauvages » avaient sans doute une existence similaire avant la conquête khmère, mais ils bénéficiaient alors des conditions écologiques plus favorables régnant dans les plaines. Certains ont été utilisé par les Khmers comme esclaves domestiques ; d’autres en se repliant dans les montagnes (surtout à l’Est) ont conservé leur originalité ; d’autres enfin se sont trouvés dans une situation intermédiaire, conservant leur mode de vie et leur organisation sociale, mais travaillant au profit du roi :

‘Dans les régions les plus proches, il y en a aussi qui se consacrent à la culture du cardamome et de l’arbre à coton et qui tissent des étoffes. (id)’

Seuls ces derniers sont appelés pol (« esclaves du roi »), ce qui ne veut pas dire qu’il faille limiter à eux le rapport appelé esclavage public. Par la suite, d’autres personnes vont devenir neak ngear, terme le plus général utilisé pour désigner les esclaves  140 . Ils sont étrangers ou Cambodgiens.

Les étrangers sont des Siamois et surtout des Laotiens qui ont été fait prisonniers à l’occasion d’opérations guerrières. Pour l’essentiel, il s’agit de civils déportés par le vainqueur et installés sur son territoire. Leurs descendants sont évidement considérés également comme esclaves.

Les Cambodgiens libres peuvent devenir neak ngear sous des prétextes divers, parfois surprenants et arbitraires. Sont ainsi assujettis à côté des criminels ou des pirates, ceux qui offensent le roi  141 , ou leurs complices, mais aussi les enfants jumeaux ou difformes, etc.

Notes
140.

Neak ngear (homme-dignité) s’oppose en effet à prei ngear (forêt (libre) - dignité) qui désigne parfois les hommes libres.

141.

Ceux qui commettent des crimes contre la religion ou les bonzes sont attachés aux monastères bouddhiques (pol preah). Cette catégorie au statut particulier, en voie de disparition, n’est pas étudiée ici. Sur tous ces points, cf. Leclère (1890, 1894 a).