1.2. Le passé des différences de statut multiples

Plusieurs vocables sont utilisés dans les Codes pour désigner les neak ngear. Il semble cependant que les différences qu’ils recouvrent soient sensiblement atténuées au XIX° siècle.

Les mohat bénéficient d’incontestables privilèges ; traduits en justice, ils doivent l’être « conformément aux coutumes » et on doit faire appel à « plusieurs mohat, afin qu’ils soient témoins » (Codes I, 121-122). Mieux encore, l’article 93 du kram srok (Loi du pays, 1693 ; Codes I, 112-113 a.93) leur accorde des privilèges dont ne bénéficie pas l’homme libre :

‘Un gouverneur à dix haupéan ne doit pas faire appliquer la peine de mort à un mohat, alors même que son crime entraînerait la peine capitale, mais il devra le faire mettre en état d’arrestation et adresser un rapport au roi. Cependant si le coupable est un pol ou un homme libre, il pourra le faire exécuter [...] il ne sera même pas tenu d’adresser un rapport au roi.  142

On pourrait croire que le mohat est un petit dignitaire, mais des éléments significatifs permettent de le rattacher à la catégorie des neak ngear : il « appartient » au roi ou aux dignitaires, il a des obligations de service (I, 107), et un prix de 3 anching (I, 121). Enfin, être mis au nombre des mohat est une punition infligée aux complices d’un homme qui enlève des corvéables réquisitionnés (I, 107 a.72).

Les indications de Leclère ne nous éclairent guère : il donne deux définitions qui ne sont cependant pas contradictoires. La première se réfère à l’origine des mohat ce sont d’anciens mandarins ou leurs descendants (II, 99), La seconde les désigne par leurs fonctions de page ou de gardien de chevaux (id, 169). Il en existe des « non libres » (ngear mohat I, 122) et donc des « libres », les seuls sans doute à pouvoir obtenir les petites dignités de damruoth ou chûmtûp (I, 122). Selon le dictionnaire Guesdon, le terme mohat désigne aussi des « grands pages » (mohat lek). On peut donc avancer que les mohat ont été une catégorie « intermédiaire » regroupant des dépendants volontaires (les libres) ou non, qui ont obtenu un statut particulier en raison des services rendus au roi.

Les pol et les pol komla (ou komla) sont encore plus difficiles à distinguer. Ils occupent les mêmes fonctions (soldats, serviteurs, cultivateurs... ). Leclère se contredit quant à leur origine : dans les Codes, il considère les komla ou les pol komla comme des descendants de prisonniers de guerre (I, 172 note 3 et I, 268 note 1). Dans son « Droit public » (1894, 96), ils seraient d’anciens khnhom (esclaves domestiques, cf. supra) devenus esclaves d’Etat à la suite de la confiscation des biens de leur maître. Les autres auteurs ne nous sont d’aucun secours : Aymonier (1900, 100) note qu’on les distingue « d’une manière peu précisée jusqu’à ce jour » ; il accorde une meilleure « réputation » aux pol contrairement à l’opinion de Moura pour qui les « comla sont les moins déconsidérés » (1883, 332). Les Codes ne sont pas plus explicites : on y trouve des terminologies variées comme pol mohat (II, 37 a.l) et même pol mohat comla (II, 29 a.105). Les différences entre pol et komla semblent insignifiantes ; pourtant, il faut un article spécial (a.95) pour étendre aux komla le droit de vie et de mort dont dispose les sdach tranh sur les libres et les 221 (cf. article 93 cité ci-dessus). Finalement, les komla semblent bien avoir quelques caractères spécifiques. Ainsi, au fil des Codes, on peut noter l’histoire d’un khnhom confisqué puis racheté par des parents (3 anching) qui,

‘demandèrent à le mettre kômlas sous les ordres du Réachéa Noukaul, afin qu’il fut secrétaire (smien) [… parce qu’il] était très intelligent et avait une très belle écriture. (I, 133)’

Un autre récit (id, 134) mentionne le cas d’un nommé Kôn,

‘qui était le chef des gardes du palanquin royal. Ce kômlas, étant tombé malade, avait donné sa démission […].’

Un autre komla est condamné par la justice à devenir esclave du roi (sic !) (I, 156). Enfin, le komla a un statut proche de celui de l’homme libre en cas de levée :

‘Dans une circonstance grave […] le gouverneur devra s’efforcer de n’appeler que les hommes libres, les kômlas et les affranchis. Les pol qui ont un tour de service habituel ne peuvent être appelés, sauf en cas d’invasion […]. (I, 109 a.81)’

Comme les mohat mais à un degré inférieur, les komla étaient une catégorie intermédiaire de dépendants, placés (ou se plaçant) sous la dépendance des princes et des dignitaires et échappant de ce fait partiellement au pouvoir du roi :

‘Quand les pol kômlas ont des difficultés de ce genre [disputes justiciables du kralahom], s’ils sont au service d’un maître quelconque ou d’un dignitaire, ce maître ou ce dignitaire doit prendre place parmi les juges. (Codes II, 22 a.76)’
Notes
142.

Seuls les gouverneurs à 10.000 honneurs (les cinq sdach tranh) ont le droit de condamner à mort.