2.1. Les conditions de la culture

Le poivre est cultivé dans le Sud-Est du pays, qui est séparé du reste du Cambodge par la chaîne de l’Eléphant et ses contreforts. La région qui s’étend à l’Est de Kampot est modérément arrosée (1.500 à 2.000 mm) et les terrains, situés au pied des collines, sont en pente douce et sont donc bien drainés.

Ces deux conditions sont favorables à la culture du poivre. En revanche, les sols sont loin d’être assez riches et les planteurs ont mis au point une technique originale assez efficace, mais dévastatrice : la fumure au fumier de crevette ou au guano n’étant pas suffisante, chaque année les cultivateurs fournissent aux plants une couche nouvelle de terre humifère prélevée dans la forêt environnante. Le terrain de la poivrière s’exhausse ainsi d’année en année, jusqu’à atteindre deux mètres au bout de trente ans. A l’issue de cette période, les sols alentour, complètement décapés, sont stérilisés et la poivrière épuisée est abandonnée au profit de nouvelles terres. Le développement de la culture a ainsi entraîné un déplacement des poivrières : situées près de la frontière cochinchinoise vers 1840, elles progressent sans cesse vers l’Ouest Kompong Trach, Veal Rinh et même Srê Umbel au milieu du XXe siècle (Pourtier 1971, 45-72).

La culture est intensive, mais les techniques culturales (surtout l’utilisation de tuteurs morts qui exposent la plante au soleil), si elles entraînent une fructification importante, font beaucoup souffrir le plant qui exige des soins constants. Une main-d’oeuvre abondante - 10 personnes à l’hectare - est indispensable pour assurer le transport de la terre, la fumure, le traitement antiparasitaire à base de bouillie de côtes de tabac, etc.

Certains paysans khmers cultivent le poivre, mais il s’agit alors d’une petite production, réalisée à peu de frais dans le jardin familial. C’est ce que met en évidence le rapport de l’inspecteur des Douanes et Régies Blanc (1902, 648)

‘La petite culture est le plus souvent pratiquée par les Cambodgiens pour qui le poivre ne constitue qu’un revenu accessoire. Leurs plantations sont généralement peu soignées et ne donnent guère qu’un rendement médiocre.’

Pour le reste, la « grande » culture est le fait des Chinois, principalement des Haïnanais, dont l’implantation dans la région de Kampot date du XVIIe siècle, lorsque l’empereur d’Annam attribua au Chinois Mac Cuu cette province et la région de Hatien. Au XIXe siècle il ne reste plus de traces de cette domination, si ce n’est que le gouverneur est souvent Chinois ou d’ascendance chinoise.