Politique et relations inter-ethniques

Les relations inter-ethniques sont un élément important du fonctionnement de la société khmère. Il convient cependant de préciser à quel niveau les situer parmi les facteurs explicatifs. Nul ne niera qu’il existe entre les Khmers et les diverses minorités ethniques des différences de mode de vie, de finalités, de culture ; par contre, il serait vain de prétendre établir l’existence d’une proportionnalité quelconque entre l’importance de ces différences et les comportements d’exclusion ou d’hostilité. Deux éléments ressortent des analyses précédentes.

1) Même si on peut admettre que toute différence peut être perçue comme un défi par une identité (personnelle ou sociale) mal affirmée, il faut des conditions particulières, des chocs concrets, pour que se crée un antagonisme réel.

2) Cet antagonisme ne dure qu’autant qu’il est entretenu. A. Fontaine (Le Monde, 5.03.1980), critiquant le mythe de l’ennemi héréditaire, lui oppose des réconciliations notoires de l’histoire contemporaine qui ont leur équivalent dans le passé.

Les relations inter-ethniques sont une variable qu’on pourrait appeler potentielle ses effets immédiats ou spontanés ont une faible importance par rapport a ceux qu’elle peut induire si elle est sollicitée . Cette particularité explique largement les difficultés propres à la cohabitation des ethnies l’existence de contradictions prévisibles, que l’on peut manipuler, est une tentation à laquelle résistent mal les ambitieux. Or, les conséquences d’une telle stratégie sont désastreuses, malheureusement moins pour leur utilisateur que pour les peuples qui en sont les victimes. Au Cambodge, pour ne reprendre que l’exemple des Vietnamiens, on peut voir ramper le mal généré par la stratégie des rois khmers et les colonisateurs. Le roi attire les producteurs, mais craignant les hommes trop frondeurs et jugés trop liés à un autre Etat, il les isole pour mieux les exploiter et les dominer. Par la suite, les Français vont utiliser les Vietnamiens comme intermédiaires, les placer en écran face au pays khmer. Comme le relève Morizon (1930, 63) :

‘Ayant à peu près accaparé l’industrie du poisson, ils [les Vietnamiens] ont, comme domestiques ou comme petits fonctionnaires, le monopole des relations avec les Européens.’

Ces barrières, ces alliances préférentielles durables, vont être un facteur de l’ordre social. A terme, elles vont former autant de rigidités qui vont se révéler incompatibles avec les évolutions rendues indispensables par les changements économiques et sociaux. Lorsque la campagne khmère commence à être un pôle répulsif, les pôles « moteurs », l’administration et le petit commerce, seront l’objet de conflits de répartition. Face à ces difficultés réelles, à ces signes précurseurs de profonds malaises, Sihanouk choisit la solution illusoire : diverses professions sont interdites aux étrangers. Le droit en s’opposant au fait désignait les « coupables ». Crispation dangereuse, même si les expulsions et les meurtres de Vietnamiens en 1970 (puis en 1975) ne sont le fait que de minorités manipulées (Pomonti et Thion, 1971, 182-185).