2. L’importance quantitative des taxes indirectes

Un examen même sommaire de ce tableau révèle l’importance des taxes indirectes, plus de la moitié de l’ensemble. Les douanes correspondent au droit que le roi perçoit sur les marchandises exportées. En fait la circulation intérieure, lorsqu’elle atteint une certaine importance, est aussi taxée  184 , mais elle ne fournirait que 10 % des recettes totales selon De Lanessan. La taxe est fixée au dixième de la valeur des marchandises ; la perception en argent tend à se généraliser. Les postes de douanes sont placés sur les fleuves aux lieux privilégiés de passage. Les postes de Phnom Penh et Chrui Changvar, situés aux Quatre Bras, font à eux seuls 80 % des recettes (AOM Aix 12.634, 1873). Après paiement le transporteur reçoit un permis de circulation qui lui évite, en principe, d’être taxé une seconde fois. Le poste de Banam effectue le contrôle terminal pour les bateaux se rendant en Cochinchine par le Mékong.

Certains gouverneurs ont installé des douanes provinciales, mais on est mal renseigné sur leur mode de fonctionnement : touchent-elles à toutes les transactions, font-elles double-emploi avec les douanes royales, etc.  ? En fait, le roi contrôlant les grands axes de circulation, elles ne peuvent avoir qu’une importance secondaire. Quant aux importations, elles ne sont pas taxées, mais le roi et les dignitaires ont un droit de préemption.

L’autre grande ressource du budget vient des monopoles de la vente de l’opium et de l’alcool ou de la tenue des maisons de jeux. Ces monopoles sont affermés. Malgré les bénéfices des fermiers, le trésor reçoit des sommes importantes, car la concurrence est à la mesure de l’enjeu : tenir une ferme, c’est disposer d’un réseau d’informateurs et de dépendants qui peuvent effectuer des transactions, fournir des prêts usuraires, etc. Les fermiers sont Chinois ; il y a eu des fermiers français (Vandelet), mais ils s’appuyaient sur l’organisation chinoise. En 1884, ils sont dépossédés de leurs droits : la ferme de l’opium est transformée en régie, gérée par les services de la Cochinchine. L’opium et l’alcool, auxquels s’ajoutera le sel seront, avec les douanes, les grosses recettes du Budget Général de l’Indochine mis en place à partir de 1899. Les jeux, trop « amoraux » pour les protecteurs, sont laissés au roi jusqu’à leur suppression en 1899 à la suite de divers scandales.

Cette répartition ne surprend pas : la fiscalité indirecte est très souvent associée aux administrations peu fiables, de même que la pratique de l’affermage. Il reste à se faire une idée de l’ampleur globale des prélèvements opérés. Or, le tableau dressé ci-dessus est fort incomplet : les chiffres ne comprennent qu’une partie infime des frais de perception qui sont prélevés directement par le personnel subalterne ou les fermiers  185 . L’évaluation de ces charges supplémentaires est évidemment très difficile à faire, d’où la nécessité de se référer à la période postérieure pour laquelle on dispose de la comptabilité publique plus orthodoxe mise en place par les Français.

Notes
184.

C’est du moins ce qu’indiquent les Codes (11, 283 a.7) « Si ces marchandises sont en trop petite quantité, elles ne doivent pas acquitter les droits ».

185.

Les fournitures d’opium sont également exclues.