1.2. Le sens du monacat

Tout habitant peut devenir bonze s’il le désire. Il lui suffit de remplir certaines conditions : être libre (ou avoir l’autorisation du maître s’il est esclave), avoir 20 ans (pour être un vrai moine bikkhu) et enfin disposer des attributs indispensables à la vie monacale : l’habit jaune et la marmite dans laquelle il recueillera sa nourriture. Il est alors possible de procéder à l’ordination au cours de laquelle le postulant s’engage à respecter certaines prescriptions : observation rigoureuse de règles morales générales (ne pas supprimer la vie, ne pas voler, ne pas mentir) et de règles monastiques spécifiques (chasteté, respect des horaires d’alimentation, abstention de boissons alcoolisées et d’activités pouvant exciter les sens...). Cette liberté d’entrée dans les ordres est effective dans la pratique ; de même, il est possible de se défroquer à n’importe quel moment. Bien sûr, personne n’approuverait celui qui revêtirait l’habit de bonze pour une durée inférieure à celle du vossa  200 , mais personne ne s’y opposerait et une telle attitude serait bien mieux jugée qu’un mauvais comportement sous l’habit. C’est que le voeu perpétuel n’a aucun sens dans la religion bouddhique : l’impermanence des choses et l’absence (théorique) d’une divinité sont des conditions peu propices à de tels voeux. Enfin et surtout, le souci de leur destinée amène les individus à respecter des règles, à accomplir des rites, mais en aucun cas ces rites ne sauraient se substituer à la volonté individuelle. Si celle-ci, sous l’influence du kam, fait défaut, il ne subsiste que le rite qui n’a pas de valeur propre dans le bouddhisme où il n’est considéré que comme un moyen de progression. Un rite sans contenu n’est pas une transgression mais une absurdité face à laquelle il n’y a qu’un comportement logique : déposer le froc.

Dans le bouddhisme Mahayana, le monastère est une communauté indépendante développant ses propres objectifs, relativement isolée socialement et topographiquement du milieu extérieur (un peu comme les abbayes occidentales). Dans le cas du bouddhisme Theravada, au contraire, le monastère est profondément intégré à la vie villageoise , ce qui explique largement la simplicité procédurière de l’entrée en religion qui, si elle est une rupture, n’est jamais une fracture. Le séjour sous le froc est, pour tout homme, un moyen irremplaçable d’acquérir des mérites (en recevant des dons) et de progresser dans la voie d’une connaissance qui n’est pas celle des livres ou du rite, mais de soi. L’individu ne peut seul mener sa lutte contre le désir et ses effets déstabilisateurs : le bonze bénéficie de l’influence de la collectivité et de ses membres les plus éminents (les Kru ou maîtres) dont l’exemple a valeur didactique.

Être bonze ou gratifier les bonzes sont les deux moyens d’acquérir des mérites : le bouddhisme Theravada repose donc avant tout sur l’existence du Sangha. Or, le monastère qui abrite les moines est déjà par ailleurs le centre actif de la collectivité villageoise.

Notes
200.

Période de la saison des pluies, durant environ 3 mois et pendant laquelle ont lieu de nombreuses prises de froc.