3. Révolte de tous, révolte de personne

Les révoltes, leurs succès comme leur incapacité globale, sont caractéristiques de la campagne khmère. Une situation économique désastreuse n’engendre pas nécessairement un mouvement social : il faut que soit manifeste le lien entre la misère et la perturbation de l’univers magique. Dès le départ, la révolte a pour but le rétablissement de l’ordre cosmique, grâce à l’intervention d’un nouveau « médiateur », capable de se substituer au roi pour affronter le hors-monde. Ces mécanismes mystiques expliquent aussi bien la violence et la rapidité des explosions que leur étouffement : l’entrée en révolte n’a pas lieu sans l’unanimité (au moins locale), ce qui suppose un haut degré de mobilisation. Le déroulement des opérations fait très vite resurgir des divergences qui, au-delà d’un certain degré, s’avèrent fatales au mouvement social. Les plus courageux et les plus ambitieux, drainés par le prétendant, se séparent de leur village, où ne restent que des partisans tièdes, qui ne mobilisent plus les énergies, surtout à l’heure des travaux des champs. De l’autre côté, les interventions du roi, le jeu des clientèles, minent sourdement une unanimité très imparfaite. La collectivité, pour ne pas éclater, recherche un nouveau consensus dans une neutralité prudente, préférant une sécurité – factice - à une insécurité totale : l’existence du groupe s’est imposée face à la société tout entière, comme elle s’impose aux individus.