La Chautagne

Entre le confluent du Fier et du Rhône et le canal de Saviëres, adossée à la montagne du Gros Foug, voici le type même du coteau viticole d'une chaîne calcaire : il s'agit là d'un anticlinal jurassique banal ; le versant occidental est plus abrupt que le versant oriental. La zone cultivée s'étend sur les dépôts morainiques de la glaciation wurmienne et sur les moraines argile-caillouteuses dans la partie médiane.

Le bas du talus est tapissé par des éboulis du calcaire compact du rauracien et de l'urgonien et par les molasses gréseuses du burdigalien. Ici la vigne a ses terroirs et ses affinités : les éboulis calcaires et les moraines portent les cépages blancs qui affectionnent les terrains caillouteux et bien aérés de Pra à Crozan, de Chevigneu à Putignet. Les vins rouges, Gamay, Mondeuse et Pinot se plaisent plus volontiers sur les sols de molasses gréseuses d'Expilly, Chessine, Chaussepaille, Le Nant, Chateaufort. Sur le haut de la pente affleurent les calcaires roux du Valanginien. L'horizon agricole est vite limité par les broussailles et les bois de chataîgners au dessus de 500 mètres sur le rauracien et l'urgonien. Ici l'ager utilisé est réduit : si dans sa plus grande longueur, le coteau chautagnard s'étend sur quinze kilomètres, sa largeur maximale ne dépasse pas mille mètres pour une dénivellation de 300 mètres. La pente est souvent accusée avec des valeurs supérieures à 15%.

Les terrains caillouteux, vite réchauffés, la pente bien égouttée sur des sols calcaires sont des facteurs propices à la présence d'un vignoble ; l'exposition accentue encore le caractère favorable des conditions pédologiques. En effet, ce versant d'orientation nord-sud et d'exposition ouest, jouit d'une position d'adret remarquable bien que l'adret soit théoriquement le versant sud d'un axe est-ouest :

" On sait que dans ce cas-là (sillon orienté nord-sud), si la durée de l'insolation est à peu près la même pour les deux versants, du moins le soleil du matin employé à dissiper la brume, profite moins au sol et à l'air que les rayons de l'après midi.Ainsi les pentes occidentales sont-elles plus favorisées que celles qui regardent l'Orient. Elles constituent donc par rapport à ces dernières un véritable adret '' . 6

Le coteau chautagnard jouit d'une position d'abri remarquable protégé par la montagne du Gros Foug et le Grand Colombier.

En Chautagne, les étés sont relativement chauds et les hivers relativement doux. Les chaleurs sont fortes et la température moyenne des trois mois d'été atteint presque 20° (19,9°), cas unique pour le département. L'hiver est moins rigoureux, les saisons intermédiaires sont plus marquées. La chaleur vient plus vite au printemps et l'automne est plus clément. Cette situation est mise en évidence par la moyenne saisonnière de Ruffieux et de Yenne.

  AUTOMNE HIVER PRINTEMPS ETE
RUFFIEUX 10.8 1.6 11.3 19.9
YENNE 8.7 0.5 10.9 18.4

Il gèle moins fréquemment à Ruffieux qu’à Yenne : 54 jours de gelées en 8 ans à Ruffieux, contre 77 à Yenne, à altitude égale. L'automne a en général, des maxima plus élevés que le printemps  7 , ce qui n'est pas négligeable pour la venue à maturité de la vigne. Le nombre de jours de grande chaleur est également remarquable : de 1940 à 1948, on a compté 140 jours de grande chaleur à Ruffieux contre 48 à Yenne  8 .

Le coteau chautagnard : la place de la vigne d’après la Carte des groupements végétaux de la Chautagne (Documents de Cartographie Végétale, n.IX, 1971)
Le coteau chautagnard : la place de la vigne d’après la Carte des groupements végétaux de la Chautagne (Documents de Cartographie Végétale, n.IX, 1971)

La température moyenne élevée est due en partie à sa position abritée dans un large couloir. Bien souvent, la Chautagne ne connait pas d'épais brouillards, car cette région carrefour est très aérée, les gelées y sont donc moins fréquentes sur les coteaux.

Les pluies tombent en moyenne 90 jours par an. La moyenne des précipitations s'établit autour de 1.100 mm. par an, avec un régime A.E.P.H.

  AUTOMNE ETE PRINTEMPS HIVER
RUFFIEUX 349 267 259 223
YENNE 339 295 269 235

Les précipitations augmentent avec l'altitude. Ce sont là les conclusions de E. BENEVENT et de A. CHOLLEY. La faible altitude de la région explique la faiblesse relative par rapport à l'ensemble des Préalpes. Il s'agit là d'une constatation que l'on retrouvera dans d'autres régions viticoles savoyardes.

La végétation part très vite, avec 10 à 15 jours d'avance sur le reste du département. A défaut de données précises, on peut relever certains détails qui sont révélateurs : les figuiers, les abricotiers, les pêchers prospèrent sur les coteaux. La présence de bananiers et d'orangers surprend ; avant 1956, les oliviers poussaient en pleine terre. Autant d'indices qui attestent l'originalité climatique de ce coteau.

Sous des formes un peu différentes ou amplifiées, on retrouve un certain nombre de ces caractères climatiques, sur le versant occidental du Mont du Chat, ou sur le coteau qui surplombe le lac du Bourget à Brison.

La situation de la Chautagne, grâce à des débouchés faciles, permit de bonne heure, d'écouler les produits de son vignoble dans les contrées avoisinantes ; au XIXe siècle, il y eut des relations terrestres avec Genève et la Suisse qui appréciaient la qualité des vins qui supportaient la concurrence des vins hauts savoyards et suisses. Ce n'est que plus tard qu'une route fut ouverte à grands frais, vers Aix et Chambéry, permettant ainsi le transport des vins qui s'effectuaient jusque là par voie d'eau, ou à travers la montagne pour rejoindre l'Albanais et Aix les Bains  9 .

Le coteau chautagnard, nous l'avons vu, est entièrement cultivé. Mais c'est aussi là que l'on trouve l'habitat, regroupé en villages et hameaux distants d'un kilomètre au maximum, et qui lui donnent une impression de densité humaine. Selon leur situation en bas de pente ou au milieu du coteau, les hameaux ont une spécialisation plus ou moins grande dans leur activité ; certains sont composés uniquement de vignerons : Chevigneu, Chessine, Putignet, Vovray, Blinty. Ils constituent des noyaux de vignerons indépendants qui commercialisent sans problème une production de qualité.

Chindrieux : évolution du vignoble (1940)
Chindrieux : évolution du vignoble (1940)
Chindrieux : évolution du vignoble (1976)
Chindrieux : évolution du vignoble (1976)

On voit la place importante que les conditions naturelles tiennent dans l'explication de la présence de la vigne, son maintien et son dynamisme ; elles sont nécessaires mais insuffisantes et impuissantes à décrire ou expliquer une évolution contemporaine.

Les avantages que le coteau chautagnard tire de son exposition, de sa position d'abri, de sa situation favorisent un autre mode d'utilisation du sol qui se révêle redoutable concurrent de la vigne dans les circonstances démographiques défavorables pour l'agriculture : le tourisme de résidences secondaires des citadins attirés par la proximité du lac du Bourget. Il fait peser sur les terres agricoles une pression qui fait monter les prix à des sommets inaccessibles pour les agriculteurs. A titre indicatif, le prix moyen d'un hectare de vignes d'appellation contrôlée s'élève à 64.000 francs soit 6,40 francs le mètre carré ; dans le même temps, le prix du terrain à bâtir varie selon les expositions de 15,00 à 35,00 Francs le mètre carré. L'apparition des résidences secondaires et la consommation d'espace agricole conventionnel est un des principaux facteurs de concurrence du vignoble : on comprend aisément qu'un paysan d'un certain âge ait tout intérêt à vendre une parcelle plutôt que de replanter.

Il est plus fréquent de repérer les ceps à l'abandon, les parcelles qui s'embroussaillent, tous signes de déprise qui, malgré l'importance actuelle de la viticulture, montrent quels problèmes apparaissent à l'horizon d'un futur immédiat.

Notes
6.

E. BENEVENT : Le climat des Alpes Françaises, cité par F. VIGNY-TOURTET

7.

F. VIGNY-TOURTET : L'année 1966-1967 dans le Val du Bourget - IGA Grenoble 1969

8.

Chiffres cités par R. Vion : un vignoble savoyard : La Chautagne.

9.

J. MASSE : Histoire de l'ancienne Chautagne.