Les exploitations

En ce qui concerne les exploitations livrant du vin à la vente, autre signe distinctif puisque révélateur d'une mentalité différente, et d'une finalité économique précise, 29,9% des exploitations savoyardes représentant 49,7% de la superficie plantée en vigne, c'est-à-dire un tiers des exploitations pour la moitié de la superficie, déclarent commercialiser leur produit. Dans les communes qui nous concernent plus de la moitié des exploitations et plus de 80% des superficies sont orientées vers la vente :

Exploitation livrant du vin à la vente : répartition communale par rapport au nombre d'exploitations et par rapport à la superficie totale
Exploitation livrant du vin à la vente : répartition communale par rapport au nombre d'exploitations et par rapport à la superficie totale

Source : cadastre viticole

A l'exception d'un groupe de communes, les mêmes que précédemment, qui n'arrivent pas à des taux aussi importants mais qui restent supérieurs à 50%, de tels chiffres indiquent clairement que la vigne est cultivée afin de fournir un revenu. Celui-ci est fonction de la qualité du produite proposé, ce qui explique la prépondérance dans ces mêmes communes de cépages nobles.

Considérons enfin la structure de ces exploitations viticoles. Si l'on s'en tient aux classes de taille telles que le Cadastre Viticole les a défini, la répartition des exploitations en Savoie est la suivante :

La petite exploitation domine de manière écrasante, mais ne représente qu'un tiers de la superficie avec deux tiers des exploitations, alors que les grandes exploitations savoyardes recouvrent 15% de la superficie avec seulement 2,5% des exploitations.

A titre de comparaison, en 1958, au niveau national, la répartition des exploitations et de la superficie plantée en vigne était la suivante :

Comparons les chiffres du tableau suivant avec ceux des Communes Viticoles.

Mode de faire-valoir des exploitations agricoles :
Mode de faire-valoir des exploitations agricoles :

Source : Cadastre viticole 1960

Nous constatons que dans les conmunes de l'aire de production V.D.Q.S., la répartition des exploitations en fonction de leur superficie est exactement inverse de celle du département considéré dans son ensemble. Pour la catégorie des exploitations de moins de vingt-cinq ares, la part des exploitations et de la superficie correpondante est dans tous les cas, sauf un (Montmélian), inférieure à la moyenne départementale ; pour les deux autres catégories : 25 - 99 ares et plus de 1 hectare, les taux de répartition sont toujours supérieurs à ceux du département. Il s'agit d'un vignoble où la part de la moyenne exploitation est notable, mais où la grande exploitation supérieure à un hectare domine dans un certain nombre de communes : Jongieux : 51,7%, Chignin : 42,25%, Billième : 32,5%, St Jeoire : 24,65%, Apremont : 24,5%, Les Marches : 23,75% représentent respectivement 67,97%, 72,5%, 58,48%, 54,59%, 51,33%, 52,75% de la superficie totale.

Voilà pourquoi il nous faut considérer, dans les communes que nous avons choisi d'étudier, la viticulture comme une activité agricole spécialisée : certes, cette viticulture est bien modeste, si on la compare aux grands vignobles français, mais elle prend toute son importance dans un milieu agricole plutôt banal où règne une polyculture sans caractère distinctif marquant.

De même, l'étude du mode de faire valoir confirme cette originalité, lorsque l'on compare la répartition entre les différents modes des communes et la moyenne du département, déduction faite des communes viticoles. La part du mode de faire valoir direct est en général moins importante que pour le reste du département, alors que le faire valoir mixte qui associe des terres en propriété et d'autres en fermage ou en métayage est nettement supérieur à la moyenne. Les seules communes dont la répartition diffère de l'ensemble du vignoble : Barby, St Alban Leysse, St Pierre d'Albigny, sont celles qui ne répondent déjà plus à des critères de ruralité évidents. Les facteurs d'urbanisation entraînent une pression foncière préjudiciable à l'agriculture en général et à la viticulture en particulier. Seules les communes de Lucey, St Jean de la Porte et Serrières se distinguent du reste du vignoble.

Cette différenciation des modes de faire valoir indiquent une originalité dans la conduite de la terre qui s'explique par la présence de la vigne. Le mode de faire valoir mixte permet d'éviter, pour le propriétaire une aliénation trop stricte de ses terres. En même temps, l'exploitant qui désire étendre ses cultures peut le faire plus aisément que dans le cadre d'un fermage ou d'un métayage qui définit des obligations réciproques qui sont contradictoires avec le tempérament individualiste du vigneron. La location verbale très en vigueur dans ces régions, lui permet de s'agrandir sans alourdir ces coûts d'exploitations et sans amputer un revenu qui n'est pas immédiatement perceptible sur des terres qui ne lui appartiennent pas. La location verbale permet en général aux deux parties contractantes de trouver leur compte ; le propriétaire tire un profit, même minime d'une terre qu'il ne veut plus cultiver, mais qui reste en état, et l'exploitant peut agrandir son exploitation sans avoir à s'endetter pour acheter des terres, qu'il n'aurait d'ailleurs pas les moyens d'acquérir. Là encore, la viticulture est porteuse de mentalités et détermine des relations interpersonnelles qui diffèrent des rapports existants dans des communes agricoles "ordinaires".

Nous terminerons en comparant la place occupée par la vigne dans la superficie agricole utilisée de nos communes viticoles et dans la S.A.U. totale des régions agricoles auxquelles elles appartiennent, amputées de ces communes, à partir de recensements agricoles de 1955 et 1970.

En Chautagne, en 1955, la moyenne régionale est de 6,10% alors qu'elle est de 8,3% à Chindrieux, 10,02% à Serrières, .12,62% à Motz et 6,46% à Ruffieux ; seule cette dernière commune se rapproche de la moyenne tout en lui étant supérieure. Dans la Combe de Savoie, la moyenne régionale est de 3,60% ; si l'on excepte Fréterive (1,67%) et Francin (5,82%) qui n'ont pas une spécificité viticole très marquée, et Montmélian (4,58%) dont le caractère urbain est déjà important, aucune commune n'a une superficie plantée en vigne inférieure à 7% de la S.A.U. et même 8% soit plus du double de la moyenne régionale. Enfin dans la Cluse de Chambéry où la moyenne est de 4,10%, les trois communes les plus proches, Brison, Challes et St Alban Leysse avoisinent 7% ; aucune autre commune n'a moins de 10% de la S.A.U. plantée en vigne.

Répartition des exploitations en fonction de la taille des exploitations (R.G.A. - 1970)
Répartition des exploitations en fonction de la taille des exploitations (R.G.A. - 1970)

Les chiffres issus du recensement de 1970 ne font que confirmer ce particularisme, comme on peut le remarquer dans le tableau ci-dessous :

Répartition de la superficie plantée en vigne par rapport à la S.A.U.
Répartition de la superficie plantée en vigne par rapport à la S.A.U.

Sources : R.6.A. 1955 - 1970

Une fois de plus, nous sommes obligés de constater que le caractère viticole de ces différentes communes n'est pas une vue de l'esprit mais exprime une réalité qui peut se justifier sur le terrain.

Tous ces éléments d'appréciation ne font que confirmer ce qu'un observateur attentif pourra aisément vérifier.

Qu'il s'agisse d'indices proprement viticoles, permettant d'affirmer la présence d'un vignoble de qualité, avec des structures foncières ou agraires propres, des modes de cultures originaux par rapport au reste du département, ou qu'il s'agisse d'indicateurs situant la place et l'importance de la vigne dans l'agriculture en général, tout concourt à affirmer la présence d'une activité agricole spécifique. Celle-ci entraîne des façons culturales, des mentalités différentes et un espace rural affirmé dans un espace rural de moyenne montagne dominé par la polyculture. La définition d'une zone viticole spécialisée est bien l'expression d'une réalité géographique tangible.