L'encépagement du vignoble savoyard

L'analyse de l'encépagement communal permet de définir d'un point de vue qualitatif, les communes viticoles savoyardes. Elle permet également de déterminer une spécialisation plus ou moins grande par la production de vins issus de cépages de qualité ou de cépages ordinaires.

Notons tout d'abord que le vignoble commun et de consommation courante représente 37% de la superficie totale en cépage et le vignoble de qualité 63% . Si celui-ci domine, soulignons la part importante des cépages produisant des vins ordinaires. Mais il faut rapprocher ces chiffres de l'évolution générale du vignoble savoyard. En , 1968, le vignoble AOC ne représentait que 43% du total savoyard. Ainsi, en moins de dix ans, le vignoble de qualité a progressé de 36% fournissant la preuve d'une plus grande spécialisation orientée vers la production de vins de qualité. En 1977, la répartition à l'intérieur du vignoble d'appellation est la suivante :

Cette répartition montre l'importance des cépages produisant des vins blancs qui totalisent 70% de l'ensemble du vignoble de qualité. La Savoie est bien spécialisée dans la production de vins blancs grâce essentiellement à des cépages d'origine locale : Jacquère, Altesse, Roussanne. La place des cépages rouges n'est pas comparable et il faut noter que le Gamay, cépage importé du Beaujolais supplante désormais les plants locaux et notamment la Mondeuse. Comment cette réalité régionale se perçoit-elle à l'échelle communale ? Le fichier image que nous avons établi, fait ressortir quatre ensembles très individualisés et qui n'ont pas beaucoup de rapport entre eux. Cela veut dire que chaque commune semble spécialisée dans un type de produit grâce à un cépage prépondérant. Nous noterons une faible complémentarité, dans les communes produisant des vins rouges, entre le Gamay et la Mondeuse. Seul Motz allie de façon notable la culture de ces deux cépages.

Mais ce qui ressort de la première lecture de notre typologie, c'est l'importance du groupe caractérisé par la production de vin de consommation courante regroupant les communes sans véritable vignoble de qualité. Huit communes ont une superficie plantée en cépages ordinaires ou tolérés qui est comprise entre 50 et 100% du vignoble total de la commune. A St Jeoire, Brison, Barby, Yenne, Challes, St Alban et Montmëlian, la part correspondant à un vignoble de qualité n'atteint que rarement la moyenne régionale. Seule St Jeoire compte plus du tiers : 39% de la superficie encépagée en plants produisant des vins d'appellation.

Six autres communes ont une superficie plantée en cépages courants supérieure à la moyenne. Mais à St Pierre, Francin, St Jean de Chevelu, Billième, Fréterive et St Jean de la Porte, la présence de cépages de qualité blancs pour les quatre premières et rouges pour les autres, fournit la preuve que ces communes ont une vocation viticole, et laisse deviner un rapport qui est en train d'évoluer vers une spécialisation encore plus affirmée. Si l'on examine les autres cas de figures qui se dégagent dans cette typologie, nous pouvons distinguer :

Ainsi, la spécialisation viticole de qualité correspond à des localisations géographiques assez précises : La Jacquère, présente dans l'ensemble du vignoble, domine sur les pentes du Mont Granier et à Chignin sur l'autre versant de la Cluse. La Roussette, issue du cépage Altesse est cultivée sur les bords du Rhône  28 ainsi qu'à St Pierre d'Albigny. La Mondeuse est cultivée en Chautagne et dans la Combe Moyenne et le Gamay, cépage le plus récent, dans une aire plus étendue : les versants qui surplombent le Haut Rhône, Fréterive dans la Combe.

Répartition de l'encépagement communal, 1977
Répartition de l'encépagement communal, 1977

Source: Déclaration individuelle de récolte. Modèle réservé aux viticulteurs qui commercialisent.

On peut noter également que les communes viticoles les plus dynamiques sont celles qui produisent des vins issus de cépages récents et banals : Jacquère et Gamay qui ont des rendements supérieurs aux cépages d'origine locale : Altesse et Mondeuse qui produisent des vins en quantité moins importante, plus appréciés par une minorité de connaisseurs que par la grande masse. Il y a là une contradiction entre le développement économique et le maintien d'une tradition viticole typique qui ne va pas forcément de pair avec productivité et rentabilité.

Il est frappant de relever que les communes spécialisées dans la production de ce type de vins ne sont pas les plus importantes : St Pierre d'Albigny, St Jean de Chevelu, Francin conservent une part importante du vignoble commun. Y aurait-il un aspect encore un peu artisanal dans cette viticulture ?

Nous voudrions relever l'originalité de Jongieux, qui, encore une fois, se distingue de l'ensemble. Cette commune fournit à elle seule, le tiers de la production de Roussette de tout le vignoble savoyard, ce qui lui confère une spécialisation certaine. Mais la part de superficie plantée en Gamay est plus importante encore : 35% contre 20% en Altesse et encore 10% planté en Mondeuse. Ainsi, les vignerons de cette commune ont su à la fois maintenir la tradition de production d'un cru spécifique et diversifier leur production afin de pouvoir satisfaire une plus grande demande. On retrouve ce caractère à Fréterive et St Pierre d'Albigny, qui s'orientent de plus en plus vers un vignoble de qualité.

L'encépagement du vignoble savoyard présente une situation très contrastée, avec des types précis, qui ne se recoupent pas, à une exception près. Il faut noter que cette mono-spécialisation reflète plutôt des situations acquises ; selon que les communes qui acquièrent actuellement une plus grande spécialisation viticole, choisissent une plus grande diversification de leur production. Il y a là encore une relation entre type de production viticole et plus ou moins grand dynamisme de la commune considérée.

Rappelons pour terminer que l'établissement d'un fichier image de l’encépagement communal en 1977, nous a indirectement amené à une remarque méthodique; importante sur le plan de l'utilisation des sources : la comparaison avec le tableau de l’encépagement communal en 1958 d'après le Cadastre Viticole, met en évidence une surestimation du vignoble de qualité dans son ensemble, sinon dans sa répartition interne  29 .

Le fichier image de 1977 permet de définir précisément les limites et la localisation de deux vignobles : un vignoble majoritaire composé de cépages produisant des vins ordinaires et un vignoble de qualité. A l'intérieur de celui-ci, le fichier image permet de préciser la spécialisation de chaque commune par grand type. Grâce à lui, nous pouvons deviner l'amorce d'un changement qualitatif dans l'évolution de certaines communes. Il permet, à une date fixe, de faire le point sur une situation qui évolue.

Notes
27.

J. MASSE : Histoire de l'ancienne Chautagne

28.

Ce qui n'autorise pas à en faire un plant introduit par les bateliers et qui serait originaire de la région Rhône moyen.

29.

Voir le chapitre : Utilisation des sources et approche de la réalité.