L'analyse des droits de replantations gratuits

à l'inverse, va nous permettre d'envisager plutôt l'avenir, dans la mesure où elle met à jour des tendances actuelles qui vont se prolonger : un vigneron qui replante actuellement ou une commune qui a un fort taux de replantation, engage l'avenir sur dix ou vingt ans. C'est un peu à une étude de prospective que nous nous livrerons dans ce dernier paragraphe.

Nous envisagerons l'étude des droits de replantation gratuits de deux manières . En analysant cette série statistique, incomplète, puisqu'il y a un trou entre 1970 et 1975, au niveau général de l'ensemble du vignoble, nous dégagerons ainsi une grande tendance quant à l'importance des superficies et aux choix des cépages utilisés. Ensuite, nous étudierons l'évolution des communes les unes par rapport aux autres, afin de dégager sinon une typologie, la période est trop courte, au moins un classement suggestif.

Pour l'ensemble de la période considérée, 265 hectares ont été replantés grâce à la procédure des droits de replantation gratuits, ce qui rapporte aux 936 hectares de vignoble AOC existant en 1978, montre un réel effort de renouvellement et situe exactement l'importance de l'aide ainsi apportée aux vignerons.

Superficie replantée en droits de replantation gratuits
Superficie replantée en droits de replantation gratuits

Sources : I.N.A.O. D.G.I.

Répartition des superficies nouvellement plantées, par cépage, en 1970
Répartition des superficies nouvellement plantées, par cépage, en 1970
Répartition, en pourcentage, de la superficie communale nouvellement plantée, par cépage, en 1970 : - par rapport au total communale ; - par rapport au total « A.O.C. »
Répartition, en pourcentage, de la superficie communale nouvellement plantée, par cépage, en 1970 : - par rapport au total communale ; - par rapport au total « A.O.C. »
Répartition des superficies nouvellement plantées par cépage en 1975
Répartition des superficies nouvellement plantées par cépage en 1975
Répartition communale, en pourcentage, de la superficie nouvellement plantée, par cépage, en 1975 : - par rapport au total communal ; - par rapport à l’ensemble « A.O.C. »
Répartition communale, en pourcentage, de la superficie nouvellement plantée, par cépage, en 1975 : - par rapport au total communal ; - par rapport à l’ensemble « A.O.C. »
Répartition des superficies nouvellement plantées par cépage, en 1976
Répartition des superficies nouvellement plantées par cépage, en 1976
Répartition communale en pourcentage, de la superficie nouvellement plantée par cépages en 1976 : - par rapport au total communal ; - par rapport à l’ensemble « A.O.C. »
Répartition communale en pourcentage, de la superficie nouvellement plantée par cépages en 1976 : - par rapport au total communal ; - par rapport à l’ensemble « A.O.C. »
Répartition des superficies nouvellement plantées par cépage, en 1977
Répartition des superficies nouvellement plantées par cépage, en 1977
Répartition communale en pourcentage, de la superficie nouvellement plantée par cépages en 1977 : - par rapport au total communal ; - par rapport à l’ensemble « A.O.C. »
Répartition communale en pourcentage, de la superficie nouvellement plantée par cépages en 1977 : - par rapport au total communal ; - par rapport à l’ensemble « A.O.C. »
Les droits de replantation gratuits (répartition communale)
Les droits de replantation gratuits (répartition communale)
Superficies replantées selon les droits de replantation gratuits par commune
Superficies replantées selon les droits de replantation gratuits par commune

C'est en 1970, qu'il a été accordé le plus grand nombre d'autorisations : 100 ha. Les deux années "suivantes", le volume concerné baisse : 59 ha, soit près de la moitié moins qu'en 1970, et surtout 26 hectares en 1976. On enregistre ensuite une remontée de 37 ha en 1977 à 42 ha en 1978, ce qui ne nous ramène pas au volume atteint en 1975. On peut caractériser cette évolution en écrivant qu'on a beaucoup replanté en 1970 et en 1975, très peu en 1976, puis à nouveau plus en 1977 et 1978. Le volume imposant de 1970, par rapport aux autres années s'explique par le fait qu'à cette date, le vignoble n'était pas encore classé en Appellation d'Origine Contrôlée, mais seulement en Vignes Délimitées de Qualité Supérieure : les autorisations étaient plus facilement accordées et cette baisse est visible dans la courbe représentant l'évolution de la superficie AOC avec un "décrochement" en 1973 qui correspond à une baisse de replantation.

Pendant cette période, la Jacquère est le cépage qui est toujours le plus utilisé, confirmant son rôle de cépage typiquement local et qui convient bien à ces régions. Mais il faut noter qu'à l'exception de l'année 1976, l'association des deux principaux cépages produisant des vins rouges, le Gamay, cépage productif importé du Beaujolais, et la Mondeuse, cépage typiquement local, dépassent la superficie occupée par la Jacquère. C'est un élément non négligeable dans l'approche qualitative du vignoble savoyard. On a trop tendance à ne voir dans ces régions que des productions importantes de vins blancs, alors que les vins rouges ont toujours été présents . Après une période de stagnation, on voit réapparaître aux côtés du Gamay, dont la productivité et la culture sont relativement faciles, la Mondeuse qui produit moins et de travail plus difficile, car c'est un cépage de deuxième époque qui risque certaines années peu clémentes de ne pas avoir le temps de venir à maturité. L'examen des superficies déclarées chaque année au moment des récoltes en Appellation Mondeuse et les chiffres de production correspondants, montrent bien que la conduite de ce cépage n'est pas forcément de tout repos. Ainsi, certaines années, la Cave Coopérative de Chautagne préfère déclasser les superficies et la production de Mondeuse afin d'éviter les conséquences réglementaires d'une aire AOC ne correspondant pas aux normes : rendement et degré minimum.

Il y a là une vision assez encourageante quant à la spécialisation et à la recherche d'une qualité de la part des vignerons savoyards. Sans avoir pris en compte les replantations ordinaires qui résultent des transactions propres à chaque exploitation, on se rend compte que le vignoble a été profondément rajeuni et que la recherche de la qualité ne passe pas uniquement par les solutions de facilité avec le choix des cépages produisant bien et régulièrement ; on recherche également, l'originalité par un retour aux plants typiquement locaux. C'est un phénomène qu'il est important de mentionner, surtout dans un vignoble qui n'a pas jusqu'à présent éprouvé de problèmes de débouchés, bien au contraire.

L'étude des diagrammes ou fichiers images communaux nous permet de dégager quelques grandes lignes.

Vingt deux communes sont concernées par la procédure des replantations gratuites pendant la courte période étudiée : Trois communes ne sont pas touchées par ce mouvement : Barby, Challes-les-Eaux et Montmélian, ce qui n'est pas surprenant, puisqu'il s'agit de communes urbaines et péri-urbaines, où l'agriculteur en général et le viticulteur en particulier n'occupent qu'une place marginale. On peut adjoindre à ce groupe St Alban où un seul vigneron a usé de cette possibilité en 1975 pour une superficie de deux hectares.

A l'inverse, neuf communes apparaissent chaque année sur les registres : Apremont, Arbin, Chignin, Cruet, Fréterive, Jongieux, Les Marches, St Baldoph et St Pierre d'Albigny. Quatre autres sont absentes une année sur cinq, Billième, St Jeoire, Ruffieux et St Jean de Chevelu qui est présente sans interruption en 1975, 76 et 77.

Il n'est pas étonnant de constater que cinq communes regroupent les deux tiers du vignoble replanté à cette époque : Jongieux 17,2%, Apremont 14,6%, St Pierre d'Albigny 11,6%, Fréterive 11,4%, et Chignin 9,5%. Cinq communes se répartissent ensuite 6 et 3% du total : Les Marches, Cruet, Billième, Myans, St Pierre d'Albigny. Arbin et St Baldoph, Ruffieux et Francin totalisent chacune moins 2% du même total. Les autres communes n'ont que peu d'importance dans cet ensemble.

On peut classer les communes en trois grands groupes en fonction de leurs images par rapport à l'évolution générale.

Un premier groupe comprend : Arbin, St Baldoph, Cruet , St Pierre d'Albigny et St Jean de la Porte. Il se distingue car ces cinq communes ont replanté plus en 1975 qu'en 1970, alors que pour toutes les autres communes, la tendance est inverse. Cette année-là seules trois autres communes ont replanté plus qu'elles : Jongieux, Apremont et Les Marches. Il y a ici la preuve d'une originalité certaine. De plus, à l'exception de St Baldoph, ce sont des communes riveraines qui ont toutes, y compris St Baldoph , une partie plus ou moins importante de leurs vignerons membres de la Cave Coopérative de Cruet. Celle-ci, a, en effet, lancé une campagne pour inciter ses adhérents à faire oeuvre de renouveau en profitant des possibilités offertes. On voit toute l'importance que peuvent prendre les initiatives isolées ou collectives, entraînant des modifications sur le vignoble des communes concernées. Ce qui, a posteriori, prouve le rôle "d'indicateur ''que peut avoir cette source de renseignements. L'évolution diffère pour les années suivantes, mais on remarquera quand même une similitude entre les quatre communes.

St Pierre d'Albigny occupe une place un peu à part ; elle fait la transition avec le groupe suivant. Par l'importance,des superficies considérées, son image ressemble plus à celles des communes ci-après : Jongieux, Apremont, Fréterive et Chignin. Celles-ci sont les plus dynamiques et les plus importantes. Dans cet ensemble, Jongieux s'individualise nettement. C'est elle qui a le plus fort volume de superficie replantée. En 1976 elle représente à elle seule 43% du total, alors que les autres communes, la même année, accusent une baisse sensible. Les deux dernières années, c'est Fréterive qui domine ce groupe avec une progression constante alors qu'Apremont et Chignin restent stables.

Il faut placer à part Les Marches. Son évolution est irrégulière et reste relativement modeste. On peut s'en étonner, si l'on se souvient que c'est la principale commune viticole de la Savoie. Mais le terroir est complètement occupé et il n'est plus tellement possible aux vignerons d'en reculer les limites, sauf en débordant sur le territoire des communes environnantes. Dans ces conditions, le renouvellement et l'entretien du vignoble s'effectuent selon la procédure normale des arrachages et des plantations.

On peut ensuite regrouper Billième, Myans, Ruffieux et St Jeoire. Les deux premières présentent une image discontinue qui reflète un mouvement dynamique visible à Billième qui se rapproche de la moyenne. A Myans, on note un effort important de replantation en 1978 qui se situe à un niveau très voisin de 1970.

Les autres communes enregistrent des volumes trop peu importants pour être significatifs. Il en ressort soit l'impression d'un déclin (Motz, Chindrieux, Francin, Brison, Yenne) soit une initiative ou un effort isolés, insuffisants pour inverser le cours des choses : St Jean de la Porte et Serriêres. Dans cette commune, on a autant replanté en 1978 qu'en 1970. Cela révèle, exemple unique actuellement, un changement d'orientation avec l'arrivée d'un vigneron étranger à la commune. Originaire de Jongieux où il exploite dans le cadre d'un G.A.E.C. et désireux d'agrandir son implantation, il a été attiré par des terrains disponibles et mis à sa disposition par le Conseil Municipal. Cette situation qui est révélée par le fichier image, est-elle le prélude d'un nouvel essor ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais il faut relever l'intérêt que la Communauté porte à cette initiative.

Quelle conclusion peut-on tirer de l'utilisation de cette information ? Il faut d'abord redire qu'elle est fragmentaire, et que l'enquête s'étend sur une durée trop limitée pour que les mouvements qui apparaissent soient vraiment révélateurs. Mais nous pouvons quand même remarquer que :

  • la répartition des droits de replantation gratuits renforce encore l'importance des principaux centres viticoles : Jongieux, Apremont, Chignin, Les Marches. Elle met en évidence l'évolution de deux communes : Fréterive et St Pierre d'Albigny. Ce sont celles qui profitent le plus des possiblités offertes pour entreprendre un rajeunissement de leur vignoble et une reconversion qualitative.
  • les petites communes profitent peu de ces possibilités. Seules celles qui sont dépendantes d'organismes collectifs ou coopératifs ont bénéficié un peu plus des avantages offerts et dans une mesure relativement modeste. Ceci montre bien le rôle fondamental du facteur humain et l'importance des mentalités face à l'innovation sous toutes ses formes.

Si les droits gratuits de replantation peuvent aider un vigneron déjà installé, cette procédure ne peut à elle seule inciter un paysan à rester sur place ou à revenir. C'est en fait une prime au plus puissant. L'exemple de Serrières est révélateur du risque qui apparaît. Les vignerons -on pourrait dire les exploitants viticoles- qui ne peuvent plus agrandir leurs exploitations sur place, n'hésiteront pas à investir ailleurs grâce aux facilités accordées.. Il y a là une nouvelle étape dans l'évolution du vignoble qui se dessine à l'horizon et qui ne correspond peut-être pas au but recherché, et en tout cas, pas du tout à la situation démographique actuelle. Ce phénomène n'est visible qu'à travers l'étude et l'analyse d'une source d'information "secondaire" ; une certaine prudence est de rigueur, mais l'étude des facteurs humains doit nous permettre de mieux entrevoir le proche avenir du vignoble savoyard.