Nous avons mené notre enquête à deux niveaux :
Grâce à la collaboration de la Mutualité Sociale Agricole, nous avons pu déterminer le mode d'activité des vignerons dont nous avons constitué la liste nominative à partir des déclarations individuelles de récolte. Pour tous ceux qui étaient inscrits à la Mutualité Sociale Agricole, leur activité, simple ou double, était notée dans les fichiers. Pour ceux qui étaient mentionnés "inconnus au fichier" et qui ne concernaient que les plus petites surfaces, nous avons considéré, après recoupement, qu'ils étaient des doubles actifs. Nous n'avons pas tenu ce raisonnement pour la commune de St Pierre d'Albigny. Il ne nous était pas possible de vérifier l'exactitude de ce recensemeint à cause de l'originalité foncière de cette commune ; bon nombre de propriétaires qui se déclarent vignerons et qui remplissent une fiche de déclaration de récolte sur la commune, sont des agriculteurs originaires de communes de la région des Bauges 32 : Curienne, Puygros, Thoiry. Ils ne figurent donc pas au fichier communal de St Pierre d'Albigny, mais à celui de la commune où est le siège principal de l'exploitation.
Nous avons pu ainsi déterminer l'importance de la double activité par rapport au nombre de vignerons et à la superficie, ainsi que l'âge des vignerons selon leur statut d'activité.
Nous avons, pour la commune de Chindrieux, procédé à une enquête approfondie qui nous a permis en même temps, de vérifier l'exactitude des données fournies par la Mutualité Sociale Agricole.
Sources : M.S.A. - 1978 D.6.I. - 1978
Nous voulions sur une commune, effectuer, en la précisant, la même démarche que pour l'ensemble du vignoble, et tenter de dégager les facteurs qui régissent l'évolution de la viticulture dans une commune.
Pour l'ensemble du vignoble, 61 / 8% des vignerons sont des doubles actifs, c'est à dire que leur exploitation viticole n'est pas leur seule et unique source de revenus, même si elle reste, pour bon nombre, la principale. Nous avons admis, pour cette enquête, que tout individu qui disposait d'un autre revenu, était considéré comme double actif. Toujours pour l'ensemble du vignoble, les double-actifs exploitent 31,4% de la superficie totale ce qui relativise immédiatement leur poids économique. Si la double activité est importante au niveau des individus, elle l'est beaucoup moins en ce qui concerne les structures. Si l'on compare avec les chiffres que nous fournit le Recensement de l'Agriculture de 1970, on constate l'ampleur du phénomène dans le vignoble ; 26,1% des agriculteurs déclarent avoir une activité extérieure pour l'ensemble des communes du vignoble. L'examen par commune montre le même écart entre les deux sources, ce qui indique bien l'importance que représente la double activité dans la viticulture.
Quelle est la place exacte de la double activité au niveau de la commune pour les exploitants et pour les exploitations ? Comment est-elle répartie à l'intérieur de l'ensemble viticole savoyard ?
Seules cinq communes ont plus de la moitié de leurs vignerons qui sont agriculteurs à temps plein : Jongieux, Chindrieux, Freterive, Chignin.et Myans. Dans ces communes la superficie exploitée par les agriculteurs à temps complet est toujours supérieure à 75% et approche les 100% à Jongieux, confirmant ainsi la situation de quasi monoculture occupée par la vigne. Dans le groupe suivant la part des double actifs varie entre 50 et 60% à Francin, Apremont, Les Marches, St Baldoph, mais les simples actifs sont toujours présents dans une proportion supérieure à la moyenne, et la superficie correspondante est aussi importante que dans le groupe de tête : 4 à 5% à Francin, 73% aux Marches et à Apremont, 76% à St Baldoph. Dans toutes ces communes la monoactivité domine aussi bien chez les exploitants que pour les superficies.
Dans un troisième groupe, les double actifs représentent au minimum les deux-tiers du total des individus et la superficie exploitée, partout supérieure à la moyenne régionale, approche au départ les 50%, sauf à St Jean de Chevelu, Cruet, Ruffieux et Arbin.
Dans ces communes, les vignerons à temps plein occupent respectivement 56, 57 et 62% du total. On retrouve pour St Jean de Chevelu des nuances que nous avons déjà observées à propos de la population ou des structures agraires. Notons que les communes où les vignerons coopérateurs sont nombreux, sont parmi celles qui ont les plus fortes proportions de doubles actifs avec des superficies relativement modestes. La présence d'une cave coopérative favorise le maintien de ces vignerons qui entretiennent une surface minime en bénéficiant de l'infrastructure collective qui les déchargent de toutes les contraintes imposées par la vinification : matériel, local, etc... La viticulture s'accomode facilement en ce qui concerne le calendrier des travaux de la double activité.
Trois communes font exception : Challes, Yenne et Motz, où la superficie exploitée en double activité est supérieure à la moyenne alors que c'est le nombre de vignerons à temps plein qui dépasse la moyenne du vignoble. Là encore, le lien semble clair entre la survivance d'une activité agricole et la présence d'une population dont l'activité principale n'est plus agricole, confirmée par la répartition des C.S.P. par commune. Cette singularité s'explique par la présence de quelques grandes exploitations double actives menées par des vignerons relativement plus jeunes que la moyenne, alors que les agriculteurs à temps plein, sont plus âgés et travaillent sur de plus petites exploitations.
Il est frappant, de prime abord, de constater l'importance des doubles-actifs dans les communes viticoles savoyardes. On sait depuis quelques années 33 que la viticulture est une activité agricole spécialisée qui s'accomode d'un taux de double activité important 34 . Mais un examen plus poussé permet de préciser la part fort variable en fin de compte, du phénomène au niveau communal. Si elle est présente partout, son importance face au problème du maintien d'une activité agricole n'est pas uniforme. Sa place est marginale dans les communes qui sont les plus spécialisées dans la viticulture et qui ont gardé une activité agricole importante : Jongieux, Chindrieux, Fréterive, Chignin, Myans, Francin et Apremont. En effet, dans ces communes, la double activité est inférieure à la moyenne régionale pour les exploitants et les exploitations.
Dans les communes restantes, la double activité est prépondérante, mais rappelons encore que si la part des exploitants va de 62 à 90%, l'importance de la superficie varie seulement entre 34 et 80%. On note une population de double actifs élevée en moyenne pour une superficie qui elle reste faible. Il est intéressant de rapprocher les tableaux de la répartition des communes selon la nature d'activité , la taille des exploitations et la superficie en vignes en 1978. Le même mode de classement y apparaît : on peut en tirer une conclusion provisoire, mais intéressante pour l'aménagement rural de ces régions. Les communes où domine la petite exploitation sont celles où la double activité est la plus importante.
Sources : Fichier communal M.S.A. Déclarations individuelles des récoltes D.G.I.
La répartition des vignerons par tranche 'd'âge et selon leur statut d'activité est aussi significative. C'est ainsi que les viticulteurs à plein temps sont plus jeunes que les double-actifs, pour les trois tranches d'âge traditionnelles : 0-40 ans, 40-60 ans, 60 ans et plus, on obtient respectivement :
Les vignerons à temps complet sont plus nombreux dans les deux premières tranches d'âge (les jeunes et les adultes) et moins nombreux dans la troisième (les vieux), alors que, pour les double-actifs, nous trouvons la situation inverse par rapport à l'ensemble des vignerons. Ainsi la double activité concerne plutôt les couches âgées et les petites exploitations.
Essayons d'aller plus avant pour préciser l'importance de la double activité. La répartition des communes selon l'âge des vignerons et en fonction du statut d'activité doit nous amener à quelques conclusions :
Chez les simples actifs, la répartition se fait de manière claire entre jeunes (Fréterive, St Jean Chevelu, Ruffieux, Les Marches, Billieme, Apremont, Yenne, St Jean de la Porte et Jongieux), les adultes (Myans, Barby, Serrières, Lucey, St Jeoire Prieuré) et âgés (Francin, Brison, Cruet, Motz, St Baldolph, Chindrieux, StAlban, Challes, Arbin, Montmélian).
Mais il nous semble plus intéressant de mettre en rapport dans chaque commune, l'âge des simples et des doubles actifs. On remarque alors que quatre groupes se dégagent, qui permettent, par leur caractéristique démographique, d'entrevoir l'avenir de la viticulture dans ces communes savoyardes.
Cette analyse de la double activité à l'intérieur du vignoble savoyard est forcément rapide et limitée. Nous avons vu que l'importance des exploitants est pondérée par la superficie concernée. Mais nous estimons qu'il est important de préciser cette approche par la comparaison du poids démographique des simples et des double-actifs au niveau de chaque commune.
Il faudra étudier les rapports existant entre l'âge des vignerons et la superficie exploitée, le temps consacré par les double-actifs aux diverses activités et surtout les revenus qui en sont tirés. Mais on perçoit malgré toutes ces réserves et ces insuffisances, l'importance sociale sinon le poids économique de la double activité et ses implications sur l'occupation et l'utilisation de l'espace.
Pour terminer, nous examinerons la situation de la viticulture dans une commune : Chindrieux. Nous avons rassemblé les principaux facteurs d'étude du vignoble, démographique, mais aussi agraires et nous avons cherché à établir les rapports qui pourraient exister entre ceux-ci : double activité et âge des vignerons, double activité et statut économique : vigneron coopérateur ou indépendant, âge du vigneron, âge du vignoble. Nous avons pour cela constitué une fiche matrice portant sur 101 exploitations 35 .
Un premier classement effectué uniquement sur le statut d'activité et le statut économique : coopérateur ou indépendant. Il permettait seulement de voir la répartition des exploitants selon ces deux critères : 43% de double actif (1), 58% de coopérateurs. 52% de coopérateurs (4) sont doubles actifs contre 34% d'indépendants (2). On pourrait voir que les grandes exploitations sont situées chez les simples actifs (3) et sont plus nombreuses chez les coopérateurs que chez les vignerons. Mais il n'était guère possible d'aller plus avant dans un système de classification.
Un deuxième classement fut entrepris qui essayait de relier la superficie des exploitations avec l'âge des vignerons et l'âge du vignoble. En classant les vignerons de haut en bas du graphe, selon un âge croissant et en même temps les grandes exploitations, on voit se dessiner une image qui montre : deux pôles (A,S ) constitués par les exploitations dont la superficie est supérieures à la moyenne communale. Dans le premier, l'âge des vignerons est plutôt jeune, de même que le vignoble. Les simples actifs coopérateurs y sont les plus nombreux. Dans le second, un peu plus important, l'âge des vignerons dépasse toujours la moyenne. Le vignoble est réparti en deux parts égales entre les exploitations dont l'âge est inférieur à la moyenne ( ) et celles qui dépassent cette moyenne. ll faut nuancer le critère de l'âge de l'exploitant, en se référant à l'examen de chaque exploitation, on se rend compte que l'exploitant en titre a souvent passé la main à un descendant ce qui explique ces cas aberrants.
Entre ces deux pôles, on voit la superficie des exploitations suivre une courbe dégressive pour former un "creux" très régulier au dessous de la moyenne (D ). Ce profil négatif va de pair avec une augmentation de l'âge des exploitations (C) et pour certaines d'entre elles un âge des vignerons élevé (E). Aux deux extrémités du graphe on trouve des exploitations petites et plutôt jeunes, qui sont très souvent le fait de double-actifs coopérateurs.
Quelles conclusions peut-on tirer de cette image qui représente l'état du vignoble dans une commune ?
On peut distinguer trois groupes.
Ce fichier matrice montre bien l'importance des facteur humains lorsque l'on étudie le vignoble savoyard à l'échelle d'une commune, mais aussi de la région. Les rapports qui existent entre ceux-ci et la définition d'une exploitation viticole sont visibles sur l'image ainsi que le poids des facteurs socio-économiques : double activité, secteur coopératif. On s'aperçoit en ce qui concerne Chindrieux - ce genre d'enquête devra être étendue à tout le vignoble - que les double-actifs sont associés à de petites exploitations, bien souvent peu entretenues. Ils profitent de la présence d'organismes collectifs (cave: coopérative) qui les soulagent de la fabrication du vin, mais à qui ils n'apportent pas un produit de qualité d'un rapport économique intéressant. Leur présence ne risque-t-elle pas d'être un élément qui retarde l'évolution du vignoble, en conservant un terrain qui pourrait être mieux utilisé par un vrai vigneron qui recherche la création d'un produit de qualité ? On peut dire que toute cette masse de petits exploitants à temps partiel, si elle a permis le maintien en l'état d'une part de l'espace viticole masque la réalité actuelle.
En conclusion on peut affirmer que dans cette commune, l'évolution de la viticulture est négative à bref délai, seul le tiers du total actuel est suceptible de survivre et de se développer. Va-t-on vers un vignoble animé par quelques spécialistes ?
Voir l'article de F. Gex : La vigne dans la Combe de Savoie - R.G.A. 1943 - t. 31 - p. 443 - 512
Rapport au Conseil Economique et Social - J.O. du 29/9/1976 : La double activité en milieu rural.
LACOMBE et LAURENT
La méthode a été décrite dans le chapitre « Les moyens d’accès à la conniassance ».