En 1960, point de départ de notre recherche, le vignoble savoyard se caractérisait par une domination écrasante des petites exploitations viticoles intégrées dans les exploitations agricoles peu spécialisées. La vigne âgée était peu renouvelée, la spécialisation ampélographique et la production d'un vin de qualité limitées à quelques communes. La situation était l'héritage d'une replantation postphylloxérique datant du début du siècle, où le souci de la quantité prenait le pas sur la recherche de la qualité et où l'on demandait au vignoble de satisfaire les besoins de la population locale.
Vingt ans après, on peut mesurer les effets d'une reconversion quantitative et qualitative des structures agraires et foncières. La recherche de la qualité est devenue le souci principal du vigneron savoyard. Elle se traduit dans le paysage par un profond renouvellement des surfaces plantées en vigne. Dans le même temps, un mouvement de concentration de la superficie par diminution des exploitations à accru le phénomène de spécialisation. Avec un total de 2500 exploitants pour 1500 ha dont les deux tiers produisant des vins d'appellation contrôlée, la viticulture représente 6% du revenu agricole du département.
Mais à ces aspects encourageants, des transformations structurelles du vignoble, qui correspondent à l'évolution des structures agraires en général et à celle du vignoble français en particulier, il faut opposer une évolution nettement moins positive des facteurs humains sur l plan démographique , social et économique . On assiste à une déruralisation accentuée de ces communes viticoles de l'Avant-Pays qui se manifeste par une diminution quantitative doublée d'un vieillissement de la population agricole et active agricole. On perçoit une structure démographique déséquilibrée qui se renforce lorqu'on étudie les populations actives agricoles en général et les vignerons en particulier.
En corollaire d'une structure socio-démographique mélangée, on voit augmenter l'influence de la double activité dont l'importance et les effets sur la viticulture-étaient mal perçus et mal mesurés. Celleci a permis le maintien en l'état d'une partie non négligeable de l'espace viticole par des individus qui complètent leur revenu par une activité extérieure principale ou secondaire. Mais c'est en même temps un motif d'inquiétude à moyen terme. Les viticulteurs double-actifs ne sont pas particulièrement jeunes ; dans l'ensemble ils sont même plus âgés que les vignerons à temps complet et ne peuvent que rarement compter sur une descendance décidée à prendre la relève et à gérer l'exploitation. On assiste petit à petit à une opposition de plus en plus forte entre un groupe relativement homogène de vignerons plutôt jeunes, simples actifs, spécialisés dans la culture de la vigne sur de grandes exploitations (à l'échelle savoyarde) et une nébuleuse d'exploitants âgés double-actifs ou non, condamnés à disparaître à brève échéance. La structure démographique du vignoble n'est pas très dynamique. Ces effets négatifs sont encore renforcés par la concurrence effrénée que se livrent, à propos de la consommation d'un espace agricole insuffisamment protégé, d'autres phénomènes : urbanisation, tourisme etc...
L'étude du vignoble et de la viticulture était pour nous les prémices nécessaires à une réflexion sur l'aménagement de l'espace rural dans ces régions. La connaissance parfaite de la réalité de ce secteur original face à l'agriculture du département, ignoré ou délaissé par les responsables professionnels ou les cadres de l'administration était urgente. On a trop tendance à se satisfaire de la réputation d'aisance dans laquelle vivraient les vignerons, pour éviter d'aborder ces problêmes. La viticulture est le secteur agricole dont l'encadrement technique est le plus faible. La Chambre d'Agriculture n'a pas jugé bon de recruter et de rémunérer un conseiller technique viticole. L'Institut Technique du Vin se substitue heureusement à cette carence 36 qui montre la marginalisation de la viticulture au sein des structures agricoles savoyardes. Il faut rapprocher cet aspect méconnu de la réalité, du faible intérêt manifesté par les responsables de l'aménagement rural. Une des grandes réalisations récentes est la création d'une route des vins économico-touristique dont le balisage a été financé en grande partie par le Syndicat des Vins de Savoie.
La prise en compte des problêmes du vignoble et notamment la préservation de l'espace rural dans les régions menacées est dans bien des cas restée lettre morte. La présence ou l'adoption à l'échelle communale ou cantonale d'un Plan d'Occupation des Sols n'est pas un gage de sécurité : l'exemple de Chindrieux en est la preuve . Dans cette commune les terrains réservés à la construction occupent le coteau viticole, a lors que les terrains agricoles sont cantonnés dans la bas de la pente à la limite des marais. Les responsables ont une vision "euphorique" - la connotation optimiste du vin n'est pas absente - de la situation du vignoble savoyard. Un exemple montre clairement cet état d'esprit : c'est au terme d'un après-midi entier d'entretiens avec les dirigeants syndicaux viticoles que fut abordé presque par hasard le problême actuellement le plus lourd de conséquence : la double activité.
Aucune réflexion n'a été entreprise sur les remèdes susceptibles d'améliorer la situation qui se profile à court terme parce qu'on ne possède pas d'éléments d'appréciation de la réalité. Nous rejoignons ainsi par le biais de la méthodologie l'objet de notre recherche. Nous ne serions pas arrivés à la définition d'un espace viticole fondé sur une connaissance précise de la réalité sans l'apport du traitement graphique de l'information. Réciproquement l'étude du vignoble savoyard est un bon exemple de l'aide à la décision que peut apporter une telle démarche méthodologique. La transcription graphique et l'analyse d'un certains nombre de critères dont nous revendiquons le choix, ont permis de déterminer quels sont les facteurs les plus représentatifs de l'état actuel du vignoble savoyard. On obtient ainsi un classement et une cartographie des communes viticoles à partir des critères retenus. Plutôt que d'affirmer dans un discours vague qu'il "faut préserver des activités agricoles susceptibles de maintenir un seuil de population minimum" il serait plus conforme à la réalité et plus efficace pour l'avenir de déterminer les espaces qui doivent être maintenus en l'état et protégés à tout prix et ceux où le cours des choses ne peut être renversé.
Le vignoble savoyard se caractérise actuellement par une diminution importante des exploitations, un âge élevé des vignerons, des exploitations de moyenne superficie et une diminution de la population active agricole au profit d'autres activités. Mais au delà de cette vision moyenne un certain nombre des composantes du vignoble se distinguent par une population agricole importante et jeune, une diminution de la population active agricole peu marquée, des exploitations grandes où la spécialisation vers un produit de qualité est affirmée. Le renouvellement du vignoble y est plus important qu'ailleurs et toutes les possibilités réglementaires existantes sont utilisées en vue de son amélioration. Inversement dans d'autres communes les caractères dominants sont ceux d'une population agricole réduite , des petites exploitations et une double activité supérieure a la moyenne du vignoble, liés à la présence d'un vignoble commun et peu spécialisé. Ici, la vigne survit et est menacée à plus ou moins brève échéance alors que là-bas elle se développe selon une dynamique favorable.
Trois ensembles géographiques se dégagent qui se différencient par rapport à l'image moyenne du vignoble.
Ainsi apparait une nouvelle géographie du vignoble. La typologie régionale que nous venons d'esquisser n'obéit pas à des critères traditionnels de proximité, mais décrit et met en rapport des ensembles humains , économiques aux caractères identiques ou voisins dans un espace déterminé.
Aider à la décision d'aménagement et de protection de l'espace rural en présentant aux responsables des informations recueillies et ordonnées de façon à appréhender la réalité dans son exhaustivité, tout en dégageant les grandes lignes et en synthétisant les orientations tel était l'objet de cette recherche.
Arrivé au terme de celle-ci, il est clair que la démarche doit être généralisée à partir de ce qui n'était qu'un exemple. Il doit être dépassé et amplifié pour déboucher sur une connaissance exhaustive de l'espace rural de ces zones de montagnes et de moyennes montagnes, favorisant ainsi un aménagement cohérent et réaliste.
Avec la présence d'un seul conseiller pour résoudre les problêmes pédologiques, ampélographiques et oenologiques.