Partie 1 : Introduction à la vie lyonnaise

La ville qui a vu naître le normalien Burdeau, dont Herriot est devenu le maire après être lui aussi passé par la rue d'Ulm, n'est pas une ville qui s'offre facilement. Non pas au nom d'une peu probable anthropomorphisme psychologique dont un autre normalien, Nizan, abuse sans doute dans sa Présentation d'une ville lorsqu'il oppose la capitale rhodanienne à Marseille ‑ "Lyon entre ses collines molles qui fondent à l'abri de ses maisons impitoyables, de son écran de brume et de fumées se défend comme une veuve catholique. Marseille se livre et s'abandonne comme une de nos filles aux grosses joues couvertes de fards éclatants qui descendent la Canebière en gonflant leurs jabots 113 " - mais plutôt en raison d'une caractéristique qu'elle partage précisément avec la cité phocéenne : la falsification des recensements 114 .

Cet état de fait a de lourdes conséquences. Le dopage des chiffres pèse sur toute étude de la cité d'Edouard Herriot 115 . Elle se répercute sur notre connaissance de l'emploi, du logement, de la population et nombre d'indicateurs dont la connaissance permet, habituellement, de caler les résultats d'une étude urbaine sont ici controuvés. De ce fait, j'ai dû naviguer entre les écueils pour cette introduction à la vie lyonnaise.

Le premier chapitre, le plus long, est une sorte de promenade, pas totalement innocente, dans les différents quartiers de la ville. Elle repose sur le suivi, de 1896 à 1936, d'une dizaine d'immeubles dont les habitants, s'ils ne sont pas statistiquement représentatifs, incarnent des types urbains bien distincts.

Le second chapitre est une exploration par le biais des grands cercles de l'espace social des élites lyonnaises. Les deux premiers chapitres s'intéressent surtout aux Lyonnais. Les deux suivants, plus abstraits, tentent d'explorer deux domaines dont la connaissance est nécessaire à la compréhension des mobilités : le logement et les tendances de l'économie locale pendant la période étudiée. Ils ne sont d'ailleurs pas traités pour eux-mêmes - pari d'ailleurs difficile à tenir eu égard aux falsifications des recensements - mais pour leurs conséquences sur les problèmes de mobilité.

Notes
113.

Paul Nizan, "Présentation d'un ville", in Paul Nizan, Intellectuel communiste, p. 141-194. La citation se trouve p. 142.

Ce texte paru en 1934 dans Littérature Internationale devait être intégré à son roman Cheval de Troie. C'est une présentation de Bourg‑en‑Bresse, la ville qui concentrait toutes les haines du jeune professeur de philosophie Certaines descriptions lui ont cependant été inspirées par Vienne.

114.

Pour Marseille, voir Marcel Roncayolo, Croissance et division sociale de l'espace urbain, essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Thèse de doctorat d'Etat, Paris 1, 1981, tome 1, p. 137 et sq.

Pour Lyon, voir Jean Bienfait, "La population de Lyon à travers un quart de siècle de recensements douteux, 1911-1936", Revue de géographie de Lyon, 1968, n° 1-2, p. 63-132

115.

Rendons à César ce qui lui revient !. Sur le caractère autoritaire du principat d'Herriot, voir Jessner Sabine, "Edouard Herriot in Lyons : some aspects of his role as mayor", Warner Charles K. editor, From the Ancien Regime to the Popular Front, Essays in History of Modern France in Honor of Shepard B. Clough, Columbia University Press, 1969, p. 145-159

A la veille du premier recensement falsifié, celui de 1911, le maire de Lyon intervient au conseil municipal pour protester contre la fréquence des opérations de recensements (Bulletin municipal de Lyon, 17 janvier 1909, p. 37). Il évoque une demande de la municipalité de Dijon pour rendre décennaux, et non plus quinquennaux, les dénombrements afin de réduire "les frais élevés incombant au municipalités, par suite des opérations du recensement quinquennal". Il propose d'appuyer cette demande de la municipalité dijonnaise et il poursuit : "Ainsi que je le faisais remarquer dans mon rapport du 22 janvier 1906… il avait été question à un moment donné de n'opérer le dénombrement de la population que tous les dix ans et non plus tous les cinq ans. Cette question s'était en effet posée après le dénombrement de 1901, mais n'a pas reçu de solution. J'ajoute que les dépenses des derniers recensements effectués à Lyon se sont élevées à 40.000 francs en 1901 et à 39.345 francs en 1906."