b. La colline où l'on travaille

La forte stabilité d'ensemble la population de cet immeuble n'empêche pas une forte évolution des secteurs d'emploi, tant masculins que féminins comme l'indiquent les deux tableaux suivants.

Tableau n° 11 : La population active masculine, 12 rue C.-J. Bonnet
  1896 1901 1906 1911 1921 1926 1931 1936
ajusteur         1      
dessinateur             1 1
égoutier           1    
employé 1 1 2     3 4 3
encaisseur         1      
garçon de rentes           1    
homme de peine         1      
jardinier       1 1      
manœuvre 1             1
repousseur métaux             1  
représentant             1 1
surveillant             1  
teinturier     1          
tisseur 9 6 5 2 1      
tulliste       1   1   1
voyageur         1      
sans indication         3      
Hommes > 16 ans 11 7 8 4 9 6 8 8
Tableau n°12 : la population active féminine, 12 rue C.-J. Bonnet
  1896 1901 1906 1911 1921 1926 1931 1936
confectionneuse           1    
couturière     1 2 1 1 1  
dévideuse     2          
employée     1   1   1  
galonneuse         1      
guimpière             1  
lingère               1
ourdisseuse     2          
téléphoniste           1    
tisseuse 9 4 2 3 1    
sans indication 0 1 1 0 10 6 6 6
Femmes > 16 ans 9 5 9 5 13 10 9 7

A la lecture des appellations professionnelles le caractère populaire du quartier est la première impression qui prévaut. Le milieu est proche de celui rencontré rue Tavernier avant guerre, avant l'arrivée de la communauté espagnole, mais la structure professionnelle est beaucoup plus homogène tant chez les hommes que chez les femmes. L'écrasante hégémonie de la soierie est encore perceptible en 1896. Neuf hommes sur onze sont tisseurs et neuf femmes sur neuf sont tisseuses. A cette date, aucune indication n'est fournie par les listes nominatives en matière de statut professionnel mais tout indique que l'atelier familial domine comme le confirment les recensements suivants. En 1906, un seul couple de tisseurs, récemment arrivé dans l'immeuble, est employé dans l'usine Gindre. Les deux époux sont plus jeunes que les autres tisseurs et dès 1911, le mari change de profession. L'âge moyen des tisseurs est élevé et augmente régulièrement à chaque recensement 230 . Il témoigne de la stabilité résidentielle des tisseurs, imposée par les conditions techniques mêmes, et du déclin de la fabrique dont les emplois ne sont pas renouvelés. Pour les fils de tisseurs l'hérédité professionnelle n'est plus possible, l'évolution même des structures économiques leur impose la mobilité. Une famille illustre très bien ce phénomène : celle de Siméon Chavent. En 1896, cet homme de 64 ans travaille avec sa femme, qui a le même âge, et avec deux fils de 29 et 18 ans. Un seul des trois fils recensés, le plus âgé, n'est pas inscrit comme tisseur mais comme manœuvre. Cinq ans plus tard, on ne retrouve que le père, la mère et le fils aîné maintenant recensé comme tisseur. Les deux plus jeunes ont disparu. Le recensement ne nous permet pas de savoir ce qu'ils sont devenus mais les listes électorales nous permettront de suivre les itinéraires de ces fils de tisseurs qui désertent "la colline où l'on travaille".

Après la guerre l'activité des femmes diminue brutalement et pour la majorité d'entre elles aucune profession n'est plus indiquée. Dans le même temps, les tisseurs disparaissent. A leur place s'installent des employés (Crédit Lyonnais, Banque de France) un représentant, un garçon de rentes… Le ménage de Constant Collet symbolise assez bien cette évolution. Cet employé du Crédit Lyonnais est né en 1879 à Serrières en Chautagne, village savoyard des bords du Rhône. Son épouse est née à quelques kilomètres de Serrières, à Seyssel, commune de naissance des deux sœurs Girollet. Hasard ? Constant et Marie-Louise Collet emménagent après le recensement de 1921 et ils restent dans le même immeuble jusqu'à la guerre. Pendant toute cette période, le mari conserve son emploi au Crédit Lyonnais.

Le suivi de cet immeuble illustre parfaitement les transformations sociales qui animent la Croix-Rousse où le métier à tisser s'efface au profit des bureaux. Les deux familles suivies, la famille Girollet et la famille Collet symbolisent cette évolution mais certaines caractéristiques générales de la population demeurent, telle la communauté des origines géographiques, ce qui conforte la sociabilité spécifique du quartier.

Notes
230.

Ce point repéré ici dans le cadre d'un immeuble et à partir des listes nominatives des recensements est confirmé par l'étude des listes électorales, à l'échelle de l'agglomération.