c. Les locataires

Le tableau dressé par la municipalité de Lyon fournit les mêmes renseignements que ceux évoqués pour l'immeuble du quai Saint-Vincent. L'expropriation des immeubles conduit à l'éviction de 110 ménages. Dans 61 cas la raison sociale du locataire ou sa profession, est explicitement indiquée. Le document peut ainsi nous fournir une échelle des loyers en fonction des professions. Le loyer moyen annuel est de 491 F 253 . En fait cette moyenne n'a pas grand sens car elle assimile des immeubles donnant sur le quai de Bondy ou sur la place Saint-Paul et des immeubles situés dans des venelles comme la rue Lainerie ou l'impasse de la Douane. Surtout, cette moyenne met sur le même plan des loyers de locaux commerciaux et de logements 254 .

Tableau n°14 : . Répartition des loyers annuels des immeubles expropriés du quartier Saint-Paul, 1901
loyers supérieurs à 1500 F 8
loyers entre 1000 et 1500 F 4
loyers entre 500 et 1000 F 22
loyers entre 300 et 500 F 12
loyers entre 200 et 300 F 18
loyers inférieurs à 200 F 38

Les loyers supérieurs à 1500 F annuels correspondent en fait à des locataires qui utilisent leur local à des fins professionnelles : un cafetier, responsable d'un bureau de messageries, un négociant en denrées alimentaires, un marchand de fourrures, un hôtelier-restaurateur, un liquoriste, dont les loyers sont très élevés, respectivement 1800 F, 2700 F, 2273 F … Le seul locataire qui n'entre pas dans cette catégorie est un chimiste installé place de l'Ancienne Douane et dont le loyer est plus faible ( 1550 F). Entre 500 et 1500 F, on trouve des petits commerçants, épiciers, boulangers, coiffeurs, marchands de charbon, marchands de vins et quelques ateliers dont un atelier de broderie, mais aussi une rentière et un professeur de musique …

Entre 200 et 300 F, les commerçants sont rares et lorsqu'il en y en a, ils se trouvent au bas de cette catégorie tel ce "tenancier de banc de soupe, sur le quai de Bondy, en face de l'impasse de l'Ancienne Douane" (sic), dont le loyer est de 240 F. En revanche, de nombreux employés, des voituriers, des camionneurs, un blanchisseur, un ouvrier serrurier figurent dans cette tranche de loyers. En deçà de 200 F, une grande partie des locataires ont des baux verbaux. Les chefs de ménage sont souvent des femmes et les indications professionnelles sont rares. Le bas de l'échelle sociale est atteint. On trouve des journalières, des lingères, un garçon épicier, des ouvriers (bijoutiers, peintre-plâtrier…). Il n'y a pratiquement pas d'employés ou de commerçants. Le seul commerçant est … une commerçante, marchande de légumes, sans doute marchande des quatre saisons avec étalage en plein vent, dont le loyer est de 24 F !

Ce quartier est un quartier populaire où des catégories sociales assez diverses cohabitent. On est loin des quartiers socialement assez homogènes comme Vaise ou Ainay. Afin de le confirmer, j'ai retenu six immeubles ayant plus de 10 locataires et j'ai calculé le loyer moyen de ces immeubles, le loyer minimal et le loyer maximal. Le tableau ci-après présente les résultats.

Tableau n°14 bis : Loyers moyens annuels dans six immeubles du quartier Saint-Paul, 1901
Adresse loyer moyen loyer minimal loyer maximal
6 Place Saint-Paul 588 F 143 F 980 F
3 Place de l'Ancienne Douane 558 F 96 F 2273 F
4 Place de l'Ancienne Douane 459 F 132 F 1279 F
5 Place Saint-Paul 294 F 96 F 840 F
3 impasse de la Douane 252 F 24 F 1200 F
6 rue de l'Angile 193 F 48 F 320 F

Il est clair que les loyers mensuels les plus élevés correspondent aux places, Saint-Paul, de l'Ancienne Douane, espaces privilégiés, alors que l'impasse et la rue de l'Angile, situées en arrière du quai de Bondy et donc moins lumineuses, ont des niveaux de loyers très inférieurs. Mais la règle n'est pas absolue : deux immeubles mitoyens de la place Saint-Paul ont des loyers moyens qui varient du simple au double. Celui du 5 place Saint-Paul a 23 locataires alors que celui du 6 n'en a que 10. Dans le premier, on trouve deux rentières de niveau modeste (loyer de 168 et de 360 F), un négociant en fromages, un marchand de charbon, des employés, un camionneur, un blanchisseur. L'immeuble mitoyen, moins peuplé, abrite une boulangère, un coiffeur, un tripier mais surtout plusieurs ménages dont la profession du chef de ménage n'est pas indiquée et qui ont des loyers élevés. Il s'agit sans doute de rentiers. La comparaison des deux immeubles suggère un brassage de population plus important dans le premier immeuble et un niveau social légèrement supérieur dans le second.

L'immeuble de l'impasse de la Douane est plus homogène que ne le suggèrent les chiffres. En fait il y a une "locataire générale", couturière de son état, qui ne réside pas dans l'immeuble, mais paie un loyer de 1200 F, et douze sous-locataires qui n'ont que des baux verbaux. Cinq chefs de ménage, dont quatre veuves, ont un loyer annuel de 24 F. Dans la colonne observations, il est précisé que la locataire principale recevra une somme de 4750 F "pour l'indemniser de la suppression des bénéfices qu'elle retire par les sous-locataires 255 ". Cet immeuble, assez homogène, réunit des ménages à revenus faibles et vient rappeler, comme celui de la rue Tavernier, qu'à quelques pas d'un quai ou d'une place, on peut trouver un îlot de pauvreté sinon de misère. Et cela pose une fois de plus le problème essentiel auquel doit répondre toute histoire sociale de la ville : à quelle échelle spatiale l'analyse doit-elle être menée ?

Notes
253.

Le loyer moyen des ménages pour lesquels la profession des chefs de ménage n'est pas indiquée est très inférieur (386 F). Dans de très nombreux cas, ces ménages ont pour chefs des femmes.

254.

En moyenne, les loyers de locaux commerciaux s'élèvent à 969 F et ceux des appartements à 397 F.

255.

Bulletin municipal de Lyon, 6 janvier 1901, p. 18