b. La population active

Le tableau suivant présente les professions déclarées par les hommes chefs de ménages aux différents recensements 263 .

Tableau n° 16 : Les professions déclarées des hommes chefs de ménages, 7 rue du Bœuf
1896 1901 1906 1911
CANTONNIER CORDONNIER COIFFEUR COIFFEUR
G. DE MAGASIN CORDONNIER EMPLOYE EMPLOYE
G. DE PEINE EBENISTE G. DE PEINE MANŒUVRE
MD DE MEUBLES EBENISTE MANŒUVRE RENTIER
MENUISIER EMPLOYE TEINTURIER TOLIER
POELIER EMPLOYE TOLIER
RENTIER EMPLOYE TOURNEUR METAUX
 
TEINTURIER EPICIER MD DE VINS
 
JARDINIER
JOURNALIER
MD DE MEUBLES
 
 
1921 1926 1936
BRONZIER COIFFEUR CHARBONNIER
COIFFEUR EMPLOYE CORRECTEUR TYPOGRAPHE
EMBALLEUR EMPLOYE EMPLOYE
EMPLOYE JOURNALIER MANUTENTIONNAIRE
EMPLOYE MANŒUVRE NEGOCIANT
IMPRIMEUR SELLIER PEINTRE PLATRIER
PRETRE TEINTURIER
TYPOGRAPHE TOLIER
TYPOGRAPHE TYPOGRAPHE
 
 

La composition sociale de l'immeuble n'a pas été bouleversée pendant les quarante années d'observation. On retrouve bien les caractéristiques d'un immeuble populaire, assez conformes à celles fournies par l'étude des immeubles rénovés de Saint-Paul. En 1896, par exemple, un rentier, sans doute modeste, un garçon de peine, des artisans ou des ouvriers qualifiés cohabitent. Le suivi de l'immeuble souligne les variations des appellations professionnelles qui affectent les mêmes individus à des dates différentes. Qu'un même individu soit menuisier de 1896 et ébéniste en 1901 n'a pas grand effet sur une classification mais qu'un teinturier devienne cinq ans plus tard rentier provoque plus d'interrogations. Il est clair cependant qu'il y a rentier et rentier. On ne peut mettre sur le même plan ce rentier et ceux qui habitent l'hôtel de Varey. Derrière le même mot se cachent des situations différentes.

En 1936, la composition sociale des chefs de ménages de l'immeuble n'est pas très différente de ce qu'elle était avant-guerre. Précisons que le négociant est un espagnol, né à Cullera, ville dont nous avons déjà parlé à propos de la rue Tavernier. En fait il est grossiste en fruits et légumes Son cas est celui d'un immigré qui a réussi, assez éloigné des manœuvres de la colonie espagnole de la rue Tavernier.

Sa carrière est voisine de celle d'un autre commerçant espagnol avec qui j'ai eu un entretien en 1979. Né comme lui au tournant du XIXe siècle, il était venu en France en 1917 et avait d'abord travaillé à Pont-de-Chéruy, à l'usine Grammont, spécialisée dans le matériel électrique. Il y rencontra sa femme, née à Montpezat, dans l'Ardèche. Par la suite, le réseau de relations ardéchoises de sa femme sera essentiel dans la réussite de sa carrière. Dans les années vingt, il travaillait pour un marchand de légumes installé près du quai Augagneur, à la Guillotière et grâce à un prêt de son beau-père, plâtrier-peintre à Montpezat, devint propriétaire d'un fonds de commerce grande rue de la Guillotière. Il était à la fois épicier, volailler et marchand de légumes. De même que le négociant de la rue du Bœuf, il n'a eu qu'un seul fils, aujourd'hui grossiste au marché-gare et dont il est très fier. Dans le cas du commerçant de la rue de la Guillotière, je sais par son témoignage qu'il n'a eu qu'un seul enfant, dans celui du négociant de la rue du Bœuf, ce n'est qu'une présomption mais elle a de fortes chances d'être exacte : à 37 ans, il n'a qu'un seul enfant alors que les chefs de ménages espagnols, habitant rue Tavernier, aussi âgés ou plus jeunes que lui ont déjà, en moyenne, deux enfants. Illustration des constatations d'Arsène Dumont

Ce type de carrière ne pourra pas être repéré avec les sources que j'ai utilisées pour l'étude de la mobilité professionnelle et sociale, à savoir les listes électorales. Même dans le cas d'une naturalisation - c'est le cas du commerçant de la Guillotière 264  - ce type d'itinéraire ne pourrait pas être repéré. Il aurait fallu que l'individu en question ait pu s'inscrire sur les listes électorales dès 1921, date à laquelle le nombre des naturalisations était très faible 265 , pour qu'il ait des chances de figurer dans l'échantillon de départ de l'enquête.

Notes
263.

Pour des raisons évidentes, je n'inclus pas les résultats de 1931.

264.

Elle a eu lieu en 1936

265.

En 1926, selon G. Mauco, op.cit. p. 564 et sq, il y avait en France 322590 espagnols et seuls 13157 avaient été naturalisés. Sur les naturalisations voir Bonnet Jean‑Charles, Naturalisations et révisions des naturalisations de 1927 à 1944 : l'exemple du Rhône, Mouvement Social, n° 98, janvier-mars 1977, p. 43-75