Il est délicat d'indiquer un taux de rotation par immeuble. D'une part, en toute logique, seuls les ménages dont les chefs ont le même âge pourraient être comparés, ce qui réduirait souvent à l'unité des effectifs déjà faibles, d'autre part, surtout à la fin de la période étudiée, la falsification des listes nominatives complique singulièrement toute approche strictement chiffrée qui se fonderait sur ces seules sources. Je ne me hasarderai donc pas à donner des taux précis mais me contenterai de comparaisons fondées sur l'observation des graphiques de stabilité de chaque immeuble étudié.
La stabilité des ménages de l'immeuble situé 7 rue du Bœuf, surtout si on la compare à celle de l'immeuble de la rue des Docks à Vaise, ou à celle de la rue Saint-Jérôme à la Guillotière, est assez faible. En revanche elle est plus accentuée que celle de l'immeuble du 62 rue de la Part-Dieu où habita Georges Navel 266 .
Entre 1901 et 1906, par exemple, années pour lesquelles aucune falsification volontaire n'a été repérée, le renouvellement des ménages est total dans l'immeuble du 7 rue du Bœuf. En revanche entre 1906 et 1911, une assez forte stabilité est constatée mais cette tendance n'est absolument pas confirmée pendant la période de l'entre-deux-guerres. Non seulement le Vieux Lyon s'est dépeuplé mais encore le renouvellement de la population a été important. Demeure une question que les listes nominatives ne permettent pas de trancher : à quelle échelle ce renouvellement des habitants s'est-il effectué ? Les habitants mobiles ont-ils changé d'immeuble sans changer de quartier ou ont-ils changé et d'immeuble et de quartier ?
Deux cycles familiaux soulignent les caractéristiques de la population la plus stable de l'immeuble, ceux de Louis Girodet et de Jules Botton.
Louis Girodet est né en 1867 à Chalon sur Saône. Il s'installe dans l'immeuble entre 1901 et 1906, juste après le départ du marchand de meubles qui occupait la boutique du rez-de-chaussée. Il ouvre alors un salon de coiffure, sans doute dans les locaux laissés vacants par le marchand de meubles. Il habite l'immeuble jusqu'à la seconde guerre mondiale 267 .Sa femme est originaire de Saint-Georges de Reneins (Rhône) et il est le père de deux garçons nés à Lyon. Je le crois assez représentatif des coiffeurs. A la différence d'autres commerçants, il n'est pas né dans une toute petite commune rurale mais dans une ville. Son salon sert sans doute de rendez-vous à ses pays, nombreux sur la rive droite de la Saône. Cette sociabilité des salons de coiffure, organisée autour d'originaires m'a été expliquée par un coiffeur né à Annonay 268 . Il était membre de l'association des originaires du canton d'Annonay et son salon était surtout un salon … de lecture : on y trouvait la presse d'Annonay ! La stabilité des petits commerçants conforte la sociabilité des quartiers.
Le passage de Jules Botton dans l'immeuble est plus bref que celui du coiffeur. Né en 1867 à Courzieu, petite bourgade du canton de Vaugneray, dans les monts du Lyonnais, il est en 1906 recensé comme garçon de peine d'une maison de soieries, la maison Biétrix. Sa femme est originaire de Tassin, aux portes de Lyon, et c'est là que sont nés trois de ses enfants. En 1911, il est manœuvre et le ménage compte deux filles de plus. L'une est née en 1906, après le recensement, l'autre en 1909. Après la guerre, seuls trois enfants vivent encore avec leurs parents. Le père, âgé de 56 ans, est maintenant recensé comme employé. Et c'est toujours comme employé qu'il est recensé en 1926. Nuance d'appellation ou mobilité professionnelle effective ? A l'occasion des falsifications de 1931, je perds la trace de ce ménage.
Il faut maintenant quitter les rues étroites du Vieux-Lyon, traverser la presqu'île et observer les nouveaux espaces conquis, non sans peine, sur les lônes du Rhône.
Voir infra. p. 158 et sq.
Il est recensé en 1926 et 1936 mais pas en 1931.
Voir Jean‑Luc Pinol, Espace social … p. 119