c. Les familles et l'évolution de la population active

Le croquis de cinq familles stables retrace les cycles démographiques qui se soldent par une diminution de la population de l'immeuble provoquée par le départ des enfants et donc par une simplification de la composition des ménages. Le seul ménage qui conserve une structure complexe est celui d'une famille espagnole arrivée dans l'immeuble en 1921. Le père est né à Liria 292 et son épouse à Afavrasie (?), leur premier enfant est né à Sète, dans l'Hérault en 1919. En 1921, il est manœuvre aux Cables de Lyon, en 1926, il est toujours manœuvre mais dans une chocolaterie. En 1931, il est recensé comme droguiste et sa femme est recensée comme employée. En 1936, on ne retrouve que son épouse, sans doute veuve.

Croquis n° 19
Croquis n° 19

Cette famille espagnole stable illustre bien le fonctionnement des migrations par filière. Les trois cousins recensés en 1921, sans doute deux frères et leur jeune sœur de 18 ans, sont nés à Petrel, une bourgade voisine d'Alicante et sont certainement des nouveaux venus : seul l'aîné, âgé de 31 ans, a un emploi. Il est potier. Au recensement suivant, c'est le jeune frère du chef de ménage qui est recensé à Lyon. Il travaille comme manœuvre dans la même chocolaterie que son frère. En 1931 et 1936, il est camionneur chez Terramorsi, une entreprise de distillerie dont les entrepôts ne sont pas très loin de la rue Saint-Jérôme.

A la différence des manœuvres espagnols de la rue Tavernier, qui vivent entre immigrés et dont la mobilité est forte, ce ménage de manœuvre espagnol est très stable. De plus, il est le seul ménage immigré dans un environnement français. Dans ces deux cas, le même modèle, la migration par filière, n'entraîne pas des attitudes et des comportements identiques

Un autre exemple de relations d'originaires est fourni par deux familles de l'Ardèche. En 1921, Eugène Planchou, né à Jaujac en 1885, s'installe avec sa famille. Il habite toujours l'immeuble en 1936. Il est ajusteur PLM. Cinq ans plus tard, Louis Vendroux s'installe dans l'immeuble avec sa famille. Il y est toujours en 1936. Il est employé PLM. Sa femme est originaire de Jaujac où elle est née en 1897. Quand on connaît le rôle des associations ardéchoises à Lyon, il est évident que ces deux installations renvoient aux filières migratoires et aux réseaux d'entraide, formelle ou informelle 293 .

Le ménage Galland est recensé pour la première fois en 1911. Jacques Galland est né en en 1878 à Crozet dans la Loire. Mécanicien PLM, il a épousé une jeune Marseillaise, née en 1886. En 1903, ils ont un fils qui vient au monde à Lyon. Le père reste mécanicien PLM toute sa vie. En 1931, il est recensé comme retraité PLM 294 . Sa femme semble n'avoir jamais travaillé. Son fils après avoir été apprenti ébéniste est électricien, profession alors en pleine expansion 295 . Le ménage Arnaud est originaire de la Dombes. Leur fille est née à Lyon en 1900. Charles et Marcelle sont jeunes : lui a 19 ans et elle 17. Au lendemain de la guerre, Charles est journalier et son épouse employée. En 1926, aucune indication n'est donnée. En 1931 et 1936, le chef de ménage est employé ainsi que sa femme. Cette dernière a le même employeur en 1921, 1931 et 1936.

Cet immeuble illustre bien le caractère populaire de la Guillotière et il offre un contraste singulier avec l'immeuble de Navel. Dans un cas, au 62 rue de la Part-Dieu, l'instabilité est totale, souvent liée à la présence d'ouvriers du bâtiment, fraîchement arrivés de leur Limousin natal. Le mode de vie dans le garni n'est pas sans rappeler la situation décrite par Martin Nadaud, archétype, au moins dans la première partie de sa vie, de ces migrants. Rue Saint-Jérôme, au contraire, la stabilité atteint son point culminant. Elle est liée vraisemblablement aux conséquences du moratoire des loyers d'août 1914 mais aussi au fait que, dans cet immeuble, les chefs de ménage sont le plus souvent des ouvriers employés dans de grandes entreprises quasi-publiques comme le PLM.

Notes
292.

Liria est une commune de quelques 10000 habitants, à 26 km de Valence

293.

Voir Jean-Luc Pinol, op. cit. p. 119-120

294.

En 1936, aucune précision professionnelle n'est donnée.

295.

Voir le chapitre5 sur les appellations professionnelles..