c. La reprise de l'urbanisation

L'urbanisation reprend dès les dernières années de la Restauration. En 1824, le maire de la Guillotière dont dépendent les Brotteaux, présente un plan d'alignement qui est à l'origine des avenues de Saxe et de Noailles (avenue Foch actuelle). La même année est mis en chantier un nouveau pont à péage, le pont Charles X. Il est achevé en 1828. Entre ce pont, aujourd'hui pont Lafayette, et le pont Morand, se bâtissent, sur les quais du Rhône de beaux immeubles où s'installent dès la Monarchie de Juillet des familles de négociants.

En 1830, la Guillotière et les Brotteaux ne comptent encore que 20000 habitants et le poids démographique de la rive gauche est essentiellement concentré à la Guillotière mais la conquête des Brotteaux est maintenant bien amorcée. Elle va se faire dans le cadre d'un nouveau carcan, imposé par des impératifs politiques, les fortifications 306 . Dès les premiers mois de la Monarchie de Juillet, le gouvernement décide d'édifier une ligne de forts et d'ouvrages militaires susceptibles de faire de Lyon une place forte mais aussi de mettre un terme aux menées subversives des "barbares", pour reprendre la formule célèbre de Saint-Marc Girardin au lendemain de l'insurrection des canuts. Cette ligne de défense d'orientation Nord-Sud puis Est-Ouest constitue une barrière de croissance de la rive gauche. Cette ligne de forts empêche toute expansion vers l'Est de l'urbanisation. De nombreuses rues viennent buter sur cette muraille. Dans le même temps, à l'Ouest des fortifications, 22 hectares, cédés par les Hospices civils de Lyon, sont utilisés pour la construction de la caserne de la Part-Dieu 307 . Achevée sous le Second Empire, elle ne sera détruite que dans les années 1970. Les fortifications, elles, ne disparaîtront que sous la Troisième République marquant jusque là une véritable césure dans le tissu urbain. Cette barrière de croissance est même double puisque "l'une [est] physique avec les forts, le fossé qui les relie et le boulevard d'enceinte, l'autre administrative avec les zones de non-aedificandi et les servitudes 308 ". Cette barrière, qui sert aussi de limite à la perception de l'octroi, ne sera jamais totalement supprimée car une fois l'emprise militaire effacée, l'emprise ferroviaire demeurera et aura le même rôle. Cette barrière est essentielle pour la première moitié du XXe siècle et les implications sociales en sont très nettes.

Le Second Empire est une période de "régénération" de la ville 309 . Pour les Brotteaux, elle se traduit essentiellement par le contrôle des crues du Rhône avec l'endiguement du fleuve qui suit les inondations de 1856 et par la création du Parc de la Tête d'Or. Le préfet maire Vaïsse, décidé à "donner la campagne à ceux qui n'en ont pas" accepte les propositions de deux paysagistes suisses, D. et E. Bulher, qui bâtissent à l'emplacement de la ferme de la Tête d'Or, un parc de 111 hectares 310 . "Jardin poétique" enserrant un lac créé à partir d'un bras du Rhône, ce parc sera pour Lyon, l'équivalent du bois de Boulogne à Paris. Le déclassement des fortifications permettra de donner naissance à un petit Neuilly, en bordure "des prairies et groupe d'arbres ménageant les plus jolis points de vue des environs". Enfin le Second Empire voit l'édification de la première gare des Brotteaux mais le quartier de la gare (la place Jules Ferry actuelle) ne sera véritablement transformé que lors de la construction de la seconde gare des Brotteaux en 1904-1908.

En 1874 une seconde ligne de défense est constituée par les forts érigés dans la plaine du bas-Dauphiné. Les forts de Meyzieu, Bron, Corbas, Feyzin doublent la première ligne de fortifications érigée sous la monarchie de Juillet. Cette dernière, devenue d'une utilité toute relative, est déclassée à partir de 1884. La suppression de ces ouvrages militaires (redoute du Haut-Rhône, forts de la Tête d'Or, des Charpennes, de la Part-Dieu, redoute des Hirondelles, fort du Colombier) laisse le champ libre à diverses opérations d'urbanisme. Des rues et des places sont rectifiées ou tracées, de nouveaux espaces sont lotis, des équipements collectifs édifiés : boulevard du Nord, boulevard Anatole France, Lycée du Parc, Manufacture des Tabacs, place Jean Macé …

L'ensemble de ces opérations provoque un enchérissement continu du prix du terrain car les Brotteaux offrent de plus en plus d'attrait. Le tableau suivant souligne l'impact de ces diverses opérations qui ont provoqué, depuis les premières opérations de Morand jusqu'à la première guerre mondiale, une croissance exponentielle des prix à l'hectare.

Evolution du prix de l'hectare de terrain aux Brotteaux
1773 600 F
1840 13700 F
1880 307500 F
1910 550000 F

Désormais, les Hospices civils de Lyon, acceptent de vendre leurs terrains, autorisant ainsi la construction d'immeubles cossus. Ils vont cependant imposer aux nouveaux propriétaires quelques règles, la plus importante étant l'obligation de la préservation d'une cour centrale, au centre de chaque masse. Une brochure publiée par les Hospices en 1938 en dégage les principales caractéristiques et envisage l'évolution ultérieure : "Actuellement, on peut dire que les terrains des Brotteaux arrivent juste au second stade de leur évolution. Les uns, cependant sont déjà recouverts de très beaux immeubles, ils paraissent avoir atteint une destination définitive, mais ils sont les moins nombreux. Par contre, les autres ont été recouverts de constructions plus modestes au début de la transformation des terrains de culture en terrains de ville, et ces constructions, devenues vétustes, qui ne répondent plus à l'emplacement, céderont la place à des immeubles plus importants. 312 "

Notes
306.

Dambrin, Zol, Reynaud, Transformation d'un milieu urbain, les Brotteaux,. p. 75

307.

Au sens strict, cette caserne, située dans le 3ème arrondissement ne fait pas partie intégrante des Brotteaux souvent compris comme la zone correspondant au 6ème arrondissement.

308.

Dambrin, Zol, Reynaud, Transformation d'un milieu urbain, les Brotteaux, p. 94

309.

Voir Bruston André, "La "régénération" de Lyon, 1853-1865, l'intervention de l'Etat et le manifeste urbain de la bourgeoisie", Espaces et Sociétés, avril 1975, n°15, p.81-103

310.

Bertin Dominique et Clémençon Anne-Sophie, Lyon-guide. p. 163-167.

311.

Dambrin, Zol, Reynaud, Transformation d'un milieu urbain, les Brotteaux,. p. 134

312.

Hospices civils de Lyon, Historique du domaine situé sur les territoires des villes de Lyon et de Villeurbanne, 1938, 32 p. La citation se trouve p. 29.