h. Liens matrimoniaux

En 1926, la famille Aynard commence à enregistrer le départ des enfants. La fille aînée, Nicole, n'est plus recensée mais surtout, la seconde, Florence est mariée. Elle habite le même hôtel que ses parents. Son époux est Georges Villiers, le futur fondateur du Centre National du Patronat Français, à la Libération 333 . Avant la guerre et dans les années vingt, la famille de Georges Villiers résidait dans un immeuble cossu de Vaise, quai Pierre Scize 334 . Son père et son oncle Prosper de Lachomette vivaient ainsi à proximité de l'usine à gaz qu'ils dirigaient 335 . L'oncle et le père de Georges Villiers, industriels dont la fortune et l'autorité reposaient en grande partie sur leur savoir technique - ils sont ingénieurs - étaient membres du Cercle du Commerce.

L'immeuble où est né Georges Villiers, A Vaise
L'immeuble où est né Georges Villiers, A Vaise

Georges Villiers est un héritier et la stratégie familiale en terme de choix de carrière entre l'aîné, Gabriel, et le cadet, Georges, est bien expliquée par le futur patron des patrons. "Mon frère Gabriel, de deux ans mon aîné, s'était engagé en 1916 alors que, du fait de mon âge, je pouvais continuer mes études de préparation aux grandes écoles. Il se trouvait, à la même époque, sous-lieutenant de réserve et diplômé de l'Ecole Centrale de Lyon et de l'Ecole Supérieure d'Electricité de Paris, écoles où il venait de terminer ses études. Nous étions donc placés en même temps devant le choix d'une carrière. Mon père et ses deux beaux-frères de Lachomette, gérants de la Compagnie du Bourbonnais - affaire familiale propriétaire d'une vingtaine d'usines à gaz et électriques en France et en Algérie- s'étaient mis d'accord pour que chacun laisse sa place à l'un de ses descendants.

Il était normal que mon frère, mon aîné et ayant souffert dans ses études, entrât dans l'affaire familiale. Nous en sommes ainsi convenus.

Pour ma part, je suis entré comme ingénieur d'études dans la Société de Constructions métalliques " Derobert et Cie". M. Derobert n'avait pas une bonne santé et en 1926 ( au moment de la crise grave subie par l'économie française), s'inquiétant du sort de son entreprise qu'il ne pouvait suivre que de loin, il m'a proposé de prendre sa suite en lui rachetant ses actions. D'accord sur le principe mais pour éviter toute discussion sur la valeur des titres, j'ai préféré liquider la société et en créer une nouvelle dénommée "Constructions Métalliques et Entreprises". Mon oncle Prosper de Lachomette a bien voulu accepter d'en être le premier président, moi-même assumant la fonction d'administrateur délégué 336 ."

Lorsqu'il est recensé en 1926, 29 boulevard des Belges, Georges Villiers est inscrit comme chef de service et son employeur est Derobert. Cette indication, parfaitement exacte, est immédiatement suivie de la description d'un ménage fictif de cinq personnes ! Le ménage de Georges Villiers est recensé à la même adresse jusqu'en 1936.

En 1931, la famille de Francisque Aynard s'est encore réduite alors que celle de Georges Villiers, maintenant recensé comme ingénieur, compte déjà trois enfants. Les trois fils Aynard sont toujours présents ainsi que la plus jeune des filles. Les trois fils sont recensés comme employés de banque alors que dix ans plus tôt, les deux aînés étaient banquiers. En 1936, seul le fils aîné et la dernière des filles de Francisque Aynard vivent avec leurs parents. La famille occupe alors deux femmes de chambres et une cuisinière. L'évolution du nombre des domestiques entre 1906 et 1936 est assez complexe. Il y a une tendance à la diminution mais elle est modérée. De plus, il est possible que la famille ait recours pour le jardinage, par exemple, à des domestiques qui n'habitent pas l'hôtel.

Le ménage de Georges Villiers s'est modifié. Le ménage compte un enfant de plus et surtout le chef de ménage, maintenant administrateur de société, est recensé comme veuf. Ses Témoignages nous donnent une explication. A l'occasion des mouvements sociaux du Front Populaire, le patronat lyonnais se réorganisa et Georges Villiers devint le président de l'association des patrons de la métallurgie lyonnaise. Evoquant cette nouvelle responsabilité, il écrit "Si j'ai accepté cette responsabilité c'est en partie parce que frappé un an auparavant par un deuil cruel, j'avais senti la nécessité de me plonger dans l'action pour retrouver mon équilibre." et il ajoute en note "Au mois d'août 1935, au cours d'une ascension dans le Massif du Mont-Blanc, pendant le retour, alors que, d'accord avec notre guide, nous venions de nous désencorder, ma femme, glissant sur une plaque de glace, a fait une chute mortelle. Ce fut pour moi un terrible choc, car notre ménage était particulièrement uni 337 ."

Notes
333.

Il se trouve que Georges Villiers fait partie de la seconde cohorte de lyonnais dont j'ai reconstitué la carrière, le hasard fait parfois bien les choses …

Il s'agit effectivement du hasard car en 1921, date à laquelle j'ai choisi un électeur sur cinq né en 1899 ou 1900, Georges Villiers est inscrit sous le nom de René. Ce n'est qu'ensuite que les listes portent René Georges puis Georges.

334.

Voir la photo de cet immeuble page suivante.

335.

Il est à noter qu'à la veille ou au lendemain de la première guerre mondiale, quelques patrons habitent encore Vaise, le plus souvent sur les quais, telle la famille de Georges Villiers ou une partie de la famille Gillet. On les retrouve le plus souvent aux Brotteaux dans les années 1930.

Au XIXe siècle, il est fréquent que l'industriel habite à proximité immédiate de son usine. Au long du siècle, le processus de séparation usine/résidence de l'industriel se développe. Les années 1930 marquent l'aboutissement de ce processus. Il faut cependant noter qu'en 1901, le père d'Auguste et de Louis Lumière fait construire à côté de son usine son "château" de Montplaisir.

Dans d'autres villes françaises, à Lille par exemple, la création de boulevards et de parcs dans l'ouest de la ville, semble avoir amorcé le processus plus tôt qu'à Lyon. Dès les années 1840, les Scrive quittent leurs demeures de Marquette pour s'installer dans les nouveaux quartiers. voir Smith Bonnie G., Ladies of the Leisure class, the Bourgeoises of Northern France in the Nineteenth Century, p. 31-32.

336.

Georges Villiers, Témoignages, Paris, Editions France-Empire, 1978, p. 12

337.

Georges Villiers, Témoignages, p. 14. Par delà le drame personnel, notons la pratique de l'alpinisme. Il y a d'ailleurs dans les années vingt, à Lyon comme ailleurs, une interconnection assez forte entre les membres de l'Automobile Club, du Club Alpin et du Tennis Club. Ces liens peuvent recouvrir la sphère des loisirs mais aussi des activités plus sociales, voire politiques. Le Club Alpin a souvent été dans les années vingt, et l'exemple semble venir de Genève, un des lieux informels de l'organisation de la défense sociale face à l'agitation ouvrière consécutive à la première guerre mondiale. Voir Maurice Moissonnier et André Boulmier, La bourgeoisie lyonnaise aux origines de l'Union Civique de 1920, Cahiers d'histoire de l'Institut de recherches marxistes, n° 1, 1981, p. 106-136. Pour ce qui concerne Genève voir Willeumier M. et autres, La grève générale de 1918 en Suisse, Grounauer, Genève, 1977. C'est le Club Alpin qui a pris, en novembre 1918, l'initiative de la réunion qui est à l'origine de l'Union civique genevoise (cité in Moissonnier, art. cit. p. 122)