5 Les quartiers neufs de la rive gauche 

Ces espaces sont les plus récemment urbanisés. Ils sont situés à l'est ou au sud de la voie ferrée Lyon-Genève qui suit le tracé des anciennes fortifications. Les visitant en 1896, Ardouin-Dumazet, en donne une description assez peu flatteuse. Evoquant cette masse confuse de quartiers nés spontanément qu'il oppose à la "ville américaine", comprenez les Brotteaux, qui s'est développée à l'ouest de la voie ferrée, il évoque "cet océan de cailloux ", où se sont installées quelques "campagnes 343 ". Et de continuer : "O cette campagne ! Bouts de jardinets remplis de cailloux enrobés dans une terre rougeâtre, enclos de murs en pisé gris, avec, au milieu, une tonnelle de treillage, contre laquelle grimpaient sans entrain, les haricots rouges et les capucines! … Lorsqu'on passait par là, juché sur les diligences de Crémieux ou de Grenoble, les réminiscences de lectures sur l'Afrique affluaient à l'esprit ; on se croyait en plein Sahara, dans ces plaines mornes, que le cri des grillons et le vol lourd des sauterelles, aux ailes bleues ou rouges, ne pouvaient suffire à animer. Le paysage n'a guère changé, m'a-il paru, quand, à trente ans de distance, j'ai voulu parcourir de nouveau cette Arabie Pétrée des étés lyonnais, ces steppes glacées des hivers… 344 ". Au-delà de ces images d'un exotisme exagéré, se lit la réalité de la naissance d'une banlieue.

A vrai dire, le territoire qui s'étend de Gerland au sud à Villeurbanne au nord, en passant par Montchat et les Maisons Neuves est assez diversifié. On peut y distinguer différents types de paysages de banlieue, depuis les lotissements planifiés et encouragés par des grands propriétaires fonciers du XIXe siècle dont le Montchat de Richard-Vitton est un exemple caractéristique, jusqu'aux bourgs digités édifiés le long des voies de communication tel Montplaisir, en passant par l'agglomération désordonnée de maisons ouvrières autour de grandes usines. Il est cependant possible de discerner un certain nombre de points communs.

Cette zone a un réseau viaire encore inachevé et les conditions d'hygiène y sont souvent des plus précaires, ce d'autant plus qu'en dépit de la construction de la digue du Grand Camp en 1857, les inondations ne sont pas rares. Certains quartiers, comme le quartier Saint-Jean, à Villeurbanne, sont d'ailleurs construits de l'autre côté de la digue ! Jusqu'à la seconde guerre mondiale, les espaces agricoles se mêlent aux usines et à l'habitat tant dans l'ouest villeurbannais que dans la zone qui s'étend entre le sud de la Guillotière et Vénissieux 345 . D'autre part, même à la fin de la période étudiée, l'habitat est essentiellement constitué par des maisons basses, souvent construites en pisé. Cette faible hauteur des maisons est d'ailleurs caractéristique des zones situées à l'est de la voie ferrée. Le commissariat général du plan 346 , a cartographié les immeubles de plus de quatre étages aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Cette enquête souligne que Lyon est l'une des villes les plus "hautes" de France. Sur la rive gauche du Rhône, dans les quartiers situés à l'ouest de la voie ferrée, plus de 25%, et souvent plus de 50% des immeubles ont plus de quatre étages mais dans ceux situés à l'est et au sud, moins 25 % et souvent moins de 12,5% des immeubles ont plus de quatre étages 347 . Même si les Gratte-ciels de Villeurbanne et le quartier des Etats Unis, les deux principales opérations d'urbanisme de l'entre-deux-guerres sont des immeubles de plus de quatre étages, ils demeurent l'exception qui confirme la règle. En fait seule la zone ancienne du bourg de Villeurbanne et Gerland dépassent le seuil de 12,5 %.

La dernière caractéristique de cette zone est sa relative homogénéité sociale. S'il s'agissait d'étudier la formation de la banlieue, il serait possible de distinguer différents types de quartiers, fondés sur les secteurs d'emplois et la variété des traditions ouvrières, mais à l'échelle retenue, l'opposition entre ces quartiers neufs et les zones urbanisées antérieurement, l'homogénéité l'emporte sur les nuances de détail 348 . Zone de forte surreprésentation des ouvriers et des manœuvres, elle s'oppose à la ville plus ancienne par son tissu urbain.

Notes
343.

C'est à dire des maisons de campagne.

344.

Ardouin-Dumazet, Voyage en France, 7e série, La région lyonnaise, Paris, Berger-Levrault, 1896, p. 96-97.

345.

Le caractère agricole de maintes parcelles est attestée par la couverture aérienne, réalisée en août 1934 par le service photographique de l'armée. Ce document est conservé aux archives municipales de Lyon. Il existe une collection de photos et un montage figurant une vue aérienne au 1/10000. AML 2PH7.

346.

Commissariat général du Plan, Etude sur le programme de modernisation, Lyon, Le logement, volume 1. La carte utilisée se trouve entre les pages 19 et 20. Voir annexe n° 23.

347.

J'utilise cette enquête de 1954, un peu tardive, car c'est, à ma connaissance, la seule du genre. De plus, les transformations urbaines importantes qui caractérisent la seconde moitié du XXe siècle n'ont pas encore commencé et l'on peut considérer que la situation de 1954 est peu différente de celle des années 1930.

348.

J'aurais aimé pouvoir distinguer des quartiers tel celui de Montchat, mais vu la taille des échantillons, les résultats auraient été trop aléatoires. Cf. infra la discussion sur la construction du code spatial, troisème partie, chapitre 4.