Les grands cercles sont au nombre de quatre avant la première guerre mondiale, le cercle du Commerce, le Jockey-club, le cercle de Lyon et le cercle du Divan. Après la guerre, le cercle du Commerce existe toujours mais les trois autres ont fusionné pour constituer le cercle de l'Union 365 .
Le plus ancien renseignement trouvé sur le cercle du Commerce concerne… sa dissolution. Elle date de 1817. Le cercle se reconstitue dès 1818. Installé initialement dans la rue Puits-Gaillot, il occupe, à partir de 1861, l'hôtel du Parc, construit en 1778 par Toussaint Loyer et Bal de Verrière. Cet immeuble, propriété des Hospices civils de Lyon, se trouve rue d'Algérie. Enfin, après le krach de l'Union Générale, en 1882, le cercle s'installe dans les locaux de l'ancienne banque, qu'il occupe encore aujourd'hui, 16 rue de la République, à la limite du premier et du deuxième arrondissement 366 . Les adresses successives du cercle sont assez révélatrices. La rue du Puits-Gaillot et la rue d'Algérie débouchent toutes deux sur la place des Terreaux, où fut dressée la guillotine après la reconquête de Lyon par les troupes de la Convention. Pour une partie de la bourgeoisie, dont des membres sont morts, victimes de la Terreur, la place des Terreaux serait un lieu impensable. Un cercle, avec ses salons, ses salles de billard, ses bibliothèques y serait inconcevable. Qu'il n'en aille pas de même pour les fondateurs du cercle du Commerce, qu'aucun interdit spatial ne pèse sur leur sociabilité, peut laisser entrevoir leur orientation. La dissolution du cercle au temps de la Terreur Blanche pourrait bien confirmer cette hypothèse.
Le Jockey-Club s'est constitué en 1839 et il s'est réorganisé sur de nouvelles bases en 1865. Il semble avoir toujours eu son siège dans le second arrondissement, 19 rue de Lyon, devenue en 1878, ainsi que la rue Impériale, rue de la République. Ses origines sont identiques à celles du Jockey-Club parisien 367 . Il allie snobisme anglophile et passion des courses de chevaux, le riding comme l'on disait… là le gentleman pouvait être fashionable et le clubman se doubler d'un sportsman… Le succès du Jockey à Paris s'explique par la rareté des cercles vraiment fermés, des clubs mondains "à l'anglaise". L'influence anglaise n'est pas inexistante à Lyon 368 . Ce sont deux anglais, H.P. Sturgess et M. Chandler, sans doute des industriels, qui sont les deux premiers dirigeants, en 1864, du Cricket-Club de Lyon, l'ancêtre du Tennis Club de Lyon. Les terrains situés au Grand Camp, en bordure du Rhône, servaient d'ailleurs aussi bien aux courses de chevaux qu'au Cricket. Une famille de soyeux, les Tresca, influents dans le milieu des courses hippiques, a joué un rôle important lors de la transformation des activités du Cricket-Club en Tennis Club 369 .
Le cercle du Divan 370 , autorisé par le ministre de l'Intérieur le 8 mai 1843, d'abord situé 64 rue de Lyon, s'installe place Bellecour entre 1875 et 1879 371 . La localisation à proximité de Bellecour - place que certains de ses membres, bien après le changement d'appellation, en 1871, nomment toujours place Louis le Grand - n'est pas sans signification 372 . Dès sa première installation, mais surtout avec la seconde, au débouché de la rue Boissac sur la place Bellecour, le cercle s'adosse au quartier d'Ainay, asile de l'aristocratie lyonnaise.
Les trois cercles précédents sont régulièrement indiqués dans les différents annuaires de la ville, de même, les annuaires du Tout-Lyon précisent qui, parmi la bonne société lyonnaise en fait partie. Il en va tout autrement pour le cercle de Lyon. Bien qu'il ait été autorisé dès le 18 avril 1872 373 , l'annuaire administratif de 1875 n'en dit mot. De plus, bien que son adresse et les noms des membres de son bureau figurent dans les Annuaires du Tout-Lyon, rien ne permet de repérer ses membres 374 . Domine l'impression d'un cercle qui, à la différence des autres grands cercles, se veut un cercle discret sinon secret. Dès l'origine, le cercle de Lyon est installé 27 place Bellecour, dans le même immeuble que le cercle du Divan, à proximité immédiate du quartier d'Ainay.
En raison même de sa discrétion, les informations sur ce cercle sont limitées. Un annuaire du cercle de Lyon, daté de 1894, existe aux archives municipales de Lyon. A cette date, le cercle compte 119 membres et 86 d'entre eux habitent entre la place Bellecour et la place Perrache (place Carnot actuelle). Nombreux sont ceux qui habitent autour de la cathédrale Saint-Jean. La lecture des adresses des membres du cercle de Lyon révèle leur concentration extrême mais aussi l'homologie de l'espace résidentiel des membres de ce cercle et de la géographie catholique de Lyon. Immeubles habités par les membres du cercle et établissements religieux sont étroitement enchevêtrés : leur espace est celui des établissements de Jésuites, de la Faculté catholique et de l'archevêché. Les noms des membres confirment cet engagement religieux. Le président du cercle est, en 1894, Lucien Brun. Cet avocat lyonnais, alors âgé de 72 ans, est le porte-parole d'un légitimisme de combat, attaché à la défense religieuse et à la restauration monarchique. A l'époque de l'Ordre moral, il a participé aux négociations entre les familles des deux prétendants au trône et il a animé, sa vie durant, l'Association des juriconsultes catholiques 375 . Plusieurs de ses fils, très actifs dans la mouvance conservatrice et monarchiste du catholicisme, sont membres du cercle de Lyon. La personnalité du vice-Président, Charles Jacquier, autre avocat fidèle du comte de Chambord, confirme s'il en était besoin l'orientation monarchiste et contre-révolutionnaire des membres de ce cercle. Parmi les hommes d'affaires qui en font partie se trouvent les Gindre et leur parent Cyrille Cottin, cet homme d'œuvre qui rappelle l'Oscar Thibault de Roger Martin du Gard 376 . Enfin, dans la liste des noms, on repère plusieurs anciens ou futurs préfets de la Congrégation des Messieurs de Lyon, organisation catholique secrète liée aux disciples de Saint-Ignace de Loyola 377 , lointaine héritière de la Congrégation qui avait fait la force des Ultras sous la Restauration, tel Charles Jacquier lui-même, ou René de Prandières, Alexandre Poidebard… L'hypothèse que je formulerai pour expliquer le goût du secret que développe, à l'évidence, ce cercle est la suivante : encadré, sinon contrôlé par la Congrégation dont la puissance découle de l'organisation secrète, le cercle pratique la discrétion afin d'assurer l'efficacité de son influence. Il est l'une des multiples facettes du réseau de la défense catholique dont la panoplie embrasse tous les types d'organisation : secrète avec la Congrégation, visible avec le Nouvelliste ou les écoles religieuses et discrète avec le cercle de Lyon.
Plusieurs grands cercles donc mais dont cette brève présentation suffit à mettre en relief les clivages. Clivages dont sont d'ailleurs conscients les contemporains et qu'illustre une revue satyrique, jouée dans les locaux du Cercle du Commerce, en 1907. Un des premiers tableaux de cette revue offre un panorama des grands cercles lyonnais
‘Les Cercles de LyonAprès ces couplets qui soulignent les différences avec le cercle du Divan, asile de la noblesse soupçonné de cléricalisme 379 , les tableaux suivants de la revue entendent démontrer que la réputation peu enviable du Commerce (Loyasse !) n'est que médisance…
Les archives départementales du Rhône ne possèdent pas une documentation très abondante sur les cercles. L'essentiel de l'information se trouve dans les dossiers 4M 499, 500, 637. Une partie des informations a été glanée dans les différents annuaires administratifs du XIXe siècle.
Le dossier 4M 499 contient un état daté du 9 octobre 1879 présentant la liste des cercles existant à Lyon. La liste ne contient que le nom et l'adresse du siège. A cette date 34 cercles sont recensés. Cinq ont été inscrits puis rayés avec la mention "n'existe plus". Les autorités semblent surtout attentives à la répression des jeux illicites. C'est ce qui provoque la fermeture le 4 mars 1874 d'un cercle de l'Union, sans rapport avec celui qui sera constitué après la première guerre mondiale. Ce cercle ne s'est pas limité aux jeux de commerce mais a laissé ses membres pratiquer des jeux de hasard, illicites.
Les statuts-modèles pour les Associations dites "Cercles", envoi du 13 décembre 1890 (ADR 4M 500) donnent la liste des jeux illicites : "le baccara, le lansquenet, le trente-un, le trente et quarante, les dés, le chemin de fer, le quinze, le vingt-un, le derby ou steeple-chase, le pharaon, le passe-dix, la roulette et jeux similaires."
Ces informations sont contenues dans une brochure du cercle déposée aux archives municipales de Lyon. Centenaire du Cercle du Commerce de Lyon, 1850-1950, Lyon, 1950, 32 p.
Le Jockey-Club s'est constitué à Paris en juin 1834. Voir baron de Tully, Annuaire des grands cercles, 1901, p. 65. Voir également Boulenger Jacques, Les dandys, Paris, 1932, 216 p. qui contient de bonnes pages sur les débuts du Jockey-Club, p. 162-172.
L'église anglicane de Lyon est bâtie à la fin du Second Empire. Voir Gilbert Gardes, Lyon, l'art, la ville, op. cit. tome 1, p. 157.
Centenaire du Tennis Club de Lyon,1864-1964, 40 p.Un document date cette création de 1899-1900. C'est celui qui est repris par Richard Holt, Sport and Society in Modern France, 1981, p. 178. En fait comme le montre la brochure précitée, il y a eu glissement du Cricket Club au Tennis Club.
C'est peut‑être le règlement du cercle du Commerce en 1853 qui fournit l'explication du terme divan. L'article 20 précise : "Par suite de l'ouverture d'un divan attenant au Cercle, mais désservis par une entrée spéciale, il est expressément interdit de fumer dans toutes les autres parties du Cercle ; il est en conséquence défendu d'entrer dans l'ancien vestibule avec un cigare ou une pipe allumée, et de l'y allumer en sortant". Par ailleurs le Littré donne parmi d'autres la définition suivante pour divan : "salon garni de coussins".
Voir Annuaire administratif de Lyon et du département du Rhône, 1875, p. 463 et ADR 4M 499, état du 9 octobre 1879.
Dans les annuaires du Tout-Lyon, des membres de la "société" utilisent assez systématiquement les anciennes appellations, certains disent encore habiter place Louis le Grand ou rue Saint-Joseph, devenue rue Auguste-Comte, bien après le changement d'appellation.
ADR 4M 500, liste des cercles existant à la date du 1er juin 1882. Cette liste indique la date des arrêtés d'autorisation.
Pour les autres membres des grands cercles, les initiales du cercle auquel ils appartiennent suivent leur nom.
Ponson Christian, Les catholiques lyonnais et la Chronique sociale, p. 26-27.
Pansu Henri, "L'analyse de la fortune et des livres de comptes d'un grand bourgeois lyonnais à la fin du XIXe siècle", Bulletin du Centre d'histoire économique et sociale de la région lyonnaise, n°3, 1973, p. 15-79. Cyrille Cottin est né en 1838. Il est mort en 1905 A sa mort, sa fortune dépasse les 4 millions de francs‑or (30009467 F pour le mobilier et 1368847 pour l'immobilier) art. cit. p. 26.
Cette année là, il y a eu 385019 successions en France, 49 étaient supérieures à 5 millions et 150 avaient un montant compris entre 2 et 5 millions de francs‑or. (Séailles J., La répartition des fortunes en France, Paris, Félix Alcan, 1910, p.45)
Le livre de Christian Ponson, Les catholiques lyonnais et la Chronique sociale, fournit une bonne présentation de cette Congrégation des Messieurs de Lyon, fondée au même moment que la Congrégation de la foi par les descendants de Bertier de Sauvigny. Christian Ponson donne une liste des préfets de la Congrégation p. 341.
Un nouveau membre ! revuette satyrique représentée au Cercle du Commerce le 2 mars 1907 avec le concours des artistes du théâtre des Célestins, 41 p. Loyasse est le nom du cimetière du 5e arrondissement.
Notons qu'il n'y a aucune allusion au cercle de Lyon.