La comparaison des adresses des membres du Jockey-Club et du cercle du Commerce dans le 6e arrondissement est plus délicate car les chiffres ne sont pas de même niveau. Les Brotteaux accueillent relativement moins de membres du cercle du Commerce que de membres du Jockey-club (36% contre 42%) mais, en chiffres absolus, les premiers sont néanmoins les plus nombreux (93 contre 43).
L'examen des cartes souligne la prééminence des quais ou des grandes avenues, débouchant sur la place Morand (aujourd'hui place Lyautey), centre du projet d'urbanisme de la fin du XVIIIe siècle. Cartographier à très grande échelle les résidences de la bourgeoisie lyonnaise met en évidence les localisation les plus prestigieuses du parcellaire : la prédilection pour les places, les quais mais aussi les angles de rue souligne le rôle de la lumière dans le choix d'une résidence. En 1906, les deux espaces du 6e arrondissement appelés à accueillir un grande partie de la bourgeoisie, le boulevard du Nord et le nouveau quartier de la gare ne sont encore que des potentialités. Cela est très visible sur les cartes.
Les membres du Jockey-Club habitent plus souvent dans des immeubles ou des hôtels mitoyens, voire communs que ceux du cercle du Commerce. Cette concentration n'a pas l'intensité de celle atteinte par le cercle du Divan dans le 2e arrondissement mais elle existe cependant. Les numéros impairs du boulevard du Nord, directement attenant au Parc de la Tête d'Or sont, en ce sens, exemplaires. Les deux membres du cercles du commerce qui y résident sont respectivement aux numéros 7 et 49 alors que les trois membres du Jockey-Club sont installés aux 27, 29 et 31.
La répartition des membres des cercles dans l'espace urbain confirme les grandes lignes de ce que nous savions sur l'implantation des élites mais elle met en lumière les clivages de leur espace résidentiel. En 1906, la "société de Bellecour" et celle des Brotteaux sont distinctes. Cette opposition a-t-elle des conséquences dans les relations entre familles ? L'appartenance à un cercle est-elle un élément important pour comprendre les réseaux des différentes élites ? Nous avons vu que nombreux sont les noms de familles communs au cercle du Divan et au cercle de Lyon. Mais en va-t-il de même entre tous les cercles ? Pour répondre à cette question, il faudrait faire une étude systématique des réceptions dont le Tout-Lyon fournit le compte-rendu. Je me suis contenté d'un coup de sonde. J'ai comparé deux de ces réceptions, l'une chez des membres du cercle du Commerce, l'autre dans un château appartenant à un membre du cercle du Divan. Voici le compte-rendu d'un mariage dans le Tout-Lyon :
‘"Mardi dernier, en l'église de l'Annonciation, au milieu d'une élégante et très brillante assistance, a été célébré le mariage religieux de Mlle Laure de Lachomette, fille de M. de Lachomette, ingénieur estimé de notre ville, avec M. Georges Mulsant, ingénieur des Arts et Manufactures, fils de M. Benoit Mulsant, Président du Conseil d'administration de la caisse d'Epargne, vice-président de la chambre de commerce de Villefranche sur Saône…Puis l'article décrit le lunch, les toilettes et surtout fournit le nom de quarante-sept participants au mariage. J'en ai retrouvé trente deux dans l'annuaire du Tout-Lyon. Les ingénieurs sont relativement nombreux et les intérêts du groupe de Lachomette et Villiers dans les compagnies de gaz et d'électricité 399 expliquent certainement la présence de l'un d'eux, directeur de la Compagnie du gaz de Villefranche, ville dont est originaire le marié. Sur ces trente deux individus identifiés dans l'annuaire du Tout-Lyon, douze sont enregistrés comme membres du cercle du Commerce, comme le père de la mariée. Un seul est membre du cercle du Divan. Voici, a contrario, un dîner de contrat dans le milieu du cercle du Divan :
‘Samedi dernier brillante réception au château de la Chassagne, à l'occasion du dîner de contrat de Mlle Bault de la Morinière avec le vicomte de Bellescize.Tout-Lyon, 26 novembre 1905.
Sur le groupe de Lachomette, voir Bonzon Alfred, avec la collaboration de J.-J. Girardet, Manuel des sociétés par actions de la Région Lyonnaise, Lyon, 1901, p. 555.
Tout-Lyon, 27 octobre 1907