1 Le surpeuplement

Les recensements de 1896 et de 1954 fournissent des indications sur la répartition des pièces par logement à Lyon 416 . Certes, il y a pièce et pièce et pour être longue la définition de la Statistique Générale de la France ne résout pas tous les problèmes. "Constitue une pièce et doit être compté comme telle tout compartiment d'une maison destiné à l'habitation, séparé des autres par des cloisons, allant jusqu'au plafond et assez grande pour contenir un lit d'adulte (comprendre la salle à manger, l'antichambre, la cuisine, les cabinets de toilettes assez grands pour contenir un lit, les chambres de domestiques, même séparée du logement, mais non les lieux d'aisance ; ne comprendre les boutiques, magasins, ateliers, écuries, etc., que lorsqu'une ou plusieurs personnes y passent habituellement la nuit" 417 . Aucune allusion n'est faite à la superficie des pièces ou au cubage d'air, notion si chère aux observateurs sociaux et aux hygiénistes du XIXe siècle 418 . La superficie des pièces, à en croire une enquête du B.I.T. de 1934, serait en moyenne de 12 m2 à Lyon mais seulement de 8 m2 à Paris. Selon cette enquête, les logements urbains français seraient légèrement moins spacieux que les logements anglais -à l'exception de Londres où la superficie moyenne est, selon la même enquête, de 10 m2- et nettement moins que les logements italiens où cette superficie varierait de 14 m2 à Gênes à 21 m2 à Milan 419 . Comment a évolué, en un demi-siècle, le nombre de pièces des logements lyonnais ?

Tableau n° 23 : Nombre de pièces par logements à Lyon, en 1896 et 1954
Logements 1896 1954 %1896 % 1954
1 pièce 42261 46028 30 28
2 pièces 30796 60414 22 36
3 pièces 27377 37317 19 22
4 pièces 20272 14226 14 9
5 pièces et + 20167 8919 14 5
Total 140873 166904    

Le nombre des logements lyonnais a assez peu progressé 420 et en raison du faible renouvellement du parc immobilier, certaines évolutions surprennent. Non pas celle des logements de une pièce - dont 19% sont en 1896 des logements en garnis, en hôtels ou en maisons meublées - mais plutôt celle des autres logements. La forte diminution des grands appartements est difficilement explicable. Est-elle réelle ou résulte-t-elle d'un changement dans la manière de comptabiliser les pièces ? Des alcôves ont-elles été comptées comme des pièces à part entière en 1896 ? Ou y-a-t-il eu un redécoupage de grands appartements en appartements plus modestes ? Il est impossible d'apporter des réponses fermes à ces questions. Force est de constater qu'à ce niveau d'analyse, vouloir aller plus loin serait s'exposer à des risques d'erreur importants.

On peut cependant constater que Lyon est, au moins à la fin de la période, une ville de petits logements comme le constate l'étude du Commissariat général du plan 421 . Ces petits logements ont la caractéristique d'être les plus densément peuplés. Même s'il ne faut pas prendre au pied de la lettre les résultats obtenus à partir des recensements douteux de 1911 et 1926, il semble que sur ce point les tableaux comparatifs de Claude Olchansky ne soient pas trop controuvés lorsqu'il compare la part des logements surpeuplés ou insuffisants dans les grandes villes françaises.

La statistique générale de la France considère qu'un logement suffisant est un logement qui comporte une pièce par personne. A partir de ce postulat, a été construite une échelle différenciant cinq catégories et les villes de France ont été classées en fonction de ces catégories. Ces critères sont simples mais assez imprécis comme le montre ce tableau.

  personne par pièce pièce par personne
surpeuplé plus de 2 moins de 0,5
insuffisant plus de 1 moins de 1
suffisant 1 1
large moins de 1 plus de 1
très large moins de 0,5 plus de 2

Voir Claude Olchanski, Le logement des travailleurs français, Paris L.G.D.J., 1946. L'auteur critique cette échelle p. 35 et sq.

Tableau n° 24 : Proportion de logements surpeuplés et insuffisants dans les grandes villes françaises
1911 % 1926 %
Saint-Etienne 70 Saint-Etienne 67
Le Havre 58 Lyon 56
Nantes 57 Le Havre 53
Lyon 56 Nantes 50
Lille 53 Marseille 45
Nancy 51 Paris 42
Reims 50 Lille 41
Marseille 49 Rouen 39
Toulon 46 Reims 39
Rouen 44 Nancy 39
Paris 43 Nice 39
Toulouse 43 Toulon 38
Nice 43 Clermond-Ferrand 38
Roubaix 30 Toulouse 38
Bordeaux 20 Strasbourg 36
    Bordeaux 33
    Roubaix 22

Les classements établis avant comme après le premier conflit mondial ne sont guère différents. Saint-Etienne, est par deux fois la ville la moins bien partagée : plus des deux tiers des logements y sont insuffisants ou surpeuplés. Lyon n'est pas loin derrière. Si l'on se fie aux chiffres, Lyon est même l'une des rares villes où les conditions de logement ne s'améliorent pas entre 1911 et 1926. Dans la cité rhodanienne, plus d'un logement sur deux est insuffisant ou surpeuplé et ce, tant en 1911 qu'en 1926. Il est certain que les falsifications des recensements ont faussé les chiffres mais au vu de ce double classement, Lyon est dans une position incontestablement défavorable si on la compare à Marseille, sa rivale, qui, elle aussi multiplie les faux habitants 423 , ou à Paris, Toulouse ou Bordeaux. Claude Olchanski souligne d'ailleurs que c'est à Lyon, Saint-Etienne et Le Havre que les difficultés de logement sont les plus aiguës.

Notes
416.

La commune de Villeurbanne n'est pas incluse dans cette comparaison.

417.

Cité in Claude Olchanski, Le logement des travailleurs français, Paris L.G.D.J., 1946, p. 35 36. Comment compter au vu d'une telle définition les alcôves, si nombreuses à Lyon ?. Sont-ce des pièces à part entière ? A suivre la définition, non. Mais comment les recenseurs ont-­ils appliqué ces règles ?

418.

Le type de ces maniaques du cubage d'air est incarné par le docteur Asclépias qui, armé de son décamètre mesurait le volume des logements du vieux Paris. Asclépias est le double romancé de son auteur Gallus. Voir, Gallus, La marmite libératrice, Paris, Balland France Adel, 1978, 248 p. et plus spécialement le savoureux chapitre sur les logements du vieux Paris.

419.

Revue Internationale du Travail, novembre 1936, p.735-752 , Les logements ouvriers dans différentes villes (un enquête sur la qualité, les loyers et conditions d'habitation des logements ouvriers). Voir aussi Robert Guye, "Nouvel essai de comparaison internationale des loyers", Revue Internationale du Travail, Novembre 1936, p. 609-635

420.

D'après les résultats du recensement de 1954, il y aurait à cette date près de 130000 logements construits avant 1915. Je n'ai pas utilisé les résultats de 1911 et de 1926 en raison des falsifications. Selon ces deux recensements, la part des logements de une pièce aurait chuté à 16 et 13% du parc immobilier, ce qui est assez peu cohérent avec l'évolution que que suggèrent les deux recensements fiables de 1896 et de 1954. Les recensements douteux sont utilisés par l'ouvrage de Claude Olchanski, Le logement des travailleurs français, Paris L.G.D.J., 1946. et pour certaines comparaisons de la Revue Internationale du Travail. Ces résultats doivent être pris avec prudence.

421.

Commissariat général du plan d'équipement et de productivité, Etude sur le programme de modernisation et d'équipement du groupement d'urbanisme de Lyon, Le logement, 1961, 2 volumes multigraphiés, 133 p. et 173 p. Ce point est développé p. 7

422.

Ce tableau est construit à partir des tableaux dressés par Claude Olchanski, Le logement des travailleurs français, p. 52 et p.63

423.

Sur Marseille, voir Marcel Roncayolo, Croissance et division sociale de l'espace urbain, essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Thèse de doctorat d'Etat, Paris 1, 1981, dactylographié, tome 1, p.137, 138 et 146. L'auteur estime que 20% des marseillais sont inventés de toute pièce. Les techniques de falsifications sont d'ailleurs assez comparables à celles utilisées à Lyon, mais les familles fictives sont un peu plus nombreuses. En 1936, la famille fictive type compte 5 personnes dans la cité rhodanienne mais 6 dans la cité Phocéenne.