5 Taille des logements et arrondissements

Les seuls résultats que j'ai pu retrouver ventilant la taille des logements par arrondissements sont ceux de 1954. Ils figurent dans l'étude du commissariat général du plan 435 .

Les seuls résultats disponibles ventilant la taille des logements par arrondissements sont ceux du recensement de 1954. Le tableau suivant présente la manière dont se répartissent les différents types de logements dans les arrondissements lyonnais et à Villeurbanne.

Tableau n° 27 : Types de logement et arrondissements
  1 pièce 2 pièces 3 pièces 4 pièces 5 pièces et plus
1 er arrondissement 27,86 36,86 23,85 7,76 3,67
2 eme arrondissement 26,32 31,62 23,31 9,85 8,91
3 eme arrondissement 30,29 36,57 21,09 7,10 4,95
4 eme arrondissement 22,95 36,41 26,20 10,40 4,04
5 eme arrondissement 25,12 36,15 24,34 9,02 5,37
6 eme arrondissement 28,88 35,55 20,06 8,48 7,02
7 eme arrondissement 27,49 38,36 21,59 8,67 3,89
Villeurbanne 25,83 41,52 20,66 8,45 3,54
Ensemble 27,32 36,97 22,11 8,51 5,08

Ce tableau permet de repérer les types de logements sous-représentés ou sur-représentés dans chaque arrondissement. Ainsi, les logements de une pièce sont surtout sur-représentés dans le troisième arrondissement alors que ceux de deux pièces sont sous-représentés dans le deuxième arrondissement. De même les logements de 4 pièces sont beaucoup plus nombreux que la moyenne dans le 4e arrondissement…. Pour mettre en évidence les logiques de la répartition de l'ensemble des logements, j'ai procédé à une analyse factorielle des correspondances du tableau initial en chiffres absolus 436 . Comme il s'agit d'un tableau assez simple, je présenterai les règles générales de lecture de ce type d'analyse que je vais utiliser fréquemment par la suite. Je pourrai ainsi souligner les avantages et les limites d'une technique qui pour n'être pas une panacée n'en demeure pas moins d'une grande utilité. Le graphique représente la répartition des types de logement, des arrondissements lyonnais et de Villeurbanne sur les deux premiers axes de l'analyse 437 .

Croquis n° 30 : Taille des logements et arrondissements
Croquis n° 30 : Taille des logements et arrondissements

Le premier axe oppose très nettement les appartements de 5 pièces et plus à ceux de 2 pièces. Il hiérarchise les appartements en fonction de leur nombre de pièces mais les logements de une seule pièce ne sont guère pris en compte par ce premier axe. Au contraire, ils sont déterminants sur le second de même que les appartements de 3 et 4 pièces. Sur ce second axe, au contraire, les appartements de 5 pièces ou plus et de 2 pièces n'interviennent pas, car le premier axe a rendu complètement compte de leur inscription dans l'espace urbain. On saisit là l'une des règles principales de lecture des analyses factorielles : chaque axe doit être lu indépendamment de l'autre et il faut se défaire des habitudes de lecture acquises sur les graphiques cartésiens.

Revenons un peu en arrière. Sur l'axe 1, les logements de 2 et 5 pièces sont déterminants mais nous savons que leur poids dans l'ensemble des logements est très différent : les premiers constituent 37% du parc immobilier, les seconds, seulement 5%, soit sept fois moins. Comme cette opposition structure l'axe 1, il faut que ces deux forces s'équilibrent. Pour cela, par effet de levier, les logements de 5 pièces sont fort éloignés du centre du graphique alors que ceux de 2 pièces sont beaucoup plus proches : grosso modo, leur distance à l'origine est dans un rapport de 1 à 7, identique au rapport qui existe entre leur poids respectif 438 . Au contraire, sur l'axe 2, les logements de 1 et 3 pièces, qui structurent l'axe et "pèsent" approximativement le même poids, sont situés à égale distance de l'origine.

Comment se répartissent les arrondissements lyonnais en fonction de la taille des logements ? Le second arrondissement est, sur l'axe 1, très proche des logements de 5 pièces et plus, alors que, au contraire, Villeurbanne, le 1er et le 7e arrondissements voisinent avec les appartements de 2 pièces. Que signifie la proximité d'un type de logement et d'un arrondissement ? Une forte sur-représentation de ce type de logement dans cet arrondissement. Alors que les logements de 5 pièces représentent 5% du parc immobilier, ils sont près de 9% dans le second arrondissement, c'est à dire presque deux fois plus que dans l'ensemble. De même à Villeurbanne, les appartements de deux pièces sont plus nombreux, près de 42% contre 37%, que dans l'ensemble Lyon-Villeurbanne. Bien entendu, cela ne signifie nullement qu'il n'y a que des appartements de ce type à Villeurbanne ou dans le second arrondissement. Ce que met en évidence l'analyse factorielle, ce sont les écarts à l'indépendance, ou pour le dire autrement, les spécificités. Dans ce cas précis, un arrondissement dont le parc immobilier correspondrait aux caractéristiques de l'ensemble -27% de logement de 1 pièce, 37% de 2 pièces, 22% de 3 pièces…- se retrouverait au centre du graphique. D'ailleurs, le 1er et le 7eme arrondissement dont la structure des parcs immobiliers est très proche de la moyenne sont les moins éloignés du centre du graphique.

Comment interpréter cette analyse factorielle ? A l'évidence, la répartition des logements selon leur taille n'est pas homogène dans l'espace urbain. Ce point serait encore plus évident si le découpage spatial était plus fin. Dans la présentation des immeubles, j'ai déjà insisté plusieurs fois sur ce l'importance de l'échelle de l'observation. Mais il est tout à fait remarquable que, en dépit de ce découpage administratif peu adéquat, qui mêle des zones très diverses -que l'on songe par exemple au 3e arrondissement qui agrège les petits pavillons de Montchat et les garnis de la Part-Dieu- la structure soit aussi nette et rende si bien compte de l'histoire du logement à Lyon et Villeurbanne.

Les deux arrondissements où demeure l'essentiel de l'élite lyonnaise -le deuxième et le sixième arrondissement- sont ceux où les appartements de grande taille sont les plus sur-représentés 439 .

Tableau : Les logements de standing, Presqu'île et Brotteaux
date de construction Avant 1871 1871 - 1914 1914 - 1939 5 p. et plus
6e arrondissement 37 % 50 % 13 % 1903
2e arrondissement 71 % 24 % 6 % 1692
6e arrondissement 696 958 249  
2e arrondissement 1198 400 94  

Ces grands appartements sont aussi ceux que les statistiques officielles qualifient de larges ou très larges car le nombre moyen de personnes par pièce y est inférieur à un, tant en 1896 qu'en 1926. Si la spécificité de la presqu'île est bien marquée, celle des Brotteaux l'est moins, d'une part parce que les grands appartements y sont moins sur-représentés qu'entre Rhône et Saône mais aussi parce que les logements de une seul pièce y sont aussi plus nombreux que dans l'ensemble de l'agglomération. Ces logements de une pièce sont, nous l'avons vu, les plus surpeuplés -près de deux personnes par pièce en 1896 et 1,7 en 1926. Que ces petits logements et que les grands appartements caractérisent le parc immobilier des Brotteaux confirme l'ambivalence de cet arrondissement dont il faudra s'efforcer de tenir compte lors du découpage spatial.

A l'autre extrémité de l'axe 1 se trouvent les logements de 2 pièces et la commune de Villeurbanne. A la veille de la seconde guerre mondiale, cette commune compte plus de 26 000 logements dont près de 13000 ont été construits après le déclenchement du premier conflit mondial 440 . Ce chiffre est important. Il signifie que sur les 45 000 logements construits entre 1915 et 1939 à Lyon et Villeurbanne, près du tiers a été construit à Villeurbanne. Il est certain que ce fait ne sera pas sans influence sur les itinéraires résidentiels.

Entre 1924 et 1934, on observe un véritable boom de la construction. Il est facilité par les initiatives de la municipalité qui, derrière Lazare Goujon, organise l'expansion du parc immobilier de la commune 441 en favorisant la reconversion de terrains agricoles ou industriels. La construction des Gratte-ciel, achevée en 1934, est l'opération la plus visible. Elle symbolise la volonté d'autonomie dont le nouvel Hôtel de ville et le monumental Palais du Travail sont les signes architecturaux mais en dépit des 1450 logements construits dans des immeubles qui atteignent 19 étages, ce n'est pas ce chantier qui entraîne la plus forte progression du parc immobilier de la commune. Les maisons individuelles construites sur les différents lotissements sont 2200, les logements construits, entre 1926 et 1937, dans des immeubles collectifs par les différents offices de H.B.M. sont 550 et ceux édifiés, entre 1926 et 1936, par des organismes patronaux sont 437 442 . En 1954, 42% des logements villeurbannais sont des logements de deux pièces alors que ces logements ne représentent dans l'ensemble que 37% du parc immobilier. Le nombre moyen d'habitants par pièce dans ces logements est, à Lyon 443 , de 1,3. Il s'agit donc de logements qualifiés d'insuffisants par la statistique générale. Et le B.I.T. d'ajouter que ce type de logement est, avec les trois pièces, le type le plus fréquent dans les familles ouvrières. La lecture de l'axe un est donc simple : il renvoie aux clivages sociaux et oppose les arrondissements où prédominent les logements larges des classes supérieures aux espaces de la classe ouvrière la plus récente qui habitent de petits logements.

Sur l'axe 2, ce sont les logements de 3 pièces et de une seule pièce qui conditionnent la répartition des espaces urbains. La prédominance des logements de une pièce dans le troisième arrondissement n'est pas pour surprendre. Ils constituent le logement type des nombreux garnis dont l'immeuble de Georges Navel a fourni un exemple. En 1896, les services statistiques de Lyon ont distingué les logements en garnis et les logements privés. A cette date, 75% des logements en garnis sont des logements de une pièce et 20% des logements de une pièce sont des logements en garnis 444 . Il est à prévoir que cet arrondissement et en particulier sa partie la plus ancienne soit un quartier de fort turnover, abritant une main-d'œuvre très fluide. A l'autre extrémité de l'axe se trouve au contraire des logements plus spacieux, qualifiés de suffisants par les statistiques officielles. En 1926, les logements de 3 pièces ont en moyenne 1,1 habitant par pièce et ceux de 4 pièces, tout juste 1. Deux arrondissements dont plus de la moitié des logements ont été bâtis avant la Troisième République, le quatrième et le cinquième, enregistrent une surreprésentation de ces logements mais cette surreprésentation est beaucoup prononcée sur le plateau de la Croix-Rousse que sur les bords de la Saône. La Croix-Rousse est l'espace privilégié de l'atelier familial et de la fabrique traditionnelle. Pour être, à la fois, habitation et lieu de travail, le logement se doit d'avoir des dimensions suffisantes. Les statistiques de 1896 aident, une fois encore, à saisir la logique de cette surreprésentation. A cette date, les locaux "qui servent à l'habitation et à l'exercice d'un commerce ou d'une industrie" représentent 12% des locaux lyonnais mais 25% des locaux du quatrième arrondissement 445 .

Le 3e et le 4e arrondissement sont exactement antinomiques : les types de logement surreprésentés dans un arrondissement sont nettement sous-représentés dans l'autre. Les seuls appartements proportionnellement aussi nombreux dans l'un et l'autre cas sont les appartements de deux pièces ou de cinq pièces et plus, précisément ceux qui n'interviennent pas, ou très peu, sur l'axe 2.

Je pense que sur cette exemple, on saisira assez facilement le principe de lecture des analyses factorielles où le premier axe confirme le plus souvent des clivages attendus mais où les axes suivants permettent de nuancer des conclusions ou de découvrir de nouvelles pistes de recherche. Ici, le deuxième axe oppose une ville bâtie pour le travail à domicile à des quartiers dont les habitants ont d'autres habitudes de travail. Surtout, il montre comment cette opposition se traduit dans le domaine du logement.

De ce rapide survol des conditions de logements, retenons quelques idées essentielles pour bien saisir les trajectoires résidentielles. Bien que cela ne soit pas facile à établir en raison de la falsification des recensements, croissance démographique et développement du parc immobilier sont grosso modo parallèles. La principale conséquence en est un déplacement progressif du centre de gravité lyonnais vers l'Est. D'autre part, les caractéristiques sociales des logements sont nettement tranchées, et le lieu de résidence peut être considéré comme un indice de la place dans la hiérarchie sociale.

Notes
435.

Commissariat général du plan, Le logement, annexes, tableau VIII, p. 103

436.

Ce tableau est publié en annexe n° 6.

Procéder à l'analyse sur les chiffres bruts plutôt que sur les pourcentages permet de tenir compte du poids différent des arrondissements. Si l'analyse portait sur le tableau de pourcentages, le quatrième arrondissement qui rassemble 6,5% des logements et Villeurbanne, qui en compte 14,6% pèseraient de la même manière…

L'analyse porte donc au total sur les 195441 logements dont le nombre de pièces était connu.

437.

Le premier axe explique 63% de la variance totale et le second 28%.

438.

Cela est une approximation car ces deux variables ne sont pas seules à intervenir dans la détermination de l'axe. Ce serait vrai si elles étaient les deux seules variables prises en compte.

439.

Arrêtons nous un instant sur ces grands appartements. Ils sont très souvent l'apanage des catégories aisées de la population. A l'aide des indication sur l'ancienneté du parc immobilier de chaque arrondissement, et en admettant que les grands appartements ont été construits au même rythme que l'ensemble des immeubles, il est possible d'affiner les logiques résidentielles des élites entre presqu'île et Brotteaux. Le tableau suivant indique quel a été le rythme de la construction dans les deux arrondissements et les résultats obtenus en appliquant les taux aux seuls grands logements.

Au vu des résultats, l'hypothèse ne paraît pas totalement absurde et les chiffres absolus précisent l'histoire du logement des classes supérieures, le progressif déplacement de la presqu'île vers les Brotteaux. Si l'on se souvient de la géographie résidentielle des membres des grands cercles, cette évolution explique parfaitement les différences observées entre le cercle du Divan et le cercle du Commerce, dont le patrimoine immobilier semblait le plus récent et donc principalement situé aux Brotteaux.

440.

D'après l'enquête du commissariat général au plan, 26 779 logements ont construits à Villeurbanne avant 1939 et 48% d'entre eux l'ont été entre 1915 et 1939. Pour Lyon et Villeurbanne, le nombre des logements construits avant 1939 est de 188 166 et 24% ont été édifiés entre 1915 et 1939.

441.

Voir Bonneville Marc, Villeurbanne, naissance et métamorphose d'une banlieue ouvrière, processus et formes d'urbanisation, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1978, spécialement les chapitres 3 et 4. Voir également Meuret Bernard, Le socialisme municipal, Villeurbanne 1880-1982, Presses Universitaires de Lyon, 1982, p. 148-172

442.

Voir Bonneville Marc, op. cit. p. 97-98

443.

L'enquête du B.I.T. ne donne aucune indication sur Villeurbanne.

444.

Documents administratifs et statistiques, Lyon, 1896, p. 354 et sq.

445.

En 1896, 189187 locaux servant à l'habitation ou servant d'atelier, de magasin ou de boutique ont été recensés. 22 89 servaient, à la fois, d'habitation et d'atelier ou de boutique.