Vu la qualité des sources, je ne vais indiquer ici que le poids relatif de quelques secteurs d'emploi par rapport à la population active masculine départementale. Les chiffres des recensements sont publiés en annexe 457 . L'évolution du secteur agricole est sans doute la plus fiable - 58000 agriculteurs en 1896, 39000 en 1936- mais la surestimation de l'emploi industriel et commercial tend à minorer sa part relative, 22% en 1896 et moins de 14% en 1936. Au demeurant, ce secteur est négligeable pour la présente étude. Dans le secteur industriel, le chassé-croisé majeur s'opère, et ce n'est pas une surprise, entre textile et métallurgie comme le montrent les deux graphiques suivants.
Sur la longue durée, l'évolution de l'emploi masculin dans le textile est conforme à ce que l'on sait de ce secteur on observe une reprise surprenante en 1926 et 1931. En fait l'examen attentif des chiffres montrent que la falsification porte essentiellement sur le tissage de la soie (4Ff2 selon la nomenclature des recensements). En 1921, ce secteur compte officiellement 4841 hommes actifs sur les 24246 employés dans les industries textiles (4F). En 1926, le secteur textile emploierait 32646 hommes dont 7504 dans le tissage de la soie ! Le nombre des tisseurs est inférieur d'un tout petit millier à ce qu'il était en 1901 ! Et pendant toute la période de l'entre-deux-guerres, le tissage de la soie est un secteur qui progresse en chiffres absolus, puisqu'il y aurait encore 5413 tisseurs en 1936. Les falsifications sont évidentes. Cette croissance insoupçonnée de la fabrique renvoie sans doute aux mécanismes mentaux qui animent les employés municipaux. Lyon, c'est la soie et au moment où l'on se désole sur les derniers canuts, rien de plus simple que d'en créer à tour de bras ! L'attitude est d'ailleurs très voisine pour les apprêteurs et les teinturiers. Il est probable que les secteurs les plus traditionnels de l'industrie sont ceux dont les chiffres ont été les plus falsifiés.
Les chiffres de la métallurgie semblent au contraire plus fiables. Si le détail est douteux, la tendance est nette. La désindustrialisation de la région et en particulier le recul de la métallurgie a été évoqué par un article du journal du syndicat CGT des métaux, Le Métallurgiste 458 . Cet article de l'automne 1938, est assez alarmiste. Il cite les chiffres de la chambre patronale de la métallurgie. En 1923, les effectifs de ce secteur auraient été de 40163, en 1930, la métallurgie occuperait 44466 personnes mais dès 1932, la chute serait brutale : 28261 actifs seulement. En 1934, les effectifs seraient stabilisés à 27643 actifs. Et le journal de citer les commentaires alarmistes de Weitz, l'ancien président et ceux de Georges Villiers 459 qui expliquent que la crainte des nationalisations a entraîné le désinvestissement. Les chiffres des recensements pour la branche des métaux ordinaires (4L) sont les suivants pour population masculine 460 : en 1921 46341, en 1926, 53268, en 1931, 47091 et 38766 en 1936. Au delà des différences, la tendance semble bien être la même… un net recul mais dont on ne peut apprécier l'ampleur exacte, sans doute entre un cinquième et un quart des effectifs des années vingt.
Les mutations des autres secteurs industriels n'ont pas la même ampleur. Dans le secteur chimique, c'est essentiellement dans l'avant-guerre que s'opère le décollage mais l'entre-deux-guerres n'enregistre pas de nouveau bond en avant. Pendant toute la période, les travailleurs de la chimie représentent 3% de la population active masculine départementale, c'est à dire 4 à 5 fois moins que ceux employés dans la métallurgie. Dans les cuirs et peaux, la tendance est à la diminution : les effectifs ont diminué de moitié entre la fin du XIXe siècle et la veille de la seconde guerre mondiale, où ils ne représenteraient plus que 1,6% de la population active. Les entreprises de construction emploient entre 4 et 6% de la population active. L'un des secteurs les plus dynamiques est sans doute celui des transports dont les effectifs doublent pratiquement pendant la période étudiée passant de 11000 en 1896 à 19000 en 1936. Les chiffres de ce secteur demeurent assez stables pendant l'entre-deux-guerres aussi bien lorsque les bulletins individuels fictifs sont comptabilisés que lorsqu'ils ne le sont pas, ce qui inciterait à les tenir pour proches de la réalité.
Le principal secteur d'emploi, en dehors de la métallurgie, du textile ou des transports est le commerce. Le graphique montre que le poids de ce secteur a fortement progressé dans l'avant-guerre mais qu'il serait resté stable entre 1921 et 1936.
Au niveau départemental, pendant l'entre-deux-guerres, il y a sensiblement autant d'hommes dans le commerce que dans la métallurgie. L'examen des chiffres détaillés de 1921 et de 1936 suggère une grande stabilité interne : les bouchers et tripiers regroupent 5% de la catégorie, les épiciers 13%, les débitants de boissons 6%, les marchands de combustibles 5%… Si ce secteur semble stable, il en va tout différemment pour le secteur de la banque et des assurances dont le poids augmente nettement.
En 1896, le chiffre (sûr) est de 2023 hommes actifs dans ce secteur et pendant toute la période qui suit la guerre, le chiffre est aux environs de 6000, 6337 exactement en 1936. Le phénomène est encore plus accentué pour les professions libérales (professions judiciaires, experts, techniciens, professions médicales, cultes 461 ) dont les effectifs passent de 6604 en 1896 à 12119 en 1936, soit de 2,5% à 4,2% de la population active masculine. Il est certain que pour ces dernières catégories, la majeure partie des actifs sont installés à Lyon. Tel est sans doute aussi le cas pour les actifs des services publics dont la progression est du même ordre.
Voir annexe n° 7.
ADR 548, Le Métallurgiste, Octobre Novembre 1938,
Dans ses Témoignages , Georges Villiers évoque (p. 14) le climat dans la métallurgie lyonnaise. "A Lyon, comme ailleurs, les organisations patronales vivaient dans une douce quiétude et leur rôle était purement administratif. Le rôle du président consistait à présider des séances mensuelles plutôt formelles.Dans la métallurgie, devant les troubles qui venaient de se produire, un besoin de sang nouveau s'est fait sentir et le président Weitz ayant donné sa démission, on a cherché parmi les plus jeunes ; et c'est ainsi que, pour le remplacer, le choix s'est porté su mon nom."
Les recensements distinguent métallurgie, (4K), métaux ordinaires (4L), de loin la branche la plus importante, et les métaux fins (4M)
Jusqu'en 1901, le clergé est classé parmi les actifs des services publics, après il est intégré aux professions libérales.