a. Le chômage dans les recensements

Les résultats départementaux du recensement isolent, à partir de 1896, la catégorie des sans-emploi d'où émerge progressivement, en fonction de la durée de la suspension du travail et de l'âge, les chômeurs. Cette "invention", qui coïncide avec la période que j'étudie, a été analysée par Robert Salais, Nicolas Baverez et Bénédicte Reynaud. Ils montrent bien l'ambivalence de la norme retenue et l'ambiguïté qui règne dans le domaine des représentations sociales 463 . Sans revenir sur le flou de ces notions, et en se réduisant ici à une lecture prudente -non pas en raison du flou de la notion mais des falsifications 464 - et positiviste des résultats, on peut remarquer que le Rhône se situe toujours au-dessus de la moyenne nationale.

Croquis n° 37 : Le chômage dans le Rhône et en France d'après les recensements
Croquis n° 37 : Le chômage dans le Rhône et en France d'après les recensements

Les différences sont trop nettes entre l'avant-guerre et l'après-guerre pour être le seul résultat de falsifications. De plus, l'écart est déjà net avant 1911 alors que les recensements de Lyon ne sont pas falsifiés. Pendant l'entre-deux-guerres, les années les plus difficiles sont 1921 et 1936 alors qu'au contraire, en 1926, la situation serait plus favorable qu'avant-guerre. L'absence d'écart cette année là entre le niveau national et le niveau du Rhône est-elle due à une conjoncture particulièrement favorable ou à l'influence des falsifications. En dépit de ces dernières, les chiffres relatifs me semblent grosso modo recevables. Cela est confirmé par l'examen du chômage masculin et féminin.

Croquis n° 38 : Chômage féminin et masculin dans le Rhône
Croquis n° 38 : Chômage féminin et masculin dans le Rhône

Le chômage masculin et le chômage féminin s'établissent à des niveaux très voisins. Cela renvoie essentiellement à la structure de l'emploi dans le Rhône et à Lyon en particulier mais aussi à l'influence de la conjoncture. Commençons par cette dernière. L'année 1921 est une année très délicate pour les femmes au travail, nécessaires pendant le conflit, la concurrence masculine s'exacerbe au début des années vingt. C'est l'année où le chômage féminin et le chômage masculin sont exactement au même niveau (5,5% selon les résultats officiels des recensements), c'est aussi l'année où le chômage féminin est le plus élevé (5,5 en 1921 contre 4,8 en 1936). Mais si dans le Rhône, les taux sont si proches, c'est avant tout parce que s'y conjuguent les deux pôles du chômage telles que les définissent les analyses factorielles dressées par les auteurs de L'invention du chômage pour 1896 : l'organisation duale du travail du travail associant travail à domicile et travail dans l'établissement et l'organisation unique du travail dans l'établissement 465 .. La première est le fait des femmes actives dans le secteur textile et dans l'habilement et la seconde caractérise les hommes employés dans la métallurgie, l'alimentation, la manutention.

Au total, les chiffres des recensements, en dépit des falsifications, sont en ce domaine, globalement fiables. Quelles en sont les conséquences pour l'étude de la mobilité professionnelle et sociale ? Sur les huit dates d'observation, cinq correspondent à une conjoncture relativement favorable et trois à une conjoncture franchement mauvaise. Le contexte général de l'avant-guerre est incontestablement meilleur que celui de l'après-guerre. L'étude du bureau de placement de Lyon, même s'il ne s'agit pas d'un observatoire totalement pertinent permet d'affiner ces constations.

Notes
463.

Salais Robert, Baverez Nicolas, Reynaud Bénédicte, L'invention du chômage, histoire et transformations d'une catégorie en France des années 1890 aux années 1980, Paris, PUF, 1986, 271 p. Voir en particulier les pages consacrées à la mesure du chômage dans les recensements de 1896 à 1936, p. 31-42

464.

Ces falsifications ne sont pas évoquées dans L'invention du chômage

465.

Voir Salais Robert, Baverez Nicolas, Reynaud Bénédicte, L'invention du chômage,op. cit. p. 54 et sq. En 1896, chômage féminin et masculin ont des positions fort différentes sur les axes des AFC -voir op. cit. p. 56- le premier est à proximité du travail domestique, des femmes de situation inconnue, du textile alors que le second voisine avec le travail en établissement de 11 à 100 salariés. En 1936, alors que la catégorie est mieux cernée, chômeurs et chômeuses ont la même position sur le plan factoriel, à proximité immédiate de manutention. Dans le Rhône, en 1936, 88% des hommes de la manutention et 95% des femmes n'ont pas d'emploi !