Pour mettre en évidence la grande stabilité de l'organisation générale des données, et donc de la société lyonnaise, il convient d'examiner le tableau des modalités qui rendent le mieux compte des premiers axes des quatre analyses factorielles 670 .
En 1896, les cadres supérieurs, où sont inclus les étudiants, sont surreprésentés dans le centre de la presqu'ile (21) et sur la colline de Fourvière. Au contraire, à la Croix-Rousse sont surreprésentés les ouvriers ou artisans et les personnes âgées 671 . Telle est l'opposition dominante à la fin du XIXe siècle la colline qui travaille opposée à la colline qui prie. Si c'était là le seul apport de l'analyse, on serait tenté de dire que la "plaisante sagesse lyonnaise" le savait depuis des lustres ... En 1911, se dégage un pôle qui associe les retirés des affaires, les personnes âgés, les natifs de petites communes rurales (moins de 500 habitants agglomérés au chef-lieu), et dont Fourvière est une des résidences privilégiées à un autre pôle où prédominent natifs de Lyon et électeurs les plus jeunes. Donc un premier axe structuré par des groupes d'âge et des lieux de naissance : la proximité entre natifs de Lyon et électeurs de moins de trente ans renvoie à l'inscription différentielle sur les listes électorales des natifs et des migrants. En 1896, la conjonction cadres supérieurs (et étudiants) / Fourvière est directement liée à la présence du Grand Séminaire. En 1911, la conjonction Fourvière / personnes âgées est le résultat de la construction de l'Hôtel des Invalides du Travail en 1906 et de l'hôpital Debrousse en 1909 où sont domiciliés plusieurs électeurs 672 .
En 1921, le premier axe oppose des pôles qui ne sont pas absolument identiques à ceux de l'avant guerre. On retrouve les retirés des affaires et les électeurs les plus âgés mais figurent dans le même espace les cadres supérieurs associés à la presqu'île et à Fourvière. Au contraire du côté négatif, se trouvent les services publics, associés à l'extrême sud de la presqu'île, derrière les voûtes de Perrache, les manœuvres, les électeurs de 41-50 ans et les natifs du rural profond. Si les pôles ne sont pas organisés autour des mêmes modalités, ils opposent toujours des classes d'âge et des lieux de naissance.
Terminons cette approche globale avec la présentation des contributions les plus fortes en 1936. Du côté positif se retrouvent à nouveau les services publics, le rural profond, les 41-50 ans, le sud de Perrache (22) mais aussi Gerland et Etats-Unis (73) ; et côté négatif toujours les natifs de Lyon, les cadres supérieurs, les 21-30 ans mais aussi les techniciens, cadres moyens et les Brotteaux (61). On retrouve donc des modalités déjà plusieurs fois rencontrées. D'une part, les services publics associés communes du rural profond, aux électeurs de 41 -50 ans, au sud de la presqu'île et à la zone récente du 7e arrondissement où viennent d'être édifiés les immeubles du quartier des Etats Unis (73). A ce pôle, s'opposent les modalités suivantes : natifs de Lyon, cadres supérieurs, jeunes électeurs, le quartier huppé des Brotteaux (61) et les techniciens, cadres moyens. Alors que jusqu'en 1921, ces modalités étaient associées à Fourvière et au centre de la presqu'île, elles sont maintenant plus fortement associées au quartier des Brotteaux qui, non sans résistances, devient depuis le début du siècle le quartier de prédilection des classes aisées.
Les faibles variations qui séparent les valeurs propres des premiers et des seconds axes des analyses factorielles laissaient présager des chasses-croisés fréquents entre les modalités qui structurent ces axes. Le fait est confirmé par l'examen du tableau suivant où l'on retrouve nombre de modalités déjà rencontrées lors de l'observation du tableau précédent.
La somme des contributions est de 100. Si toutes les modalités "contribuaient" de la même manière à la construction de l'axe, tous les pourcentages seraient de 100/39, soit 2,56%. Ne figurent dans le tableau que les modalités dont les contributions sont très supérieures à cette moyenne.
Conclure immédiatement que les ouvriers ou artisans sont âgés ne serait pas licite. Ce qu'indique l'analyse, c'est d'une part la surreprésentation des ouvriers ou artisans à la Croix-Rousse et d'autre part la surreprésentation des personnes âgées. Un retour aux données permet de constater que ce sont les mêmes individus qui sont sont à la fois artisans et âgés. L'analyse factorielle est un outil puissant mais l'interprétation doit en être systématique, pas uniquement intuitive.
Fabien Genêt. L'Hôtel des Invalides du Travail de Lyon. 37 p. Imprimerie Rey, Lyon, 1913 Anonyme. La Fondation Debrousse de Lyon.66 p.,Barger-Levrault,Paris, 1910.