B. Les modalités structurantes

A la lecture des modalités qui contribuent le plus à la structuration des deux premiers axes de ces quatre analyses factorielles, il apparaît clairement que sur les 39 modalités retenues, seules quelques unes sont fréquemment citées, soit à propos de l'axe 1 soit à propos de l'axe 2. Cela indique d'ailleurs qu'entre les deux premiers axes, la hiérarchisation n'est pas évidente d'où, d'une année à l'autre quelques glissements comme celui qu'enregistré, la modalité 70 ans et plus, initialement liée au second axe (1896) puis devenant prépondérante sur l'axe 1 en 1911, jouant un rôle important sur le premier et plus encore sur le second axe en 1921 pour enfin peser de manière décisive sur le second axe de l'analyse consacrée à 1936. Par ailleurs, la relative stabilité des modalités déterminantes souligne que, pendant la période étudiée, et pour parler sans nuances, les règles d'organisation de la société lyonnaise sont assez rigides.

Ce n'est pas la ville immobile mais les pesanteurs sont telles que, malgré les changements, se dégage une impression, sinon de pérennité, du moins de forte stabilité. Dans la mécanique sociale qui régit l'organisation des différentes pièces, tout n'est pas figé mais les Interstices où pourrait se produire un éventuel jeu des mécanismes, une possible inflexion des constantes sont peu nombreux.

En effet, les modalités le plus fréquemment rencontrées, celles qui contribuent le plus à l'inertie des quatre analyses opposent, sur l'un ou l'autre axe, les électeurs nés dans les communes de moins de 500 habitants agglomérés au chef lieu aux natifs de l'agglomération lyonnaise, c'est à dire essentiellement aux lyonnais de naissance. Le premier axe des analyses des correspondances multiples est la manifestation de l'effet-taille de la commune de naissance. L'impact de cet effet ne se dément pas de la fin du XIXe siècle à la veille du second conflit mondial mais sa lisibilité sur les analyses est parfois légèrement brouillée : en 1896, l'opposition sur le premier axe est essentiellement une opposition rural/urbain - les coordonnées sur cet axe de rural et rural profond et de urbain grande ville sont proches - mais dès 1911 la progression des tailles est parfaitement respectée et la séquence rural profond, rural, urbain, grande ville, Lyon est parfaitement lisible. En 1921, l'image est un peu brouillée car la taille de la commune de naissance n'intervient pas seulement sur le premier axe mais aussi sur le second. La séquence repérée en 1911 sur le premier axe est plus visible sur le second dix ans plus tard. En fait, l'année 1921 marque une rupture dans l'organisation générale de la société. Les constantes établies à la fin du XIXe siècle sont pour un temps bouleversées par les conséquences de la guerre. La mort a frappé inégalement les classes d'âge et les logiques migratoires en sont brouillées 673 . Quinze ans plus tard, le temps a fait son œuvre et les constantes ont repris leur droit : en 1936, l'effet-taille est parfaitement lisible sur le premier axe.

Les individus nés hors-France métropolitaine sont très peu nombreux mais une observation des quatre analyses indique bien le sens des transformations enregistrées par ce groupe. Alors qu'en 1896 et 1911. la faiblesse numérique du groupe contribue à ('éloigner du centre du graphique, la surreprésentation résultant de quelques individus, dos 1921 leur position sur le graphe se modifie, gagne le centre du graphe - preuve de la diversité interne du groupe - et en 1936, l'ancrage périphérique et en particulier la proximité de Villeurbanne est bien marquée. La progression des naturalisations d'italiens explique parfaitement cette "migration" de la variable sur le plan factoriel de 1896 à 1936.

Le lieu de naissance est bien l'un des déterminants essentiels du devenir des individus 674 et sans doute le clivage le plus puissant d'une société urbaine, surtout à une époque où quatre urbains sur dix sont nés dans des communes rurales. Il n'est pas nécessaire d'être devin pour en savoir beaucoup sur l'avenir d'un individu. En lui demandant son lieu de naissance, on a de fortes chances de savoir comment il entrera dans la vie et dans la ville...

Le second clivage, mis en lumière par les quatre analyses, oppose trois catégories d'âge : les moins de trente ans, les plus de 70 ans et de manière moindre les quadragénaires. La réalité des oppositions entre groupes d'âge se lit bien sur chaque analyse prise isolément mais sa permanence est moins visible d'une analyse à l'autre. Cela n'est pas un hasard. Les coupes transversales ne rendent qu'imparfaitement compte des phénomènes de générations et c'est bien de cela qu'il s'agit. Il faut donc reprendre ce problème en s'efforçant de suivre les cohortes d'une coupe transversale à l'autre. Le phénomène génération affecte les origines des nouveaux urbains, il intervient aussi dans la détermination de leur place sur l'échiquier des positions sociales mais la coupe transversale n'est pas le meilleur outil pour en dégager les logiques et le point n'est mis en évidence que pour les groupes professionnels très homogènes, tant du point de vue de l'âge que de l'origine, voire de la zone de résidence. Tel est le cas pour les retirés des affaires, les employés des "services publics" et les cadres supérieurs dont l'importance a été mise en évidence soit sur le premier soit sur le second axe. Les analyses des quatre coupes transversales ont mis l'accent sur les clivages, à la fois les plus prégnants et les plus constants dans l'organisation de la société d'une grande ville : l'effet-taille des communes de naissance et le phénomène génération. Il faut maintenant aborder ces deux paradigmes de manière plus analytique.

Notes
673.

L'analyse permet de repérer le phénomène. Il sera analysé plus en détail, chapitre 6.

674.

Je n'ai insisté ici que sur l'effet-taille mais une autre méthode de classement des communes est possible, strictement géographique. J'ai procédé aux mêmes analyses en divisant les départements français en catégories : le Rhône, les départements de la première couronne (Ain, Isère, Loire et Saône-et-Loire), les départements de la seconde couronne (Jura, Haute Savoie, Savoie, Hautes Alpes, Drame, Ardéche, Haute Loire, Puy de Dôme, Allier, Nièvre et Côte d'Or) et les autres départements. Ce classement géographique est beaucoup moins discriminant que la taille de la commune de naissance.