C. Effets d'Age et générations : le travail et l'entrée en ville

1 L'âge de la population électorale

La répartition par âge de l'électoral n'est pas le reflet parfait de la répartition par âges de la population. D'une part, la propension à s'inscrire sur les listes électorales varie aux différents âges de la vie et d'autre part, un certain temps s'écoule entre l'arrivée d'un électeur potentiel dans une ville et son inscription effective sur les registres électoraux. A Paris, sur 1000 migrants arrivés en 1950, il faut attendre 1955 pour que 531 675 soient inscrits sur les listes électorales. L'inscription sur les listes électorales est la manifestation consciente de l'insertion dans la ville, la volonté affichée d'y demeurer pendant une période assez longue. Ainsi dans Calixte le héros ne s'inscrit sur les listes électorales qu'à la fin du roman, après avoir épousé une jeune lyonnaise de la meilleure société. Et le héros de prononcer, avec fierté, à la dernière ligne du livre, une variation lyonnaise de la devise romaine :"civis lugdunensis sum 676 ". Ce retard d'inscription explique la forte surreprésentation des lyonnais de naissance parmi les moins de trente ans, phénomène parfaitement mis en évidence par les analyses de correspondances multiples. Par ailleurs, l'origine sociale et la position sociale des électeurs potentiels n'est pas sans lien avec leur inscription effective. L'examen des listes électorales suggère que les étudiants, dont le passage à Lyon n'excède pas, pour beaucoup, trois ou quatre ans, non seulement s'inscrivent sur les listes électorales mais veillent aussi à signaler leur arrivée à Lyon ou leur départ comme le montrera l'étude des listes d'additions ou de radiations aux listes électorales. Cela est avéré pour les étudiants de l'Ecole vétérinaire de Lyon, pour les séminaristes ou pour les futurs missionnaires qui viennent achever leur formation aux Missions Africaines de Lyon. On pourrait faire le même type de remarques pour les fonctionnaires.

L'âge moyen du corps électoral ne change pratiquement pas en quarante ans : 43,7 ans en 1896, 43,2 en 1911, 44,1 en 1921 et 43,5 en 1936. L'âge médian connaît des variations un peu plus fortes passant de 42,4 en 1896 à 42,1 en 1911, progressant jusqu'à 44 ans en 1921 mais diminuant jusqu'à 41,8 en 1936. Ces chiffres sont exactement parallèles à ceux qu'indiqué Michel-Louis Lévy dans son étude sur l'âge de l'électorat 677 . Au plan national, l'âge médian reste stable, aux environs de 42 ans, de 1877 au premier conflit mondial, puis il progresse jusqu'à 44,2 aux lendemains du conflit, conséquence directe de la guerre qui entraîne une diminution de la part des électeurs de moins de 25 ans et une augmentation de celle des plus de 65 ans. Pendant toute la période de l'entre-deux-guerres, l'âge médian diminue et il atteint son point le plus bas de toute l'histoire française en 1936, 41,9 ans 678 .

Croquis n° 58 : L'Age des électeurs en 1896,1911,1921 et 1936 (en pourcentages)
Croquis n° 58 : L'Age des électeurs en 1896,1911,1921 et 1936 (en pourcentages)

Les histogrammes des âges des électeurs lyonnais, construits à partir des résultats de 1896, 1911, 1921 et 1936 témoignent de permanences mais aussi d'évolutions, dues pour l'essentiel aux conséquences démographiques de la première guerre mondiale. Permanences : la prépondérance numérique des 30-49 ans. Trois fois sur quatre, les électeurs de 30-39 ans sont les plus nombreux et ils sont toujours suivis, sauf en 1921 où cette catégorie les précède, des électeurs de 40-49 ans. Ce poids des électeurs de 30 à 49 ans est caractéristique de la démographie urbaine marquée par l'arrivée d'hommes actifs. Ce sont ces mêmes classes d'âge qui sont les plus touchées par les conséquences du premier conflit mondial. Si les situations de 1896 et 1911 sont très voisines, on pourrait presque superposer parfaitement les histogrammes en pourcentages car la croissance de la population n'a pratiquement pas modifié la structure, il en va très différemment après guerre. Le recul relatif des 30-39 est directement lié à la très forte mortalité qui a atteint les hommes nés pendant les années 1880. La supériorité numérique des 40-49 ans en 1921, c'est à dire des hommes nés entre 1872 et 1881, est le résultat de la conjugaison de deux phénomènes : leur cohorte a été moins touchée par les pertes militaires de la guerre et, de plus, elle a bénéficié, à Lyon, d'un apport migratoire net plus important que celui reçu par la génération 1882-1889. En fait, tout se passe comme si les vides creusés par la guerre avaient été comblés par un afflux de migrants des classes d'âge les moins atteintes par le conflit 679 .

Notes
675.

Guy Fourcher, Le peuplement de Paris. PUF, 1964,310 p. Voir le diagramme de Lexis p. 66

676.

Voir en annexe comment Tancrède de Visan décline cette citation latine dans les années 1930. annexe n° 2. Cette prose reposera le lecteur après celle, plus aride, des analyses factorielles !

677.

Michel Lévy, "Le corps électoral". Population et sociétés, n° 110,1978.

678.

A la suite de l'ordonnance du 21 Avril 1944 qui accorde aux femmes le droit de vote, l'âge médian atteint 45 ans et il ne cessera d'augmenter qu'après 1962. Michel Lévy, art. cit.

679.

Je n'ai pas reproduit les calculs qui permettent d'arriver à ces conclusions que confirment le suivi des générations.