4.Les relations ville-banlieue

Seuls 10% des électeurs portés sur les listes d'additions ou sur les listes de retranchements pour raison de mobilité résidentielle viennent de la banlieue ou s'y rendent 716 . Cette faiblesse a d'ailleurs eu des conséquences sur la manière dont j'ai mis en oeuvre la démarche longitudinale : après quelques sondages, j'ai renoncé à rechercher dans les listes électorales de la banlieue les électeurs de la première et de la deuxième cohorte que je n'avais pas retrouvés à Lyon ou à Villeurbanne. J'avais, en effet, peu de chance de les retrouver en banlieue et cela eût entraîné la manipulation d'un grand nombre de listes électorales supplémentaires.

A l'examen des mouvements d'émigration vers la banlieue et de ceux d'immigration de la banlieue vers la ville, de nombreux points communs apparaissent mais aussi des nuances, voire des différences. L'âge moyen des immigrants de la banlieue est proche de 40 ans et celui des émigrants vers la banlieue est de 41 ans. Les communes de naissance des deux groupes sont également comparables mais les communes de destination ou d'origine, et leur hiérarchie relative, ne sont pas identiques. Parmi les 13 communes de banlieue, quatre viennent en tête dans les deux séries mais leur poids n'est pas le même.

  Part des immigrants Part des émigrants
Caluire 22% 26%
Bron 12 % 14%
Tassin 10% 15%
Vénissieux 11% 8%
Autres 45% 37%

II est clair que les trois premières communes jouent un rôle bien plus proéminent dans l'émigration que dans l'immigration. Lorsque Ton connaît les connotations sociales tranchées de Caluire au nord et de Vénissieux au sud on ne peut guère s'étonner des différences sociales qui apparaissent entre immigrants et émigrants. Alors que les travailleurs manuels (ouvriers ou artisans, ouvriers et manoeuvres) représentent 48 % des immigrants qui arrivent de la banlieue, ils ne sont que 37 % parmi les électeurs qui émigrent vers la banlieue. Au contraire, négociants et industriels, cadres supérieurs et techniciens, cadras moyens sont plus nombreux parmi les émigrants, 20 %, que parmi les immigrants, 11 %. L'émigration vers la banlieue se fait surtout en direction de la banlieue Nord et de la banlieue Ouest, et elle est surtout le fait de groupes aisés.

Les effectifs sont faibles mais ces données éclairent les processus de croissance de la banlieue. Une partie de la banlieue grandit par apport cumulé des catégories dirigeantes lyonnaises - sur les quatre négociants qui quittent Lyon, trois s'installent à Caluire- et d'une immigration régionale qui se coule dans le moule social dominant. Tassin-la-Demi-Lune en est un bon exemple. Les deux seuls ingénieurs qui quittent Lyon pour s'installer en banlieue élisent résidence à Tassin. Et c'est là aussi que s'établit, la même année, un ingénieur chimiste qui vient de Péage-de-Roussillon, où il travaillait aux usines Rhône-Poulenc. Sa fille en porte témoignage. "Chemin des cerisiers, à Tassin-la-Demi-Lune. Albert a découvert une grande maison biscornue, petit manoir aux toits d'ardoise, aux balcons de bois contourné 717 ". Albert Beugras est le responsable lyonnais du P.P.F. Ce n'est pas l'aspect politique qui m'intéresse ici mais la mise en évidence de la convergence des deux mouvements migratoires, l'un local et l'autre régional, qui contribuent à renforcer la surreprésentation des cadres supérieurs dans la banlieue Ouest.

Au contraire, les banlieues prolétariennes n'ont pas le même rôle dans le fonctionnement global des migrations intra-agglomération : elles envoient vers la grande ville des travailleurs manuels mais n'en accueillent que peu en provenance de la ville centre. La croissance de ce type de banlieue est essentiellement assurée par l'immigration régionale ou étrangère. Cette banlieue sert de sas pour l'apprentissage de la grande ville à la petite minorité ouvrière qui s'y installera ultérieurement.

Ces logiques fonctionnelles différentes peuvent, d'ailleurs, avoir une influence sur la démarche longitudinale : en ne suivant pas les électeurs en banlieue, je risque davantage de perdre des électeurs des catégories socialement élevées que des catégories socialement basses. En voici un exemple. Stéphane Germain de Montauzan est né en 1874 à Tassin 718 . Son père est négociant. En 1896, il est électeur dans le 5e arrondissement et il est étudiant. En 1901, je ne l'ai pas retrouvé dans leslistes électorales lyonnaises car il est domicilié à Tassin 719 .

Notes
716.

Le sondage effectué sur les listes de retranchements porte sur 1041 individus, 92 s'installent en banlieue. Celui effectué dans les listes d'additions porte sur 1185 individus. 105 viennent de banlieue.

717.

Marie Chaix, Les lauriers du lac de Constance, chronique d'une collaboration. Seuil. 1974 et 1985. La citation setrouve p. 10 de l'édition de poche.

718.

Il appartient à la première cohorte.

719.

En 1906, il est à nouveau inscrit comme propriétaire dans le second arrondissement 29 quai de Tilsitt. A cette date iI figure dans l'annuaire du Tout-Lyon. Il est membre du cercle du Commerce. C'est probablement un parent de Camille Germain de Montauzan, ingénieur civil des Mines et professeur à la Faculté des Lettres, longtemps président de l'Académie de Lyon, auteur, entre autres, du chapitre sur l'antiquité dans l'Histoire de Lyon, publiée, en 1939, sous la direction de A. Kleinclausz.