5.Les migrations Inter-urbaines

a. Bilan global des mouvements migratoires

Distinguer les immigrants des électeurs qui se déplacent dans le cadre administratif lyonnais ne pose pas de problèmes car les lieux d'origine des électeurs qui font l'objet d'une addition est indiqué dans plus de 98 % des cas. Au contraire, l'étude de l'émigration ne peut porter que sur un nombre restreint d'électeurs. En effet, dans les listes de retranchements, la destination n'est indiquée que dans 75 % des cas. Il n'est pas possible d'assimiler une absence de réponse à un départ de la ville 720 . Considérer tous les électeurs sans destination précisée comme des émigrants provoquerait, à l'évidence, le mélange de deux populations, celle des migrants intra-urbains et celle des émigrants. Afin d'éviter ce biais, je ne considérerai comme quittant la ville que les électeurs pour lesquels un lieu de destination précis est indiqué. Ces électeurs sont 253. L'étude des destinations des émigrants ne portera que sur cette sous-population mais pour le bilan global du flux migratoire, il faut procéder différemment car ce choix entraîne la sous-estimation du flux d'émigration. Dans les listes de retranchements, les électeurs affectés par une absence de réponse concernant leur destination sont au nombre de 265. Si, parmi eux, les proportions sont identiques à ce qu'elles sont pour les autres électeurs, un tiers serait des émigrants, soit 90. Les émigrants seraient alors au nombre de 350. D'après le sondage effectué dans les listes d'additions, ceux qui immigrent sont plus nombreux ; ils sont 501. Le solde migratoire serait donc de 151.

En raison des lacunes documentaires qui affectent Villeurbanne, le bilan ne peut porter que sur Lyon stricto sensu. Les chiffres précédents proviennent de sondages au 1/5, Au total, le solde migratoire des électeurs serait donc de 151 X 5, soit 755 et l'ensemble des électeurs mobiles de (350 + 501) X 5, soit 4255. Le rapport du solde au turnover serait donc, grosso modo, de 1 à 5. La validité de ces chiffres est douteuse mais ils permettent de souligner que globalement, le mouvement migratoire renouvelle, chaque année, 3,6% du corps électoral et provoque un accroissement d'environ 0,65% par an 721 . Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Difficile de répondre. Quel est, selon les mêmes sources, le mouvement naturel ? Les décédés lyonnais sont 1262 - chiffre sous-estime en raison des lacunes documentaires - et les nouveaux électeurs, inscrits en raison de leur arrivée à l'âge adulte, sont 1426. Le solde est donc de 164. Ce chiffre est surestimé puisque les décès sont sous-estimes, mais retenons le 722 . Cela signifie que le mouvement naturel de la population entraîne un renouvellement de 2,3% par an du corps électoral et que le croît naturel n'est responsable que d'une croissance de 0,15 % par an. Ces chiffres concernent les seuls électeurs et ne peuvent être considérés comme représentatifs des flux naturels et migratoires globaux, incluant les femmes, les jeunes, les non-électeurs mais en l'absence de toute autre indication, ils fournissent un ordre de grandeur. Concernant la croissance de la population, le solde migratoire est, grosso modo, quatre fois supérieur au solde naturel. Si l'on accepte les chiffres précédents, le taux de croissance annuel du corps électoral lyonnais serait de 0,8 %, ce qui est inférieur au taux de croissance moyen annuel de la période 1921-1936. Pendant cette période le taux de croissance moyen annuel a été de 1.25 %. La comparaison des deux taux montre que globalement, ils se situent dans les mômes ordres de grandeur. Il n'est guère étonnant que le taux de l'année 1936-1937 soit plus faible que le taux moyen. D'une part, il n'est nullement évident que le rythme des migrations soit constant et qu'il ne se soit pas ralenti depuis le début des années trente 723 . D'autre part, il est certain que l'accroissement naturel diminue puisqu'arrivent à l'âge adulte les premières classes creuses.

Au terme de cette pesée globale, et malgré de fortes incertitudes statistiques, deux conclusions s'imposent. D'une part, la faiblesse de la croissance globale de la population est confirmée : avec un taux de croissance moyen annuel de 1 %, il faut près de 70 ans pour qu'une quantité double. Ce n'est pas une surprise, mais cela ajoute à la cohérence des chiffres fournis par les listes électorales, en contradiction complète avec ceux, fantaisistes, obtenus à partir des listes nominatives des recensements. D'autre part, cette faiblesse de la croissance s'accompagne d'un renouvellement qui est loin d'être négligeable, de l'ordre de 5,5 % par an si on inclut le renouvellement dû au mouvement naturel, de l'ordre de 3 % si on l'exclut.

Notes
720.

Dans le second arrondissement, cas exceptionnel, il faut le préciser, la destination n'est indiquée que pour 5 électeurs sur 571

721.

Ces taux ont été calculés par rapport à l'électorat lyonnais de 1936 (116000 électeurs)

722.

Lorsque je parle de sous estimation des décès, je ne fais pas allusion ici au sous enregistrement du phénomène, mais au fait que j'ai retrouvé plus de listes d'additions, qui enregistrent l'arrivée à l'âge adulte de la classe, que de listes de retranchements qui enregistrent les décès.

723.

Dans sa "Présentation d'une ville". Littérature Internationale, n° 4,1934, republiée dans Paul Nizan. intellectuel communiste, tome 1, Paris, Maspero, 1979, Nizan décrit (p. 190) le phénomène migratoire dans la capitale bressane :'On commença à voir arriver par toutes les routes, par tous les trains des ouvriers de Lyon, de Grenoble qui cherchaient du travail dans les villes à demi-rurales et qui repartaient bientôt après avoir fait le tour des bureaux d'embauche vers les usines de celluloïd, du verre et du bois qui s'étagaient dans la montagne. Des hommes qui étaient nés dans la ville et qui l'avaient quittée du temps de la prospérité pour les entreprises des grandes villes revenaient vers elle : c'était un temps de grandes migrations intérieures dans la France, un temps qu'elle n'avait pas connu depuis des dizaines et des dizaines d'années."