d. L'émigration, le départ de la ville.

Les listes de retranchements se sont révélées peu fiables pour l'étude des migrations intra-urbaines mais elles semblent de meilleure qualité pour l'étude de l'émigration. J'ai pu. grâce à elles, repérer des mouvements migratoires que je n'aurai pas pensé pouvoir atteindre par un sondage. Ayant constaté que quatre émigrants se rendaient à Rezé, commune de la banlieue de Nantes, que trois autres se rendaient à Saint-Pierre, dans le canton de Barr, dans le Bas-Rhin, j'ai été intrigué par ces destinations qui ne pouvaient être le fait du seul hasard. Quatre de ces sept électeurs étaient inscrits comme étudiants et partaient, de surcroît, du même bureau de vote, dans le septième arrondissement, un cinquième étudiant du môme bureau de vote se rendait au Dahomey. En fait, tous étaient liés aux Missions Africaines, installées 150 cours Gambetta. Toutes ces destinations ont un rapport direct avec cet ordre missionnaire et la géographie de cet ordre religieux explique les itinéraires d'électeurs inscrits comme missionnaires ou ecclésiastiques ⁷³¹ .

Dans ce cas, la source, les listes de retranchements, et le traitement par sondage, ne m'ont pas empêché de saisir des migrations spécifiques, s'insérant dans un réseau fermé, ici complètement déterminé par l'engagement religieux, mais qui pourrait l'être par d'autres particularités, tel un savoir technique. Ces migrations, complètement inscrites dans un réseau qui préexiste aux individus, étaient typiques des migrations de verriers, avant que les mutations technologiques de la fin du XIXe siècle n'aient bouleversé cette profession, comme l'ont montré les travaux de Joan Scott ou ceux d'Yves Lequin. Cependant, il ne faudrait pas conclure, en fonction de ce seul exemple, que la source est d'une très grande qualité. D'une part, le monde ecclésiastique semble particulièrement attentif à l'enregistrement systématique de changements résidentiels, ce qui n'est sans doute pas le cas de toute la population électorale. D'autre part, mettre en évidence des migrations inscrites dans un réseau fermé et formel, où la liberté de déplacement des individus est pour le moins limitée, est beaucoup plus aisé que de dégager les logiques d'itinéraires individuels où l'aléatoire se mêle au déterminé.