Avant d'analyser l'impact de l'émigration sur la première cohorte, une remarque s'impose. J'ai dû effectuer deux fois les mêmes calculs correspondant à deux hypothèses différentes. En effet, la présence de certains individus de cette cohorte n'est pas attestée de façon permanente dans les listes électorales 753 . Tel individu n'a pas été retrouvé en 1901 mais figure sur les listes de 1906 754 . Tel autre, présent en 1896 et 1901, n'est pas attesté en 1906 mais est inscrit en 1911... Ces individus ont-ils résidé à Lyon de manière permanente et leur absence momentanée dans mes fichiers est-elle à imputer à une erreur humaine, soit de mon fait, un oubli, soit de la part des employés municipaux - ils ont pu être déclassés dans les listes électorales et sont donc impossibles à retrouver. Ou ces individus ont-ils quitté Lyon momentanément, pour y revenir ensuite ? A priori, rien ne permet de trancher mais l'absence d'un tel phénomène après la première guerre mondiale, une fois la tenue des listes améliorée, proche plutôt en faveur de la première hypothèse. Quoi qu'il en soit, le phénomène m'a amené à effectuer deux fois les calculs. Dans le premier cas. tous les électeurs sont considérés comme ayant résidé en permanence à Lyon et Villeurbanne, même s'il y a un trou" dans la biographie reconstituée ; dans le second cas, seuls sont pris en compte les électeurs dont la présence effective est attestée de manière continue.
Une fois l'ensemble des calculs effectués, il est possible de dresser le graphique suivant qui souligne le lien existant entre âge et propension à l'émigration. Si l'on examine les deux courbes, il est clair que, quelle que soit l'hypothèse retenue, leur allure générale n'est pas sans rappeler les courbes d'émigration par âge dressées à partir de périodes intercensitaires récentes pour la France 755 ou pour d'autres pays 756 . On retrouve le modèle mis en évidence dans les travaux de A. Rogers et L. Castro après examen de nombreuses distributions 757 . Le modèle dégagé par ces auteurs est, pour les adultes 758 , une courbe à deux sommets. Le premier sommet correspond aux migrations des premières années d'activité suivi d'un second, lorsque l'individu approche de la soixantaine, qui correspond à la migration de retraite 759 .
L'allure générale des deux courbes est identique mais celle construite en fonction de la première hypothèse - tous les individus sont pris en compte même si leur présence n'est pas continûment attestée - valorise la mobilité après 45 ans alors que celle construite en fonction de la seconde hypothèse met, au contraire, l'accent sur les départs antérieurs à 35 ans. J'ai comparé ces deux séries à l'une des rares enquêtes longitudinales effectuées sur la population française de province. Cette enquête rétrospective menée par Guy Pourcher 760 , au début des années 1960, sur un échantillon de 2000 personnes habitant la province 761 a porté sur les itinéraires migratoires et la carrière professionnelle. Les résultats de l'enquête ont été ventilés par générations. Par définition, cette étude porte sur les seuls survivants et cela pourrait introduire un biais par rapport à des observations effectuées tout au long de la vie des générations, méthode retenue dans ma propre enquête. En effet, il pourrait exister une différence de mortalité entre population sédentaire et population mobile et cela pourrait introduire un écart imputable aux différences de méthodes. Selon G. Fourcher, cela est peu probable et surtout il n'existe aucun moyen d'en apprécier l'ampleur 762 . En raison même de la faiblesse des effectifs des générations les plus anciennes, tous les individus nés avant 1890 ont été regroupés 763 . Le graphique suivant permet de comparer la mobilité de ces générations à celle des générations 1872-1875, étudiées dans le cadre lyonnais 764 . Une seule des courbes lyonnaises a été représentée, celle dont l'adéquation à la courbe de Guy Fourcher est la meilleure. Il s'agit de la courbe correspondant à la seconde hypothèse, lorsque seuls les électeurs continûment attestés sont pris en compte, ce qui suggérerait que cette hypothèse est la plus proche de la réalité.
Les deux courbes, bien qu'obtenues par des méthodes différentes, sur des populations différentes - ensemble de la population provinciale, d'une part et population lyonnaise, d'autre part - frappent par leur similitude d'ensemble, en particulier, avant la trentaine et après la cinquantaine. Cette forte similitude suggère que la mobilité géographique se situe, globalement, au même niveau pour les deux populations, la population provinciale et celle de Lyon. Cela infléchit certaines conclusions dégagées à partir de l'étude des seuls soldes migratoires. Certes, l'essentiel de la croissance démographique a profité aux grandes unités urbaines, mais il ne faut pas conclure pour autant que les échanges entre les grandes unités urbaines et les autres communes ont été de faible ampleur et surtout à sens unique. Les échanges se font dans les deux sens ; le brassage qui s'opère dans le bassin démographique des grandes agglomérations est complexe. Derrière l'immutabilité apparente des populations urbaines analysées globalement, la démarche longitudinale met en évidence un renouvellement constant des individus.
Le tableau précédent présente les résultats pour les seuls électeurs dont la présence est attestée de manière permanente à Lyon.
Tel est le cas de Stéphane Germain de Montauzan évoqué précédemment. VIII.B.4.
Voir par exemple Boudoul Jacques et Faur Jean-Paul, "Trente ans de migrations intérieures", Données Sociales. 1987.I.N.S.E.E., p. 262-268.
Voir par exemple les données concernant la ville de Stockholm, d'après Rogers et Castro, présentés dans l'ouvrage de Georges Tapiras. Eléments de démographie. A. Colin, 1985. Le graphique se trouve p. 165
Rogers A. et Castro L.J., Model Migration Schedules in Multistate Démographie Analysis, International Institut for Applied Systems Analysis. Laxenburg (Autriche), 1981, 120 p. cité d'après G. Tapinos, op. cit.
Un premier sommet de la courbe concerne les entants en bas âge qui accompagnent les migrations de leurs parents.
Que ces calculs aboutissent à des courbes sans surprise, suivant les modèles généraux des phénomènes migratoires, milite en faveur d'une bonne qualité générale des sources utilisées et confirme la validité de la méthode suivie.
Pourcher Guy, "Un essai d'analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle", Population, n° 2,1966, p. 357-378 et "Un essai d'analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle en France", Acta Sociologica, vol. 9,1965. fasc. 1-2, p. 137-154.
Cette étude est le complément de celle portant sur 4000 personnes de la région parisienne dont les résultats ont été publiées. Voir Pourcher Guy. Le peuplement de Paris, Origine régionale, Composition sociale. Attitudes et motivations. INED. 1964.310p.
Fourcher Guy, "Un essai d'analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle", Population, n° 2.1966, p. 369.
Les générations antérieures à 1890 sont étudiées à partir d'un échantillon de 139 individus sondés. Voir Pourcher Guy, "Un essai d'analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle-, Population, n° 2,1966, tableau p. 367.
Les âges écrits en gras, figurant au bas du graphique correspondent aux âges de la cohorte lyonnaise, les autres à la cohorte provinciale.