2. Estimation du turnover urbain

Disposant des résultats de coupes transversales et du suivi d'une cohorte, il est possible, au prix de quelques hypothèses, de mesurer l'impact du "turnover" sur les générations qui constituent la première cohorte. Le suivi longitudinal et l'estimation des décès et de l'émigration permettent de construire le tableau suivant. En 15 ans, de 1896 à 1911, l'effectif initial de la cohorte a diminué de 66,6 % qui se décomposent entre 58,9 % dus à Immigration et 7,7 % dus aux décès. L'opération peut être renouvelée pour la période 1911-1921 et pour la période 1921-1936. Est ainsi connue l'influence de ces événements démographiques sur les générations 1872-1875. Une fois les taux calculés à partir de la démarche longitudinale, on peut, en les appliquant aux résultats de la démarche transversale, estimer le renouvellement de ces générations, entre 1896 et 1936 765 .

Les événements démographiques de la première cohorte
  Effectif initial Décès Emigration Effectif final
1896 - 1911 761 60 447 254
1911 - 1921 254 38 30 186
1921 - 1936 186 47 43 96
Tableau n° 56 : estimation du renouvellement des générations 1872-1875, de 1896 à 1936
Tableau n° 56 : estimation du renouvellement des générations 1872-1875, de 1896 à 1936

En 1896, les générations 1872-1875 comptent 78 individus. Si l'on applique à cet effectif, les taux de mortalité et le taux d'émigration calculés sur la première cohorte, il devrait rester, en 1911, 26 individus appartenant à ces générations. En effet, la mortalité fauche 7,7% de l'effectif initial, soit 6 individus, et l'émigration a touché 46 individus, soit 58,9% de ce même effectif initial. Or, en 1911, il y en a 104 individus, nés entre 1872 et 1875, dans la coupe transversale effectuée dans les listes électorales. La différence entre les deux chiffres correspond aux individus de ces générations, arrivés à Lyon depuis 1896 et qui y sont restés. Les trois quarts des individus qui vivent à Lyon en 1911 sont donc arrivés depuis moins de quinze ans et un quart habite Lyon depuis au moins quinze ans. Il est évident que les générations jeunes sont les plus touchées par le turnover mais cela souligne, une fois encore l'importance du renouvellement de la population avant 35 ans.

Au sens strict, il n'est pas possible d'appliquer le taux d'émigration calculé à partir de l'approche longitudinale aux résultats des coupes transversales après 1911 : en effet, rien ne prouve que le taux d'émigration soit le même pour les individus des générations 1872-1875 qui étaient présents à Lyon en 1896 et pour ceux qui sont arrivés après. Admettons cependant cette hypothèse afin d'estimer l'importance du turnover pendant la première guerre mondiale et après.

Après avoir dépassée 37 ans (période du premier conflit mondial), ces générations se renouvellent beaucoup moins puisque l'effectif attendu en 1921 représente 72% de l'effectif observé, ce qui signifie que les nouveaux venus, pour ces classes d'âge, qui représentaient les trois quarts des effectifs en 1911, n'en représentent plus que 28 % en 1921. Pendant l'entre-deux-guerres, l'immigration d'individus de ces générations demeure à un taux faible puisque la part des individus déjà présents au début de la période d'observation progresse encore légèrement par rapport à la période de la guerre, passant de 72 à 74%.

Résumons. Avant 35 ans, les trois quarts des individus sont arrivés dans la grande ville depuis moins de quinze ans, après 45 ans, les trois quarts des individus sont installés dans la ville depuis plus de quinze ans.

Au total, pour les trois périodes, en tenant compte de l'ensemble des hypothèses formulées, il est possible de calculer, pour la partie la plus stable des générations 1872-1875, le taux d'émigration par rapport à l'effectif initial et le taux d'immigration par rapport à l'effectif final. Le tableau suivant donne les résultats.

Tableau n° 57 : Estimation des taux moyens annuels d'émigration et d'Immigration pour les générations 1872-1875
Période Age Taux d'émigration Taux d'immigration
1896-1911 21-36 -5.7% 3,8%
1911-1921 36-46 -1.2% 2,4%
1921-1936 46-61 -1,7% 1,5%

La période de la guerre apparaît, à nouveau, comme une phase de net ralentissement dans les mouvements migratoires mais ce résultat néglige l'importance de la population flottante qui a pu s'installer, et travailler, à Lyon pendant la première guerre mondiale. Ce ralentissement de la mobilité correspond-il à l'impact du conflit ou bien caractérise-t-il un cycle plus général des déplacements individuels ? La première hypothèse est la plus vraisemblable. Pour l'ensemble des générations étudiées par Guy Pourcher, les années de plus faible mobilité ne correspondent pas à cet âge de la vie des individus, le début de la quarantaine. Les seules générations où l'on constate le même phénomène sont celles nées en 1901-1905 qui atteignent 40 et 44 ans pendant la seconde guerre mondiale 766 . On peut donc considérer que c'est bien la guerre qui a modifié les caractéristiques structurelles des mouvements migratoires individuels. Ce n'est pas un effet d'âge mais bien un phénomène de génération.

Notes
765.

Ces estimations ne peuvent porter que sur la partie la plus stable, ou en voie de stabilisation, des générations considérées, celle dont l'inscription sur les listes électorales manifeste une volonté d'installation, au moins temporaire. Au contraire, les individus arrivés et repartis pendant la même période, entre 1896 et 1911 par exemple, ne peuvent pas être pris en considération par ces estimations. La population flottante, celle qui arrive et repart sans laisser de traces dans la documentation, ou sans en avoir laissé aux dates retenues, ne peut pas être comptabilisée. Ces limites doivent être présentes à l'esprit, en particulier pour la période 1911-1921, où Lyon, base arrière de l'industrie de guerre accueille une main d'oeuvre nombreuse dont les listes électorales ne rendent pas compte et qui, bien souvent, a quitté Lyon en 1921.

766.

Pourcher Guy, "Un essai d'analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle", Population, n° 2.1966. tableau p. 364.