b. Deuxième cohorte : tassement des différences

Cette typologie se retrouve-t-elle pour la seconde cohorte ? Comment se traduit la baisse générale de la mobilité ? Pour l'ensemble de l'échantillon, 142 électeurs, soit 53%, restent en permanence dans le même quartier. Face à ces 142 électeurs stables, 127 sont mobiles et s'installent dans un nouveau quartier, soit 47% de l'échantillon. Parmi eux, 99 électeurs ne sont observés que dans deux quartiers, celui d'origine et celui d'installation ; 28 ont un itinéraire plus complexe : 26 électeurs passent par un quartier supplémentaire et 2 par deux quartiers supplémentaires 823 . Ces chiffres soulignent bien les conséquences de la crise du logement sur le changement de quartier qui tend à figer la situation initiale. Les univers du possible de la seconde cohorte sont plus limités que ceux de la première.

Croquis n° 85
Croquis n° 85

II est clair que la typologie est ici bien moins évidente en raison du tassement de la mobilité. Cela provoque une homogénéisation de la situation de quartiers très différents tel le plateau de la Croix-Rousse, Villeurbanne ou la Part-Dieu. Le turnover a nettement diminué par rapport à la première cohorte et il est symptomatique que les Brotteaux, un des rares quartiers où les différentes fonctions restent à leur niveau d'avant-guerre se trouve maintenant intégré aux quartiers de passage du seul fait de la baisse générale de la mobilité. Ce qui revient à dire que pendant l'entre-deux-guerres, les quartiers qui enregistrent un brassage de population sont plus calmes que leurs homologues d'avant-guerre, au moins pour la population dont l'enquête peut rendre compte, la population française de moins de quarante ans. Les Terreaux et les Brotteaux peuvent être qualifiés de quartiers de passage, ainsi que Montchat, mais là, le noyau stable est beaucoup plus important, correspondant à la population de l'habitat pavillonnaire 824 . En raison de la faiblesse des écarts, la plupart des quartiers peuvent être rattachés au type mixte, accueillant et conservant les électeurs mais ne les redistribuant que faiblement. En dépit de leurs différences sociales, du nombre de tours habitants, les pentes et le plateau de la Croix- Rousse, le Vieux Lyon, Gerland ou Villeurbanne, la Part-Dieu correspondent à ce type mixte. Certains, comme la Part-Dieu ont maintenant un caractère de quartier conservatoire. A ce propos, il est nécessaire de rappeler que cette typologie ne se fonde que sur les seuls électeurs de la génération 1899-1900 et que cela ne saurait définir, de manière globale, la tonalité du quartier, et ce d'autant plus que la seconde cohorte est plus déconnectée de l'évolution générale que la première. Je ne rappellerai ici que l'exemple de l'immeuble situé 62 rue de la Part-Dieu où résida Georges Navel. Cette maison, véritable garni a toujours été un lieu de passage. Mais alors que les oiseaux de passage d'avant-guerre étaient de nationalité française, ceux de l'après-guerre sont étrangers, grecs en l'occurence. Dans ce cas précis, la première cohorte peut éventuellement rendre compte de la première situation mais la seconde cohorte ne le peut pas.

Restent quatre quartiers. Le centre presqu'île et la Guillotière se rangent, comme pour la première cohorte, dans la catégorie des quartiers finistères. Si l'immeuble de la Part-Dieu perd son caractère représentatif pendant 1'entre-deux-guerres, celui de la rue Saint-Jérôme, d'où, pratiquement, aucun des nouveaux arrivants ne repart, les mêmes familles vieillissant ensemble, en l'absence de tout intrus - à l'exception des individus fictifs créés par les employés municipaux I - illustre assez bien la situation suggérée par le graphique. La partie populaire des Brotteaux enregistre également une nette évolution par rapport à la première cohorte : ce quartier où le transit était fréquent avant guerre devient beaucoup plus calme 825 . Enfin. Fourvière enregistre un retournement complet de sa fonction : conservatoire absolu pour la première cohorte, ce quartier est maintenant finistère complet. La faiblesse des effectifs observés dans ce quartier doit inciter à la prudence. On peut cependant noter qu'entre 1896 et 1911, ce quartier perdait des électeurs et n'en accueillait aucun alors que pendant l'entre-deux-guerres, des électeurs s'y installent et qu'aucun de ceux présents en 1936 n'y habitaient quinze ans plus tôt. En dépit de la faiblesse des effectifs, il semble bien que la seconde cohorte anticipe un mouvement vers l'Ouest, qui sera sensible, après la seconde guerre mondiale, au moins pour certaines catégories sociales.

Notes
823.

Ce qui fait bien 30 passages par des zones différentes comme l'indique l'annexe n° 13.

824.

Voir Michel Rohart, Montchat, un quartier lyonnais, approches des sociabilités urbaines, Mémoire de maîtrise, 1980, Université Lyon 2,2 volumes dactylographiés, 171 p. et 68 p.

825.

Sur ce quartier on peut lire les deux romans de Jacques Serverin, Les ombrelles du quai Pierre-Scize, Lyon, Editions Jean Honoré, 1979, 324 p. et La sirène des Jacobins, Lyon, Editions Jean Honoré, 1983,292 p. L'action se passe avant 1914 et pendant la guerre. Elle est vue par un jeune enfant qui adore le quai Pierre-Scize, à Vaise, et déteste le nouveau quartier où s'installe sa mère, modiste, le quartier des Brotteaux, rue Juliette Récamier. Il hait le côté austère que lui donne ses rues perpendiculaires. Ces deux romans (en partie autobiographiques ?) contiennent également quelques notations intéressantes sur le Bas-Dauphiné.