En 1911, il y a 13 négociants et industriels. Au début de l'observation, il y en avait quatre. Trois le sont restés et ont été inscrits en 1896,1901,1906 et 1911 comme négociants. Un seul est devenu employé. Dix individus qui n'appartenaient pas à ce groupe sont donc devenus des industriels ou des négociants. Un était malletier, un garçon de café et un étudiant mais le fait le plus significatif est ailleurs : les sept autres étaient employés - employé ou employé de commerce, voire employé de soierie - lors de leur apparition sur les listes électorales. Tous n'ont pas atteint le sommet de la hiérarchie à la même date mais la trajectoire la plus fréquente est bien la trajectoire employé-négociant, industriel. Cette constatation entraîne une interrogation à laquelle je répondrai dans le chapitre suivant consacré à la mobilité sociale : quelle était la profession des pères de ces employés ? S'agit-il de véritable mobilité professionnelle ascendante ou de contre-mobilité 885 ? Cette dernière caractérise les "mobiles professionnels" qui sont en même temps des "immobiles sociaux". Le changement de position sociale au cours de la vie n'est alors qu'un simple retour du milieu d'origine au milieu d'origine. Pour un fils de négociant, cette mobilité professionnelle ascendante ne pourrait être que la suite logique d'une carrière commencée comme employé, période d'apprentissage du futur négociant.
Quelle est la situation dans la seconde cohorte ? En 1936 l'échantillon compte douze négociants et industriels. En 1921, il n'y en avait qu'un, un fabricant de soieries devenu en 1936 "industriel tissage mécanique". Dans la première cohorte quatre jeunes adultes sont négociants, un seul dans la seconde. Faut-il voir là une indication de l'augmentation de l'âge d'entrée dans cette profession ? Devient-on chef d'entreprise à un âge plus avancé après la première guerre mondiale 886 ?. Onze électeurs sont donc devenus négociants. Dans la première cohorte, les employés fournissaient la quasi totalité de ces mobiles professionnels. Dans la seconde, aucun futur négociant ou industriel n'a été employé. Trois ont été des travailleurs manuels, un petit commerçant et un autre dessinateur mais surtout six sont étudiants en 1921. Dans la seconde cohorte, la trajectoire dominante devient la trajectoire étudiant-industriel alors que dans la première le modèle dominant était employé-négociant.
Les agriculteurs sont peu nombreux dans les deux cohortes mais le simple énoncé du devenir des individus suffit à souligner les divergences d'itinéraires des deux populations. Voici les itinéraires des six agriculteurs repérés en 1896. Quinze ans plus tard, un seul d'entre eux l'est toujours. Natif de Sainte-Foy-les-Lyon, ce jardinier est fils d'un cultivateur. Il habite chemin de Francheville, sur la colline de Fourvière où les terres agricoles sont encore nombreuses avant la première guerre mondiale. Les cinq autres ont changé de profession. L'un, un jardinier originaire de Saône-et-Loire est devenu comptable - II le reste jusqu'en 1936 - et deux, un cultivateur de Haute-Savoie et un vigneron du Beaujolais, sont devenus manœuvres et le dernier, un jardinier originaire de la banlieue, s'est établi à son compte comme ferblantier. Le dernier est inscrit comme sans profession mais il est probablement toujours jardinier comme son père avec qui il habite, chemin de Croix-Morlon. à Montplaisir. Dans la seconde cohorte, six agriculteurs ont été repérés en 1921 et suivis jusqu'en 1936. Cinq d'entre eux sont nés à Lyon ou Villeurbanne et aucun n'est encore agriculteur en 1936. Tous ont changé d'activité. Quatre sont devenus ouvriers un autre est employé O.T.L. et le dernier est sapeur-pompier. Les chiffres sont trop faibles pour que l'on puisse conclure avec certitude mais on peut quand même constater que dans la première cohorte un électeur, probablement deux, restent agriculteurs et aucun dans la seconde. Dans la première cohorte un électeur entre dans les classes moyennes, aucun dans la seconde... Les divergences sont encore plus flagrantes dans les autres groupes professionnels.
Sur ce point voir Claude Thélot, op. cit. p. 94-96.
Voir Maurice Levy-Leboyer, "Le patronat français. 1912-1973", Maurice Levy-Leboyer(ed), Le Patronat de la seconde industrialisation. 1979,. L'âge d'entrée en activité comme patron progresse pendant la période étudiée, voir p. 164-165.