Tous les enfants ne naissent pas au domicile de leurs parents. Ceux qui ne naissent pas au domicile familial naissent pour l'essentiel à l'Hôtel-Dieu ou à l'hôpital de la Croix-Rousse. Les maternités sont encore peu répandues et leur réputation n'est pas très bonne. Peu hygiéniques elles sont souvent, à la fin du Second Empire, d'authentiques mouroirs et servent de refuges aux pauvres. Pour une mère de la fin du XIXe siècle accoucher, c'est encore accoucher chez soi, "la maternité c'était pour les filles-mères et pour les femmes de besoin" confie à Françoise Thébaud une femme née en 1895 917 .
Dans la première cohorte, au début de la Troisième République, 6% des enfants légitimes ne naissent pas au domicile parental. Une génération plus tard, au tournant du siècle, le pourcentage atteint 14%. Si l'on tient compte de l'ensemble des naissances, les pourcentages sont respectivement de 8% et 18%. Dans leur enquête, Olivier Faure et Dominique Dessertine soulignent que, de la fin du Second Empire à la veille de la première guerre mondiale, la part des naissances illégitimes diminue dans l'ensemble des naissances à l'hôpital 918 . Je ne constate pas du tout le même phénomène : tant en 1872-1875 qu'en 1899-1900, un quart des naissances à l'hôpital sont des naissances illégitimes. Cette distorsion provient sans doute de l'étroitesse de mon échantillon qui enregistre bien, cependant, la progression de la médicalisation de l'accouchement dans le Rhône. Comme le département de la Seine, celui du Rhône, est un département pionnier en ce domaine. Selon l'enquête sur les lieux d'accouchement de 1911-1913, 2% des naissances légitimes françaises ont lieu hors du domicile mais un quart dans le Rhône et un tiers dans la Seine 919 .
Les mères qui accouchent à l'hôpital sont plus actives que celles qui accouchent à domicile, surtout dans la première cohorte où seules trois sur quatorze d'entre elles n'ont pas de profession. Leurs époux sont, le plus souvent, des travailleurs manuels. Lorsque l'on naît à l'hôpital au début de la Troisième République, il y a de fortes chances pour que l'on naisse dans une famille de tisseurs, ou dans une famille dont le père est tisseur et la mère dévideuse ou ovaliste... Dans les années 1900, le phénomène est moins rare et la mère moins souvent active - le taux d'activité des mères de famille a beaucoup diminué - mais les pères de ces enfants ont toujours les mêmes caractéristiques : ils sont cordonniers, corroyeurs, maçons, teinturiers, tisseurs, journaliers ... Bref, naître à l'hôpital, c'est bien souvent faire son entrée dans la société urbaine par la petite porte mais rien ne prouve que ce soit un handicap pour la future carrière du nouveau-né.
Voir Françoise Thébaud, Quand nos grand-mères donnaient la vie, la maternité en France dans l'entre-deux-guerres, Presses Universitaires de Lyon, 1986,316 p. Voir p. 62-65.
Faure Olivier et Dessertine Dominique, Hospitalisation et populations hospitalisées dans la Région lyonnaise au XIX e et XX e siècles, p. 54. En 1866, il y a, dans le Rhône, 14% des naissances à l'hôpital qui sont des naissances illégitimes et en 1911, ce pourcentage est descendu à 4%.
Maurice Garden, Histoire des Français sousla direction d'Yves Lequin. tome 1, p. 334.