1. Les témoins

J'ai retenu uniquement les témoins des naissances à domicile - les naissances à l'hôpital sont le plus souvent déclarées par le personnel hospitalier. J'ai exclu également de cette analyse, les témoins "professionnels", d'ailleurs plus nombreux dans les petites communes (garde-champêtre et secrétaire de mairie) qu'à Lyon. Comparer la profession du père à celle des témoins, c'est saisir un aspect de la sociabilité spontanée. Si les témoins de mariage sont choisis par le futur couple pour donner à voir sa sociabilité, pour manifester son prestige social ou dire ses liens privilégiés avec telle ou telle branche de la famille, les témoins de naissance, même s'ils sont choisis en fonction des mêmes critères, correspondent sans doute davantage à l'entourage immédiat des parents et, si l'on trouve parfois un grand-père, un oncle ou un frère, la plupart sont des relations de voisinage ou de travail. Plus âgés que le père tant au début de la Troisième République qu'au tournant du siècle, les deux témoins de la naissance ne sont pas exactement interchangeables. Le premier est toujours plus âgé que le second. La différence d'âge entre le père et le premier témoin est de 10 ans aux deux périodes étudiées et celle entre le père et le second témoin est de 5 à 6 ans. Cette différence d'âge influe sur la composition sociale des témoins qui ont un niveau social légèrement supérieur à celui des pores qu'ils accompagnent à la mairie. Ces caractéristiques les rapprochent d'ailleurs des témoins de mariage marseillais que William Sewell ⁹²⁰ à utiliser pour construire une échelle du prestige social. Vu la taille de l'échantillon, il n'est pas possible de procéder, de manière systématique, au même type d'analyse mais une évolution est perceptible entre le début de la Troisième République et le début du XXe siècle. Elles concernent essentiellement le groupe des négociants et industriels ⁹²¹ . Dix-neuf pères sont négociants en 1872-1875 et seuls quatre d'entre eux sont accompagnés par un négociant comme premier témoin. Les autres se rendent à la mairie avec des employés, des cadres moyens, des retirés des affaires... Par rapport au second témoin, le fait est encore plus accentué : seuls deux négociants sont accompagnés par un négociant mais 9 d'entre eux déclarent leur fils en compagnie d'un employé ⁹²² . On pourrait lire ces résultats comme la manifestation du pouvoir de ces négociants qui se rendent à la mairie en compagnie de leurs salariés mais l'examen des témoins négociants montre que des ouvriers ou artisans (5 cas sur 17), des employés (3 cas), des petits commerçants, des ouvriers se rendent à la mairie avec un négociant comme premier témoin, voire comme second témoin. Bref, ce groupe entretient des liens - même si la nature de ces relations, paternalisme ou liens professionnels, amitié ne peut être précisée - avec d'autres groupes sociaux. Procéder au même examen une génération plus tard met en évidence les changements. Sur les quinze pères négociants ou industriels, 7 ont pour premier témoin un négociant ou un industriel et sur les onze premiers témoins seuls quatre n'accompagnent pas un membre du même groupe professionnel ⁹²³ . Pour les seconds témoins le phénomène est moins accentué mais il est réel ⁹²⁴ . La conclusion qui s'impose est donc la suivante : ce groupe, relativement ouvert au début de la Troisième République s'est incontestablement fermé au début du XXe siècle. Cette conclusion est importante pour la suite. Elle va dans le sens d'un raidissement des clivages sociaux au début du XXe siècle, déjà perceptible lors de l'étude de la mobilité professionnelle.